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Au moment où certains prônent le renforcement voire la constitutionnalisation du dialogue social il est utile de revenir à la question de l’impact qu’a eu – et que pourrait avoir – la crise sur le dialogue social en Europe, qu’il s’agisse de son contenu mais aussi de son architecture ou encore de sa place dans la prise de décision de nos sociétés ? Plusieurs études ou analyses sont aujourd’hui sur la table et fournissent de précieux éléments d’information et d’analyse.

 

dialogue europe

Ainsi un rapport publié récemment par la Fondation de Dublin (voir le résumé en français) montre que les partenaires sociaux ont joué deux rôles antagonistes. Dans le secteur privé : ils ont été les gardiens de la paix sociale, réduisant le nombre des grèves au niveau des entreprises et persuadant les travailleurs d’adopter une position pragmatique par rapport aux mesures visant à réduire les dépenses. En revanche, dans le secteur public, ils ont souvent joué le rôle de coordinateurs d’une opposition forte et générale aux mesures d’austérité des gouvernements.

 

Les négociations entre les partenaires sociaux ont eu tendance à se concentrer plutôt sur les questions d’emploi, comme la formation et la sécurité de l’emploi, en particulier par le biais de mesures de chômage partiel, plutôt que sur la question plus classique des salaires. Le compromis nécessaire à des négociations intégratives semble avoir été accordé facilement par les travailleurs, qui ont préféré faire des concessions au niveau des salaires en échange de garanties en matière de sécurité de l’emploi.

 

 

Le rapport confirme par ailleurs le fait que l’environnement institutionnel des États membres en matière de relations entre les partenaires sociaux a contribué au succès ou à l’échec du dialogue social et qu’un grand nombre d’institutions et de relations ont été soumises à de véritables tests de résistance.

 

A cet égard, les pays où la tradition de dialogue social est forte – la Belgique, les Pays Bas, l’Allemagne, l’Autriche, la Suède et les pays nordiques – ont connu une meilleure coopération entre l’État, les employeurs et les salariés. Le dialogue y est puissant, souvent très autonome mais non sans relation avec la puissance publique et la crise, de moindre gravité qu’en Europe du Sud, n’a pas apporté jusqu’ici d’inflexions significatives. Et c’est souvent au niveau sectoriel, là où la consultation et le partenariat sont les plus anciens, que les discussions des partenaires sociaux ont produit les meilleurs résultats. A l’autre bout du continent, dans l’espace méditerranéen mais aussi parfois à l’Est, les choses sont tout autres. Ainsi, il est clair que le dialogue social s’est affaibli en Grèce ou en Espagne.

 

Dans certains domaines les conséquences de la crise ont aggravé les difficultés déjà existantes, qu’il s’agisse de la cohérence entre les divers niveaux du dialogue social, la baisse du nombre des personnes syndiquées, ainsi que la position des syndicats dans le rapport de forces. Les prises de décision de plus en plus souvent unilatérales des gouvernements dans les matières concernant les problèmes du secteur public et une décentralisation croissante de la négociation collective au niveau des entreprises notamment en Italie ou en Espagne sont autant d’éléments qui illustrent les problèmes posés par la crise actuelle. A l’Est des pays, comme la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie où la tradition de dialogue social était fragile, ont connu ces derniers temps des changements politiques qui ont fait peu de cas des partenaires sociaux tandis qu’en Pologne, il semble que la crise a un peu amélioré la reconnaissance des partenaires et de leur travail.

 

En somme, malgré des résultats non négligeables s’agissant notamment de l’introduction ou de l’extension du chômage partiel, l’opportunité qu’aurait pu représenter la crise en termes d’innovation et de mise en place de nouvelles formes de dialogue social ou d’une intégration plus forte des divers niveaux de dialogue à l’échelle européenne, semble avoir été perdue.

 

Comme le dit Jacques Freyssinet dans un papier publié en 2011 par Economies et sociétés qui passe en revue les évolutions du dialogue social aux Pays Bas, en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Irlande et au Royaume Uni, il n’y pas de chemin unique et exemplaire dans une Europe marquée par la complexité et la variabilité des configurations d’acteurs et d’institutions. Certes le contexte économique et la majorité politique pèsent mais sans déterminisme. Enfin, l’existence d’accords tripartites ne préjuge pas de la qualité de leur contenu ; à l’inverse leur absence ne signifie pas l’absence de compromis.

 

Ajoutons que ces travaux laissent peu de place à des questions par ailleurs cruciales : ceux de la représentativité et de la pertinence des formes de travail et d’organisation de nos démocraties sociales, à l’heure de la relève des générations, de l’augmentation sans précédent des travailleurs pauvres et précaires. Une réflexion vigoureuse sur ces sujets est indispensable à toutes celles et tous ceux qui œuvrent à la recherche de pactes sociaux forts susceptibles d’aider nos sociétés à affronter les difficultés et les mutations du temps présent.

 

 

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