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PSA a-t-il caché sa copie le seul temps d’une élection présidentielle ? A l’évidence non. Une entreprise de cette dimension, qui gère une restructuration interne continue depuis le début des années 70, ne décide pas en trois mois de fermer un site industriel de cette importance. Une usine comme celle d’Aulnay, installée sur des centaines de milliers de m2, ayant englouti au fil des décennies des milliards d’euros d’investissement, n’est pas un jouet qu’on décide de mettre à la poubelle un beau matin sur le geste d’humeur d’un PDG primesautier. 

 

PSA aulnay

C’est en 2003 qu’un directeur départemental du travail, qui avait de bonnes raisons de connaitre les projets de cette entreprise, m’a dit pour la première fois que PSA avait pris la décision de fermer Aulnay. C’est en 2004 qu’un dirigeant de PSA avec lequel j’avais des relations suivies m’a donné la même information.

Depuis cette date qu’a-t-on vu ? Aulnay n’a plus bénéficié d’investissements ou alors marginaux. Ses équipements n’ont plus été adaptés à la production de nouveaux modèles. L’effectif a diminué régulièrement, en particulier à l’occasion du programme de cessation d’activité des salariés âgés engagé par la métallurgie à partir de 1999. Les partants au fil des années, quel qu’en soit le motif, n’ont plus été remplacé et les intégrations périodiques d’intérimaires ont été interrompues. Année après année les volumes produits se sont réduits, les nouveaux modèles systématiquement implantés sur d’autres sites et les volumes des modèles d’Aulnay progressivement mis en production sur d’autres sites qui en absorbaient la croissance éventuelle.

Pendant ce temps, sur l’usine en tant que centre de coût pesaient évidemment les mêmes charges : amortissements de toute nature, charges fiscales, gestion des fluides, du foncier, etc. Son bilan économique se dégradait donc régulièrement et sa compétitivité, par rapport à d’autres sites qui continuaient d’être aussi chargés que possible en production, devenait calamiteuse. Année après année, les états du contrôle central de gestion mettaient en évidence cette perte d’efficacité et, sur leur base, l’information interne au groupe à destination du management comme à destination des organes représentatifs du personnel diffusait ce sentiment d’une descente irréversible. Mais naturellement aucun propos inquiétant n’était formulé par la direction du site, confiante dans le fait que cette lente dégradation imprègnerait au fil du temps l’ensemble des salariés et que, le moment venu, l’annonce de la fermeture, susciterait évidemment des réactions vives, mais qu’en fait elle tomberait dans des esprits sinon résignés, au moins déjà préparés.

C’est là une stratégie parfaitement rodée dans de nombreuses grandes entreprises voulant reconfigurer leur appareil de production : choisir un site -pas forcément le moins efficace, puisque bien d’autres paramètres peuvent entrer en ligne de compte-, l’asphyxier très progressivement sur un horizon de quatre ou cinq ans, voire plus pour un très grand site et lorsque sa faiblesse est devenue évidente aux yeux de tous, dirigeants, organisations syndicales, salariés, pouvoirs publics, annoncer sa fermeture avec les larmes de crocodile assorties.

Ainsi l’annonce se fait selon un calendrier approximativement arrêté depuis des années. Que l’entrée en campagne présidentielle ait été un bon motif de rester silencieux en février ou mars, à coup sûr. Que le ministre du travail et quelques conseillers de rang moins subalterne en aient parlé avec le PDG, quoi de plus probable ? Ségolène Royal eut-elle été la présidente sortante, échanges et résultat eussent été les mêmes. Remarquons tout de même que les grandes annonces de sinistre sur l’emploi se font traditionnellement plus fréquentes à la veille des vacances estivales plutôt qu’à la rentrée, pour cause évidente d’évacuation de la première pression à chaud. Non moins évidemment PSA fondait encore quelques espoirs dans la réélection de Nicolas Sarkozy et n’avait pas anticipé l’arrivée sur son terrain de la « foudre » d’Arnaud Montebourg.


Une décisions aux multiples motivations

Au sein de PSA tout d’abord. PSA a voulu s’engager dans une démarche très volontariste de croissance de ses ventes et s’est équipé sur les dernières années pour une capacité de quatre millions de véhicules. Son record n’a pas dépassé 3,6 millions en 2010 et 2012 devrait être sensiblement inférieur. PSA est donc structurellement en surcapacité. Sur cette période, PSA a naturellement continué d’investir : chaque nouvelle génération de machines apporte ses progrès de productivité et si la croissance des ventes est durablement inférieure à celle de la productivité, le sureffectif explose.

Les facteurs de cette mévente sont multiples : crise occidentale, implantation insuffisante en Asie, mix de gamme déséquilibré, fin des primes à la casse, délocalisations insuffisantes (???), etc. S’y ajoutent quelques modèles aux carrières médiocres, comme les vaisseaux amiraux 607 ou C6, ou calamiteuses, comme la 1007, qui plombent les comptes et bouleversent les prévisions de charge des sites.

Mais bien en-deçà de ces causes apparentes, il y a la politique française en matière d’automobile. A partir de 1945, la voiture, achat fétiche en France comme ailleurs, est considérée par le fisc comme une vache à lait inépuisable. TVA au taux majoré, vignette, fiscalité des carburants sont tellement commodes pour alimenter le budget. S’y ajoute une perversion bien hexagonale de notre fisc : son aversion pour les voitures puissantes, en particulier si ce sont des véhicules de société. En Allemagne, en Belgique, en Grande-Bretagne, en Italie, la voiture n’est pas seulement une démonstration d’un standing personnel, elle est aussi la reconnaissance d’un statut professionnel. Les flottes d’entreprises y sont d’un tout autre volume qu’en France parce que le véhicule de fonction y est considéré comme un instrument de rémunération comme les autres. Le fisc français s’acharne contre elles et n’a de cesse de renchérir leur coût : évaluation de l’avantage en nature qu’elles constituent, limitation de leur amortissement et taxe sur les véhicules sociétés ou taxe sur l’émission de CO2 qui explosent dès qu’on dépasse une puissance de 6 CV. Là où le cadre moyen allemand peut ronronner satisfait au volant de sa BMW série 3 et le cadre supérieur au volant de sa Mercedes 500, le cadre français peine à se faire rembourser des indemnités kilométriques pour une Mégane ou une 408.

Au fil des décennies, le fisc a ainsi réussi à tuer la voiture française haut de gamme qui faisait la gloire de son industrie avant-guerre, a laissé la place aux véhicules premium allemands, britanniques (même s’ils appartiennent à l’indien Tata) ou suédois (même s’ils appartiennent au chinois Geely). Et quand les cadres français sont devenus cadres supérieurs et dirigeants de multinationales, ils ont abandonné le pseudo haut de gamme Renault ou PSA pour basculer dans le standing allemand. Les générations successives de primes à la casse ou « jupettes » ont été cohérentes par rapport à ces orientations de fond de l’administration française en encourageant massivement au renouvellement en petites voitures.

L’industrie automobile française s’est ainsi évincée des segments qui rémunèrent le mieux mais aussi qui poussent le plus à l’innovation et à la qualité. Directions assistées, freinages ABS, GPS, radars de recul, assistance au stationnement et combien d’autres sont sortis sur des véhicules hors de prix et se sont progressivement diffusés sur les moyennes gammes avant de se généraliser totalement.

 

Aulnay, une usine explosive
Enfin, Aulnay a une spécificité de taille. Pourquoi Aulnay plutôt que Poissy ou, par exemple Mulhouse ? Je ne fais qu’une prudente conjecture : Aulnay est le terrain social le plus difficile de PSA. Un temps ce fut Poissy mais sa grande reconfiguration des années 80 avec la flamboyante proposition de Jean-Jacques Servan-Schreiber de transformer les opérateurs illettrés en divas de l’informatique a permis de remettre cette usine et son corps social dans un fonctionnement normal, avec une concertation parfois rugueuse mais positive. A Aulnay, face à une direction qui a longtemps joué l’anti-syndicalisme méthodique et le soutien abusif au syndicat maison, se sont développées une culture et une pratique syndicales très agressives portées par des militants imprégnés de la foi en la capacité révolutionnaire des avant-gardes les plus minoritaires. Vous êtes le comité exécutif de PSA, vous devez fermer au moins une usine, vous avez le choix entre une usine explosive et une usine coopérative : le choix s’impose.

Et voilà, Monsieur, pourquoi votre fille est muette ! Je m’égare : voilà pourquoi Aulnay ferme sans même avoir comme Sevelnord la possibilité de négocier un nouveau départ contre une nouvelle flexibilité.

 

Au-delà, le champ des possibles
L’industrie automobile est une industrie lourde, mobilisatrice de compétences et d’investissements qui se développent sur des décennies. Dans cette optique les plans véhicules électriques/hybrides sont intéressants en ce qu’ils s’inscrivent dans cet horizon temporel. Autant dire qu’ils ne sauveront aucun emploi à Aulnay pas plus que dans les sites Renault. Ils poussent à des innovations majeures et bénéfiques : imaginons une ville parcourue de véhicules silencieux et n’émettant plus ni CO2 ni particules cancérigènes, quelle résurrection pour les civilisations urbaines ! Mais ils ne résolvent pas le problème majeur de l’automobile française, sa spécialisation dans les véhicules de moyenne et basse gamme.

Le vrai plan automobile est celui qui encouragera à la réapparition du haut de gamme dans son insolence grande bourgeoise, avec sa production de bénéfices, d’innovations et d’image de marque pour l’industrie française. Ce n’est pas un problème PSA. C’est un problème de filière industrielle dans sa globalité et dans sa cohérence. L’éviction du haut de gamme pour les constructeurs français entraîne le désarmement des équipementiers français sur ce même créneau. Acheteurs, designers, ingénieurs du son ont un métier à réapprendre tant la mise au point, la fabrication, la commercialisation d’un véhicule à 100 000 € diffèrent de celles d’un véhicule à 12 000 €. Heureusement beaucoup d’entre eux sont de véritables multinationales et travaillent aussi pour des groupes non-français avec lesquels ils ont pu conserver et développer des savoir-faire inutilisés par les constructeurs nationaux.

A l’heure des grandes conférences sociales, pourquoi ne pas sortir des incantations solitaires de quelques ministres bien intentionnés pour organiser de vraies conférences de filières industrielles, y associant les grands organismes de recherche, s’appuyant sur les quelques vrais pôles de compétitivité, pour formuler des programmes cohérents de redéveloppement de la filière automobile ? On ne parle évidemment pas là d’éviter les trois millions de chômeurs qui se profilent dans les statistiques de Pôle Emploi. On parle ici d’horizon à 20 ou 30 ans, celui qu’il a fallu pour passer de Sud-Aviation à Airbus. Bel horizon pour un gouvernement tout neuf qui n’oublie pas que son mandat actuel de cinq ans pourrait être renouvelé s’il convainquait de la validité et de la réalité de ses ambitions.

 

Wenceslas Baudrillart a été enseignant, DRH. Il est aujourd’hui chef d’entreprise dans l’économie sociale

 

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Universitaire spécialisé en finances publiques (et en histoire des idées politiques), je suis appelé au ministère du Travail en 1974 pour y créer un département d’études permettant d’adapter le budget à l’explosion du chômage. Très vite oubliées les joies subtiles du droit budgétaire et du droit fiscal, ma vie professionnelle se concentre sur les multiples volets des politiques d’emploi et de soutien aux chômeurs. Etudes micro et macro économiques, enquêtes de terrain, adaptation des directions départementales du travail à leurs nouvelles tâches deviennent l’ordinaire de ma vie professionnelle. En parallèle une vie militante au sein d’un PS renaissant à la fois en section et dans les multiples groupes de travail sur les sujets sociaux. Je deviens en 1981 conseiller social de Lionel Jospin et j’entre en 1982 à l’Industrie au cabinet de Laurent Fabius puis d’Edith Cresson pour m’occuper de restructurations, en 1985 retour comme directeur-adjoint du cabinet de Michel Delebarre. 1986, les électeurs donnent un congé provisoire aux gouvernants socialistes et je change de monde : DRH dans le groupe Thomson, un des disparus de la désindustrialisation française mais aussi un de ses magnifiques survivants avec Thales, puis Pdg d’une société de conseil et de formation et enfin consultant indépendant. Entre-temps un retour à la vie administrative comme conseiller social à Matignon avec Edith Cresson. En parallèle de la vie professionnelle, depuis 1980, une activité associative centrée sur l’emploi des travailleurs handicapés qui devient ma vie quotidienne à ma retraite avec la direction effective d’une entreprise adaptée que j’ai créée en 1992.