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Court et percutant, le « coup de gueule » se cache derrière un sobre intitulé : Formation : le culte du diplôme. Dans ce livre, l’économiste Danielle Kaisergruber, membre du comité de rédaction de Metis explore sans détours le monde de la formation initiale et continue. Le diplôme est une « valeur-repère » sur le marché du travail parce que le système de formation continue et d’orientation professionnelle fonctionne mal. Dans un entretien, elle développe « les choix de vecteurs qui pourraient entraîner des transformations culturelles » et des préconisations radicales.

tourbillon

Dépeints dans quantité de rapports officiels, les constats sont cruels : stigmate du diplôme, maelström de formations et d’acteurs, argent public et privé dilapidé. Mais pour une fois, l’auteure part du point de vue des usagers. Danielle Kaisergruber raconte les expériences de jeunes qualifié ou non, de salariés de PME ou de grande entreprise, de demandeurs d’emploi et leur trajectoires-types.

 

La France est le pays de l’OCDE où l’on obtient le moins de diplômes en cours de la vie professionnelle. L’ouvrage s’interroge sur l’absence de seconde chance, alors que la formation des adultes représente beaucoup d’argent et d’énergie pour ceux qui s’y emploient. Selon l’auteure, cette défaillance s’explique en partie par la survalorisation du diplôme initial. «  C’est le culte du diplôme et de la formation initiale qui font qu’on n’arrive pas vraiment à avoir de seconde chance, explique-t-elle. Il ne s’agit pas de supprimer les diplômes, mais bien de pouvoir les acquérir tout au long de la vie, par la formation ou par l’expérience acquise. D’autant que les accidents de parcours sont de plus en plus nombreux, y compris en fin de vie professionnnelle et obligent à changer de métier ».

 

Attaquer par de petits côtés

Aujourd’hui, la formation initiale ne corrige pas les inégalités sociales de départ. Le ressort principal de l’ascenceur social est panne. Elle consacre un chapitre à la suprématie de la formation initiale et mène une charge sur le culte de l’abstrait. Les enseignements scolaires sont trop théoriques, la pédagogie ne forme pas assez à travailler  collectivement, le destin social des élèves se joue trop tôt et les cursus n’offrent pas encore assez de passerelles. « En Finlande, la classe est une sorte d’atelier interdisciplinaire, décrit-elle. Les enseignants sont plusieurs dans la même classe. Certes des professeurs français pratiquent déjà ce genre de pédagogie, mais en principe ils n’ont pas été formés pour et ce n’est pas la méthode dominante ». Les défis sont donc de taille : changer le métier d’enseignant. Certaines  propositions sont aussi controversées : par exemple faire participer les parents d’élève en classe. La commission de concertation « Refondons l’école » a avancé des choses qui vont dans ce sens. Elle exclut une refonte, mais attaque le système par de petits côtés.

 

« On a le défaut de vouloir que l’école réponde à tous les problèmes, reconnaît Danielle Kaisergruber. L’éducation nationale et les entreprises se renvoient la balle. Les entreprises ne prennent pas leur part de responsabilité dans la professionalisation des salariés. La question est donc de savoir comment les impliquer ». 

 

Identifier les responsables 

La formation continue bénéficie « toujours aux mêmes » : les salariés déjà qualifiés. Les demandeurs d’emplois ont beaucoup moins de chance de se former. Surtout les chômeurs de longue durée, qui sont pourtant les moins qualifiés, et en auraient le plus besoin. 

 

La question de l’orientation est « déterminante ». Il faudrait selon l’experte « former des orientateurs qui connaissent le marché du travail et les trajectoires-type. Ce sont trop souvent des psychologues, éloigné des réalités économiques ». Au delà, il s’agirait de mettre en œuvre réellement le Service Public d’orientation professionnelle, tel que défini dans la loi. Il existe des services d’orientation (CIO, CIDJ) mais pas de services d’orientation permanents qui proposent une description opérationnelle des métiers nouveaux et des problèmes que les jeunes devront affronter à l’avenir.

 

Le monde de la formation continue est trop complexe. « Les acteurs sont tellement nombreux que personne ne s’y retrouve plus» . Pire, Danielle Kaisergruber estime que « ce système est une énorme machine brassant beaucoup d’argent, beaucoup trop de financeurs et d’acteurs. Si je pousse le propos, plus personne n’est responsable. Il faut des lignes d’actions et de responsabilités plus claires ». La région devrait être le seul pilote dans la formation des demandeurs d’emploi. Le conseiller Pôle Emploi devrait avoir autant d’autonomie qu’en Grande-Bretagne et en Allemagne où il dispose de sa propre enveloppe budgétaire, décide du nombre d’entretiens pour chaque demandeur d’emploi en fonction des besoins et du degré d’éloignement de l’emploi. En échange de leur bonne volonté, l’Etat pourrait supprimer l’obligation légale de dépense de formation. Selon elle, « il est scandaleux qu’une PME cotise auprès des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), alors que ce sont les grandes entreprises qui utilisent les fonds pour leurs salariés. D’autant plus que cette cotisation est vécue comme un impôt par les PME ». Comme une partie du financement des syndicats passe par ces OPCA, il faudrait les réorganiser.

 

Renforcer ce qui fonctionne

Les clés de la formation tout au long de la vie seraient selon elle de promouvoir les formations qualifiantes longues, rendre accessibles des diplomes en cours de vie professionnelle, créer un portefeuille de compétences qui récapitule les formations suivies par le salarié ou le demandeur d’emploi, permettre que l’AFPA et les GRETA puissent accueillir les personnes tout au long de l’année, et pas seulement au 1er septembre, fusionner certains dispositifs : le droit individuel à la formation (DIF) qui ne marche pas assez bien, et le congé individuel de formation (CIF) qui fonctionne mieux, mais concerne seulement 30 à 40 000 personnes par an, alors que c’est une très bonne formule pour compléter ses compétences ou changer de métier. Le Fongeif songe pourtant à réduire le volume des CIF… S’inspirer du contrat de transition professionnelle (CTP) et développer le contrat de sécurisation professionnelle qui lui a succédé, et permet un retour à l’emploi très rapide. Enfin, il faut des critères d’évaluation beaucoup plus précis sur les formations : suivi, comptable, satisfaction des personnes formées, qualité des formation en terme d’acquisition de compétences, de reconversion.

 

Ainsi derrière l’attaque préliminaire contre le diplôme, ce sont bien les acteurs et tout le système de formation continue et d’orientation professionnelle qui sont visés. 

Danielle Kaisergruber, Formation : le culte du diplôme, Editions de l’Aube 2012

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