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J’ai écrit ce texte en essayant d’y mettre les sensibilités qui me viennent de mes différentes expériences professionnelles : enseignant de finances publiques, responsable des études économiques du ministère du travail, cabinets de ministres de l’industrie, du travail et du Premier ministre, DRH de grandes entreprises, dirigeant d’un grand cabinet de conseil et de formation, dirigeant d’une entreprise de l’économie sociale. J’espère n’avoir trahi aucun de ces apprentissages dans cette proposition.

 

tva clap

Contenir les dépenses de sécurité sociale est un mirage !

Si une modération de la dépense de santé est possible, la croissance de celle-ci est certaine. Les traitements chroniques d’hommes et femmes vieillissants se prolongent. Nous avons de plus en plus de bébés grands prématurés. Les nouveaux médicaments coûtent de plus en cher. Les nouvelles générations d’appareil de diagnostic voient leur prix exploser. Les maladies mentales se multiplient avec les autres maux de « civilisation ». Les normes de sécurité dans les hôpitaux et cliniques s’alourdissent chaque année. Les responsabilités judiciaires qui pèsent sur les professions de santé se traduisent par des dédommagements toujours plus élevés.

 

Des économies majeures ou de bouts de chandelle sont possibles. Les aides au diagnostic et les bonnes pratiques peuvent se généraliser. Les innombrables médicaments à service médical rendu faible ou nul peuvent être rayés impitoyablement des remboursements. Des réglementations environnementales drastiques peuvent conduire agriculteurs, chimistes, constructeurs automobiles (etc., etc.) à ne plus être des tératogènes massifs. Le management des hôpitaux et cliniques peut progresser. Et de considérables économies peuvent être faites dans l’administration de la Sécurité sociale.

 

Le solde restera pourtant négatif : un président socialiste ne peut avoir pour politique de réduire les remboursements et les dépenses de santé croîtront plus que le PIB et plus que les salaires qui servent d’assiette à leur financement.

 

La dépense pour la retraite connaîtra une croissance certaine, sauf à réduire davantage les prestations

L’espérance de vie s’améliore. Les capacités physiques et mentales des personnes âgées progressent également, mais pas au point de les garder aussi innovantes, adaptables, performantes, productives que les plus jeunes. L’âge de la retraite ne reculera pas autant que l’espérance de vie s’allonge. Les durées et les déroulements de carrière des femmes s’égalisent progressivement avec celles des hommes et leur liquidation de retraite se feront de plus en plus au même montant que pour les hommes. Le niveau moyen des retraites va donc s’élever en même temps que la durée de leur service. Et retraitées plus longtemps, les personnes âgées accepteront-elles que leurs pensions n’évoluent qu’au rythme d’un indice des prix mesuré comme on le sait et de rester exclues du mouvement général d’augmentation des niveaux de vie des actifs ?

 

Sans oublier les autres branches

Prendra-t-on le risque de mettre à bas les transferts qui ont si puissamment contribué au maintien d’une natalité française raisonnable, loin des suicides démographiques de l’Europe centrale et nordique ? Retardera-t-on indéfiniment la naissance de la branche dépendance ? Réduira-t-on les soutiens aux personnes handicapées ?

 

La prévention elle-même, enfin considérée comme une dépense de santé utile, commence par coûter lourdement avant de rapporter des économies futures. Quel sera, par exemple, le coût dès maintenant des trois injections de vaccins contre les papillomavirus à des millions de femmes dont quelques milliers éviteront plus tard un cancer du col de l’utérus ?

 

D’ailleurs, si on savait stopper la croissance des dépenses de santé dans un Etat moderne, d’autres, plus inventifs ou moins bloqués que nous, auraient déjà trouvé la recette.

 

Augmenter les recettes, modifier leur assiette : la seule issue

Si la croissance des dépenses ne peut être stoppée, il faut donc augmenter les recettes.

Les cotisations sociales l’ont déjà été. Elles sont indolores pour le salarié, seul véritable payeur mais qui ne voit et ne regarde que son salaire net. Elles ne le sont ni pour l’employeur qui signe les chèques pour l’URSSAF, ni pour l’économie française dont la capacité concurrentielle est mise à rude épreuve. Elles ont pour défaut économique fondamental d’être assises sur des salaires, qui grandissent moins vite que notre production de biens et de services, productivité et création de valeur prenant leur part croissante. Elles ont pour défaut politique fondamental de financer des politiques de solidarité nationale par une partie seulement de la population.

 

Les recettes qui financent la sécurité sociale doivent répondre à plusieurs conditions :

–       Elles ne doivent pas pénaliser la compétitivité de l’économie

–       Elles doivent croître aussi vite que l’économie

–       Elles doivent être, si possible, indolore pour ne pas accroître le rejet de l’impôt

–       Enfin, c’est le plus important, elles doivent financer une sécurité sociale et une solidarité nationale perçues comme équitables.

 

Les recettes de poche : utiles mais marginales

Ce sont l’ensemble des taxes qui pèsent sur les consommations volontaires qui entraînent des dégradations spécifiques de la santé et que, à ce titre, il est légitime de taxer spécifiquement. L’objectif premier de ces taxes ne doit pas être de procurer des recettes, mais de pousser à la diminution des consommations, à la limite jusqu’à leur disparition. Des hiérarchies de malfaisance doivent naturellement découler des taux différenciés et on se prend à rêver de la taxation des substances actuellement illicites. Mais ces recettes ont leurs limites économiques et sociales entre capacité de résistance des agriculteurs, des multinationales de l’agroalimentaire et du tabac (et même des buralistes).

 

Impôt sur le revenu et CSG : une problématique de réforme de la fiscalité personnelle

On ne parlera pas ici des jeux possibles entre CSG et impôt sur le revenu pour lesquels des propositions considérables ont été faites, mais qui, vu leur ampleur, demanderont pour leur mise en œuvre des délais significatifs peu compatibles avec l’urgence de la résorption des déficits.

 

Reste la TVA, outil facile à manier parce que l’ensemble des agents économiques et des services fiscaux en maîtrisent efficacement l’application.

 

Les avantages de la TVA sont multiples. Augmenter ou réduire son taux est d’application immédiate. Sa répercussion sur les prix n’est jamais totale ni immédiate. Elle pèse sur l’ensemble des consommations intérieures et épargne les exportations. Sa croissance est directement fonction de celle de la consommation et toute augmentation du pouvoir d’achat (ou de l’inflation) se traduit par une amélioration de son rendement.

 

La TVA présente l’avantage indéniable d’une perception parfaitement indolore. L’anesthésie fiscale est-elle un vrai bienfait ou est-elle mortifère en permettant de lâcher la bride à la dépense ? Observons simplement que la visibilité des cotisations et de la CSG n’a pas arrêté l’alourdissement de la facture sociale et que la compétition mondiale constitue à elle seule une incitation à la sagesse.

 

Effets sur l’emploi, effets sur l’inflation, justice fiscale, compétitivité à l’exportation, justice fiscale, répartition des pouvoirs de décision, voilà les enjeux  du débat.

 

Une injustice à relativiser

L’argument de son injustice pèse évidemment. Le taux est effectivement le même pour le consommateur richissime et pour l’allocataire du RSA. Mais le consommateur aisé consomme plus que l’acheteur désargenté. Si le taux reste le même, le montant monétaire payé pour l’achat d’une Logan et pour celui d’une Mercedes 500 diffère sensiblement. Le consommateur aisé a une structure de consommation qui inclut une proportion élevée de produits et services taxés au taux normal, l’allocataire social consommant davantage de produits taxés au taux réduit.

 

Surtout il faut rappeler qu’un impôt en lui-même n’est ni juste ni injuste. C’est le jeu complet du système de prélèvements et du système de redistribution dont la justice peut être appréciée. L’injustice de la TVA doit donc être relativisée, ce qu’on oublie généralement de faire, en le rapportant aux effets redistributifs des impôts directs et des prestations sociales qui l’atténuent, voire l’annulent et dans une optique de plus grande solidarité nationale et d’amélioration des transferts sociaux cet argument devrait perdre davantage encore de son impact.

 

Combiner ressources pour la solidarité, coût du travail et pouvoir d’achat

Le jeu sur les taux de TVA peut poursuivre deux objectifs différents. Utilisée seule, l’augmentation de la TVA procure une recette supplémentaire qui peut être affectée à la dépense sociale. Combinée avec le jeu sur les taux de cotisations sociales, elle peut également contribuer soit à l’allègement du travail soit à l’amélioration du pouvoir d’achat.

 

Un premier ajustement des taux peut avoir pour objectif de procurer une ressource supplémentaire à la sécurité sociale au sens large. Naturellement il faut que la mécanique législative prévienne la tentation permanente de Bercy de la détourner vers d’autres fins.

Un autre ajustement des taux peut avoir une autre finalité : échanger un point de TVA contre un point de cotisation sociale (ne jouons pas sur les décimales !).

 

Alors la question est : un point de cotisation patronale ou salariale ?

Le MEDEF n’envisage évidemment pas une seconde que ce ne soit une cotisation patronale et plus précisément pour supprimer progressivement le financement de la politique familiale par le coût du travail.  Cette aberration politique autant qu’économique ne s’explique que par la situation de l’économie et du système fiscal français de l’immédiat après-guerre. Mais le transfert de ressource à opérer est d’une telle ampleur qu’il vaut sans doute mieux le traiter dans le cadre de la réforme fiscale globale que le candidat François Hollande avait déclarer soutenir.

En revanche, un ou deux points supplémentaires de TVA contre un ou deux points de cotisations salariales en moins a des vertus instantanées. Le salaire net s’en trouve aussitôt augmenté, répondant ainsi à une revendication salariale forte. Et cette augmentation n’est que partiellement récupérée par la hausse des prix que produit l’augmentation de la TVA puisqu’une part importante des consommations des ménages, en particulier les plus modestes, n’est pas assujetties à la TVA, le loyer en particulier. On aurait ainsi une amélioration du salaire et du pouvoir d’achat qui ne se passe pas par une augmentation du coût du travail pénalisante pour la compétitivité de l’économie et pour le moral, si fragile comme nous le savons tous, de nos chefs d’entreprise.

  

La rénovation du paritarisme

Reste la question délicate du nouvel équilibre des pouvoirs au sein des régimes de sécurité sociale qui devrait résulter de ce nouveau financement. A cotisation assise sur les salaires correspond le paritarisme. A financement fiscal devrait correspondre une entrée de l’Etat dans le système et une bonne part de l’opposition des syndicats de salariés à cette réforme vient précisément de cette perspective d’étatisation du système. Mais cette étatisation ne fonctionne-t-elle pas déjà à plein régime avec les lois de financement de la sécurité sociale, les ONDAM, les décisions de l’Etat sur le paiement à l’acte des hôpitaux, les réformes des retraites, etc. ?

 

Certes les partenaires sociaux disposent de pouvoirs réels mais encadrés de toutes parts de compétences étatiques clairement définies ou nichées dans le luxe infini des détails réglementaires qui encadrent toute l’activité des multiples régimes de sécurité sociale, sans parler de leur impact sur les régimes réellement paritaires de protections complémentaires. Ce pourrait être l’occasion de passer à un tripartisme clairement défini qui aurait pour principal mérite de mettre fin aux hypocrisies du système actuel et de mettre chacun devant la responsabilité de ses votes au sein de nouveaux conseils d’administration.

  

Et maintenant, le pacte de compétitivité !

Ce rapport Gallois que le Figaro, L’Express, Le Point et d’autres nous annonçaient sans l’avoir lu qu’il serait enterré est arrivé et, dans l’immédiate foulée, le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, prenant à revers, il faut bien le dire, aussi bien les opposants patronaux que les opposants internes à la majorité gouvernementale qui n’attendaient pas cette combinaison originale de mesures. Le débat sur la TVA « sociale » s’en trouve, momentanément dépassé parce que les ajustements de la TVA ne sont qu’une des mesures, et pas la plus notable de cet ensemble d’actions.

 

Il y a eu d’abord en toile de fond les ajustements fiscaux décidés entre loi de finances rectificative et loi de finances de l’année qui apportent un surplus de recettes auquel les ajustements de la fiscalité des entreprises contribue de manière significative, donnant donc à l’Etat des marges de ressources nouvelles. Mais il n’y a pas là de quoi financer une baisse du coût du travail puisqu’ils ont eu pour but de rapprocher d’un déséquilibre moins déraisonnable dépenses et recettes de l’Etat.

 

Il y a donc une baisse inattendue des dépenses de l’Etat, à hauteur de 10 milliards de francs, qui dégage une nouvelle marge de manœuvre, inattendue celle-là. C’est un jeu finement distribué avec la TVA diminuée légèrement de 5,5% à 5% pour les produits de première nécessité, principalement alimentaires, augmentée de 7 à 10 % pour des consommations « intermédiaires » et notamment pour la restauration qui fit un usage si controversé de la considérable baisse dont l’avait gratifiée la précédente présidence et augmentée de 19,6 à 20% pour les autres achats de biens et de services. La mythique fiscalité écologique est annoncée mais pour 2016 et devra procurer 3 milliards d’euros selon des modalités qui restent floues.

 

Et enfin l’innovation majeure, la « surprise » de ce paquet cadeau fiscal, réside dans le crédit d’impôt qui, à hauteur de 20 milliards, servira à rembourser une part des coûts salariaux supportés par les entreprises pour les salaires compris entre 1 Smic et 2,5 Smic. La feuille de paie ne bouge pas, prélèvements patronaux et salariaux subsistent intacts et donc le rôle des partenaires sociaux dans la gestion des régimes sociaux n’a pas à être réinterrogés. Restera disponible pour une réforme ultérieure, dans un climat plus apaisé, la question irrésolue à ce jour du financement de la politique familiale et de son passage vers une imposition à large assiette qui en fasse véritablement supporter le coût par la solidarité nationale et plus par le seul travail.

 

Dire que ce cocktail est simple, sûrement pas, mais dans sa diversité composite il offre une telle gamme de mesures qu’il est difficile de l’attaquer de front, sauf pour ceux -nombreux- qui trouvent radicale toute mesure, qu’ils soient de droite décomplexée au point d’en être extrême ou de gauche prophétique au point d’en être aussi extrême.

 

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Universitaire spécialisé en finances publiques (et en histoire des idées politiques), je suis appelé au ministère du Travail en 1974 pour y créer un département d’études permettant d’adapter le budget à l’explosion du chômage. Très vite oubliées les joies subtiles du droit budgétaire et du droit fiscal, ma vie professionnelle se concentre sur les multiples volets des politiques d’emploi et de soutien aux chômeurs. Etudes micro et macro économiques, enquêtes de terrain, adaptation des directions départementales du travail à leurs nouvelles tâches deviennent l’ordinaire de ma vie professionnelle. En parallèle une vie militante au sein d’un PS renaissant à la fois en section et dans les multiples groupes de travail sur les sujets sociaux. Je deviens en 1981 conseiller social de Lionel Jospin et j’entre en 1982 à l’Industrie au cabinet de Laurent Fabius puis d’Edith Cresson pour m’occuper de restructurations, en 1985 retour comme directeur-adjoint du cabinet de Michel Delebarre. 1986, les électeurs donnent un congé provisoire aux gouvernants socialistes et je change de monde : DRH dans le groupe Thomson, un des disparus de la désindustrialisation française mais aussi un de ses magnifiques survivants avec Thales, puis Pdg d’une société de conseil et de formation et enfin consultant indépendant. Entre-temps un retour à la vie administrative comme conseiller social à Matignon avec Edith Cresson. En parallèle de la vie professionnelle, depuis 1980, une activité associative centrée sur l’emploi des travailleurs handicapés qui devient ma vie quotidienne à ma retraite avec la direction effective d’une entreprise adaptée que j’ai créée en 1992.