par Daniel Ratier
Co auteur d’un rapport relatif à l’impact des TIC sur les conditions de travail publié conjointement par la Direction Générale du Travail et le Centre d’Analyse Stratégique (1), Daniel Ratier répond aux questions de Metis sur les principaux risques mais aussi les nombreuses opportunités du numérique pour le travail en entreprise.
Quel premier bilan pouvez-vous faire de cette initiative ?
Le premier objectif de ce rapport était de présenter les principaux risques auxquels les TIC peuvent contribuer pour les conditions de travail. Il s’agissait d’alerter sur des problèmes déjà importants et qui ne peuvent que grandir s’ils ne sont pas pris en compte. Mais notre intention allait au delà en incitant à se préoccuper davantage de la relation entre l’homme et le numérique au travail, à sortir de la focalisation habituelle sur les outils pour parles des usages. Cette problématique est insuffisamment traitée alors que les enjeux qui lui correspondent sont essentiels et concernent le social comme l’économie : qualité des conditions de travail, démultiplication des RPS mais également gain de productivité, performances de l’entreprise et potentiel d’innovation.
Le rapport a connu un certain succès mais nous sommes encore loin du compte. La question des usages du numérique au travail reste très insuffisamment abordée par les entreprises et les partenaires sociaux. Un certain débat existe sous la forme de séminaires ou de colloques mais il reste épisodique et largement théorique. Au sein des entreprises, le dialogue social sur le numérique est presque exclusivement orientée sur l’emploi. Lorsque le sujet est posé lors comités d’entreprise ou des CHSCT, la préoccupation des IRP est généralement strictement focalisée sur les réductions d’effectif qui peuvent éventuellement accompagner la mise en place de nouveaux outils numériques. Cette préoccupation certainement très utile mais ce n’est pas suffisant. Les impacts du numérique sur le travail des salariés, son organisation, les conditions de sa réalisation, que ce soit en lien avec la productivité ou la qualité de la vie au travail, sont généralement peu ou pas pris en compte. Il en va des risques comme des opportunités. D’une manière générale, les possibilités de création de valeur qui peuvent résulter de l’optimisation de la relation entre l’humain et la technologie restent mal identifiées et peu exploitées. Dans la vie des entreprises, le numérique reste encore, pour l’essentiel, une affaire confiée aux techniciens qui renvoie à une conception du travail mécaniste et abstraite, à la logique trop exclusive de la numérisation des process.
Ce constat parait surprenant car le numérique, qui n’est pas une affaire nouvelle pour l’entreprise, concerne la plupart de ses activités. Comment l’expliquez-vous ?
Contrairement au secteur grand public, dans le monde professionnel ce n’est pas l’individu qui est au cœur des préoccupations de la production de TIC mais les process de l’entreprise. Pour les éditeurs de logiciels comme pour les fabricants, il ne s’agit de proposer des outils destinés à accroitre la productivité, gagner en flexibilité, améliorer les performances des entreprises. La priorité n’est pas l’utilisateur.
Les conséquences de ce constat qui dépasse les frontières sont renforcées par le haut niveau d’externalisation des services informatiques en France. Plus qu’ailleurs en Europe, les métiers de l’informatique ont été regroupés à l’extérieur des entreprises utilisatrices. Cette externalisation a éloigné les informaticiens des usagers des systèmes qu’ils produisent et a certainement pénalisé la diffusion d’une culture numérique au sein des entreprises.
Ce défaut d’acculturation n’est pas seulement du à l’isolement des compétences. Les ‘’choses » du numérique gagnent en complexité à mesure que leurs performances augmentent. Connaître et comprendre le Big Data, par exemple, savoir en identifier les opportunités est une affaire de spécialistes y compris au sein même de l’écosystème des TIC. Les technologies du numérique se multiplient et réclament des compétences toujours plus spécialisées au risque d’une distance toujours plus grande entre les utilisateurs et les concepteurs.
Ces différents facteurs constituent un frein puissant au dialogue social sur les TIC. Près des deux tiers des dirigeants d’entreprises françaises avouent ne pas comprendre les enjeux des systèmes d’information, les IRP sont focalisées sur l’impact sur l’emploi, les DRH sont très rarement impliqués dans l’évolution système d’information de l’entreprise.
Pour quelles raisons préconisez-vous de systématiser la participation des DRH dans la conduite des projets SI ?
Un constat s’impose, le numérique poursuit son formidable développement et rien n’indique ce qui pourrait l’arrêter. Sa pénétration dans l’entreprise va inévitablement se poursuivre et avec elle la multiplication des risques et des opportunités, que ce soit pour la création de valeur ou le facteur humain. Les DRH ne peuvent évidemment pas passer à coté de cette histoire. La démonstration a été faite de l’impact très couteux et contre productif de l’insuffisance de la prise en compte du facteur humain dans projets de SI.
Il y a certainement un effort à faire, notamment en termes de formation, pour qu’ils parviennent à prendre toute la place qui doit leur revenir dans ces projets, mais l’enjeu le justifie. L’introduction d’une dimension numérique dans les missions de la DRH est aussi l’occasion d’élargir des compétences trop souvent focalisée sur la gestion du risque juridique lié au facteur humain. C’est une chance à saisir. Au delà des bénéfices que cela peut apporter à l’évolution du système d’information de l’entreprise, les métiers de la RH peuvent certainement en tirer des grands atouts. Au-delà des SIRH, l’utilisation des données pour gestion de la ressources humaines (Personal analytics) constitue un exemple intéressant des possibilités nouvelles offertes par le TIC pour la veille sociale ou encore le pilotage de politiques RH, mais c’est probablement le développement des outils 2.0 issus des technologies du web qui constituent le grand rendez-vous des DRH avec le numérique.
Les technologies 2.0 ne vont elles pas redonner au facteur humain une place centrale dans l’évolution du système d’information des entreprises ?
Le déferlement de Facebook a marqué les esprits et les promoteurs du 2.0 ont le vent en poupe. Mais l’écart est important entre les discours volontiers idéalistes sur les plateformes collaboratives ou les réseaux sociaux d’entreprise et la réalité des pratiques. On le constate, la collaboration en entreprise ne se décrète pas, en particulier quand les organisations restent sur le modèle hiérarchique et pyramidale traditionnel. Depuis deux ou trois ans, beaucoup d’entreprises ont mis en œuvre des plateformes collaboratives mais les réseaux sociaux qu’elles ont permis restent le plus souvent peu développés et peu utilisés. Les pratiques collaboratives outillées existent aujourd’hui mais semblent principalement réservées à des secteurs techniques, comme l’ingénierie de l’automobile ou de l’aéronautique. Les réseaux sociaux et autres outils 2.0 présentent incontestablement des atouts remarquables et il est probable qu’ils puissent effectivement contribuer à transformer les organisations et les manières dont elles produisent de la valeur, mais l’effort pour y parvenir est important. Le problème n’est pas technique ou financier car ces outils ne sont pas très couteux et leur mise en place ne pose pas de difficulté particulière. Leur succès se mesure à leurs usages et dépend donc du facteur humain ce qui renvoie aux missions des DRH dont l’engagement sera déterminant pour promouvoir et accompagner leur diffusion. Le 2.0 n’est pas un sujet de DSI mais de DRH.
(1) Depuis 22 avril 2013, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) se substitue au Centre d’analyse stratégique.
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