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par Clotilde de Gastines, Claude Emmanuel Triomphe

En France, tout est politique et les réformes s’imposent le plus souvent par décret. Michel Rocard, ancien premier ministre français (1988-1991) déplore le manque de performance du mouvement syndical et le rôle souvent dominateur de l’Etat. Pour cause : l’absence de négociations longues et la disparition du syndicalisme dans le secteur privé. Entretien

 

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Que pensez-vous de la méthode et du calendrier proposé par la « grande conférence sociale » de juillet ? Est-ce prometteur ?

Oui, parce que c’est une porte ouverte. Mais la question est : vers quoi ? . La négociation est un processus très lent. D’autant que le dialogue social n’existe pas en France. Cela remonte à l’épisode de la Commune et à l’interdiction du syndicalisme. Quand on permet au syndicalisme d’émerger en 1884, on le trouve anarchiste et révolutionnaire. En 1906, la CGT divorce du parti socialiste. Elle affirme son indépendance syndicale par rapport aux partis politiques. Surtout, elle refuse de négocier, car ce serait de la compromission avec des intérêts bourgeois. Ainsi, en France l’essentiel du progrès social doit se faire et s’est toujours fait par la loi. Rien n’est contractuel.

 

Cela correspond aussi à l’esprit jacobin, qui considère que tout est politique. La société civile disparaît et la société française est obligée d’avancer par coups de sang. Ce qui est très mauvais. Le droit de parole date seulement de 1968, quand on a créé des sections syndicales au sein de l’entreprise. À l’époque déjà le Parti socialiste unifié (PSU) reconnaissait que le marché existait et qu’il fallait faire avec, il réclamait plus de contractualisation. Car la loi est un instrument brutal et simpliste.

 

Alors quand aujourd’hui, on confie la direction du dialogue social au ministre du travail, c’est une rupture enthousiasmante. Mais il faut bien avoir en tête qu’une négociation dure longtemps. En Suède, la réforme des retraites a pris sept ans. Syndicats et patronats ont négocié, puis l’Etat s’est rallié sans s’en mêler. En France, la réforme s’est faite par à-coups (Raffarin-Fillon-Woerth) et s’impose par décrets.

 

Parfois la négociation fonctionne. La réforme du régime spécial de la Banque de France a abouti au bout d’un an et demi avec succès et sans conflit. Le régime est à nouveau à l’équilibre et pérenne. Cette réussite est passée inaperçue dans la presse qui a dû trouver que le sujet n’était pas vendeur.

 

Dans un pays aussi peu cultivé par le dialogue social, la demande de négociation est pourtant forte. La CGT est née anarchiste. Mais elle a perdu sa place de premier syndicat de France. À la base, les syndiqués veulent de la négociation. Donc ça viendra, la pression est trop forte. Car les multinationales aussi ont besoin que leurs établissements français négocient de manière contractuelle. Mais, obstacle majeur et fait gravissime, le syndicalisme a quasiment disparu du secteur privé.

 

La loi du 20 août 2008 sur la représentativité sera-t-elle le remède pour renforcer le syndicalisme ?
Oui, cette loi est le premier élément de destruction du syndicalisme jacobin et de la création d’un véritable syndicalisme de service. Jusqu’à présent, le président directeur général d’une entreprise jouit d’un statut napoléonien qui date de Vichy. Ce statut bénéficie d’un attachement collectif, mais le directoire et le conseil de surveillance prennent tout de même du pouvoir. Le comité d’entreprise devrait aussi s’immiscer davantage dans la gestion, comme le prévoit l’ordonnance de 1945. Cependant, même la CGT ne voulait pas participer à la gestion d’une entreprise. Elle y voyait de la compromission de classe. Cela va changer, car les modes de gouvernance étrangers nous influencent.

La non-performance du mouvement syndical est vraiment problématique. Il faut créer une négociation permanente sur tous les sujets. L’Etat doit se désengager de ces négociations. Une des techniques pour renforcer les syndicats serait de créer une cotisation syndicale obligatoire indexée sur les salaires, des chèques-restaurant, des chèques-vacances pour tous. Si on ne fait rien, on court vers une catastrophe nationale.

On a longtemps considéré que l’industrie appartenait au passé et que les services sont l’avenir. Ne reste-t-on pas sur une représentation très industrielle du travail dans le discours politique, notamment quand on voit les réactions aux annonces de PSA ?

Il n’y a pas matière à philosopher. L’emploi industriel représente moins de 15% de la population active, mais il est moins mobile que les services. Il a un ancrage local, ce qui explique l’attachement des élus locaux à ces emplois moins volatiles et en principe plus durables que ceux des services. La presse regarde aussi l’emploi industriel, car c’est plus facile à observer. Et les dégâts dans l’emploi sont plus importants, alors que la création d’emplois dans les services est plus difficile à observer.

 

Est-ce que le Ministère du redressement productif mène un combat du passé ?
Non, sûrement pas. La désindustrialisation est un fait de concurrence tant dans le textile, que dans la micromécanique. La préservation de l’emploi s’est faite par le développement de techniques nouvelles et de services. Mais certains de ces emplois de services sont aussi délocalisables.

 

Les fronts sont nombreux, car depuis 2008, nous sommes dans une crise mondiale. Même si le ralentissement de la croissance a commencé bien avant. Depuis 30 ans, le chômage a cru, accompagné d’une montée de la précarité et des petits boulots. Si bien qu’aujourd’hui près de 20 % des actifs d’Europe de l’Ouest sont des travailleurs pauvres et que le développement de tous ces petits boulots a aussi destabilisé le travail légal.

 

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