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par Wim Sprenger

Ancien responsable national au sein de la plus grande confédération syndicale néerlandaise, aujourd’hui consultant, Wim Sprenger analyse l’évolution aux Pays Bas du recours  aux experts par les conseils d’entreprises ou par le mouvement syndical. Il pointe la recomposition du marché, de ses sources de financement ainsi que la raréfaction de l’internalisation, largement due à la désyndicalisation.

 

Sprenger

Conseils d’entreprise et experts : l’impact des nouvelles règles

Le GBIO néerlandais (Institut commun pour le soutien aux conseils d’entreprises) a fermé ses portes en 2013. L’institut avait été créé en 1975 par la fondation bipartite du travail. Il finançait des formations particulières grâce à une taxe annuelle que toutes les entreprises couvertes par la loi sur les conseils d’entreprises (CE) devaient payer. Cet argent permettait ainsi aux conseils de financer (une partie de) leur formation. Dans ce contexte, le nombre annuel de jours de formation subventionné est passé de 2415 en 1976 à approximativement 19000 en 2002, tandis que le nombre de sessions d’une demi-journée est récemment monté à plus de 25000. Dans la mesure où l’institut ne finançait que des formations organisées par des instituts reconnus, il a également aidé à développer tout un réseau d’instituts d’expertise spécialisés dans la formation et le soutien aux CE, dont les instituts de formation créés par les syndicats faisaient également partie.

Ce système permettait aux PME de faire financer en partie les formations de leurs CE par les plus grandes entreprises, la taxe étant un pourcentage équivalent pour toutes les entreprises. Ainsi, les entreprises ayant un chiffre d’affaires supérieur à 14 millions payaient en réalité pour les formations des plus petites compagnies. Cette coopération était contestée depuis des années par la plus grande organisation d’employeurs du pays, la VNO-NCW. Il a fini par avoir gain de cause. Le GBIO a non seulement dû fermer, mais il a également été mis fin à la taxation commune. À l’heure actuelle, les conseils d’entreprises ont certes le droit de bénéficier de formations payées par leur employeur et données par un expert reconnu, mais il semble que le nombre de formations reçues par les plus petits CE est en train de diminuer.

 

Avec la reconnaissance de leur droit à influer sur la prise de décision en cas de restructurations ou autres enjeux stratégiques, les CE ont un second moyen pou mobiliser l’expertise externe. La loi sur les conseils d’entreprises (Wet Ondernemingsraden) leur permet en effet d’engager les experts de leur choix (article 16 et 22) au frais de leur employeur. Celui-ci doit être informé à l’avance du coût de l’expert, ce coût doit être raisonnable et tenir compte de la tâche pour laquelle l’expert assiste le conseil. En cas de désaccord sur le budget entre le conseil et l’employeur, ces derniers peuvent saisir pour une médiation une des Bedrijfscommissies (organes nationaux bipartites pour les secteurs commerciaux, publics et non-lucratifs). Si le conflit persiste, une des deux parties peut se rendre auprès d’un juge pour obtenir une décision finale.

 

Malgré la reconnaissance légale du droit à l’expertise, son utilisation concrète varie considérablement. Une étude du GBIO de 2003 montrait ainsi que le recours aux experts était étroitement corrélé à l’activité et l’expertise propres aux CE, et ce quelque soit le secteur pris en compte. Il n’existe pas de données disponibles plus récentes sur le recours à l’expertise. Néanmoins, une étude de 2010 suggère que les CE des plus grosses compagnies ont davantage recours aux consultants externes. 10 CE parmi les plus grosses entreprises et 5 « medezeggenschapsraden » (organes combinant des représentants des employés et des usagers, et qui ne relèvent pas de la loi sur les conseils du travail) du secteur de l’éducation primaire et secondaire ont été interviewés sur leur recours à l’expertise. Les 10 CE ont engagé des experts externes au moins une fois par an et la plupart plus d’une fois. À l’inverse, dans l’éducation qui ne dispose pas du droit reconnu de recourir à l’expertise, des experts ont été engagés en moyenne moins d’une fois par an, en général après la survenance d’un conflit avec la direction.

 

La reconnaissance du droit à l’expertise a entrainé l’émergence de tout un réseau de bureaux d’expert spécialisés auprès des CE. Les syndicats (responsables pour les plans sociaux et qui doivent être informés et consultés par la direction avant d’éventuels licenciements ou rachats) et les CE (impliqués dans les processus décisionnels) coopèrent dans la sélection et l’embauche d’experts payés par l’entreprise.

 

Une expertise syndicale interne en diminution

 

Les syndicats néerlandais ont recours à des experts internes depuis de nombreuses années. C’est le cas des Confédérations FNV (1 180 000 membres en 2012), CNV (341 000) et MHP (132 000), ainsi que de leurs plus gros syndicats membres. Une partie de ces experts internes sont indirectement financés par le gouvernement au travers du financement de projets et d’internalisation de spécialistes. Ces experts travaillent pour des groupes de syndicalistes ou des syndiqués individuels (consultation individuelle et soutien juridique syndical, formation des membres ou des représentants) de même que pour les syndicats en tant que tels et pour leurs permanents rémunérés (préparation de politiques et représentation).
Petit à petit, le nombre d’experts internes a commencé à diminuer, en partie du fait de la tendance syndicale à se concentrer sur les activités fondamentales du travail et des revenus. Les instituts de formation ont été privatisés et sont progressivement devenus des acteurs indépendants sur le « marché de l’expertise », en gardant toutefois un lien particulier avec le mouvement syndical. La même remarque vaut pour les services juridiques et pour le soutien syndical aux conseils d’entreprises.

 

Par ailleurs, l’expertise interne a également connu une baisse considérable ces dix dernières années. L’ensemble des syndicats et confédérations emploient aujourd’hui un maximum de 100 consultants internes. C’est à peu près la moitié de ce qu’elle était il y a 15 ans, alors que le nombre de membres a légèrement augmenté. Il y a à l’heure actuelle un expert pour une moyenne de 19 000 membres, alors que la proportion était encore de 1 pour 10 000 au tournant du XXIème siècle. Le déclin constant du taux de syndicalisation (l’emploi total ayant augmenté) est l’une des raisons principales qui expliquent la limitation du niveau d’expertise interne. Au sein de la CNV, le nombre d’experts internes est très bas. La FNV est quant à elle en pleine restructuration et vise le regroupement des syndicats et de la confédération, au moins en ce qui concerne le back office. Il est difficile de savoir si cela se traduira par une nouvelle diminution de l’expertise interne.

 

De son côté, le gouvernement a réduit le financement de la recherche syndicale à presque rien. Les syndicats dépendent désormais de recherches et de compétences externes, mais les universités ont de moins en moins la possibilité de les fournir à un prix abordable.
Deux tendances compensent en partie cette perte d’expertise:
– Une série de compagnies privées spécialisées dans la recherche et orientées vers les partenaires sociaux et la consultance s’est développée. Nombre d’entre elles emploient d’anciens experts syndicaux. Leurs clients peuvent être des syndicats, mais le gros de leur travail s’adresse aussi bien aux syndicats qu’aux employeurs : expertise permettant d’améliorer la négocation collective et ses résultats, consultance stratégique et management intérimaire pour des syndicats et (petites) organisations d’employeurs, recherche prospective.
– Depuis les années 90, un réseau de formation sectorielle et de fonds pour le marché du travail s’est développé. Ces organisations sont dirigées par les partenaires sociaux d’un secteur donné et elles obtiennent leur financement par le biais d’accords collectifs sectoriels. Elles financent de la formation professionnelle, des instruments spécifiques pour le marché du travail, de l’information, de la consultance et un peu de recherche, organisés en interne ou en externe. On peut donc considérer que le déclin de l’expertise interne du mouvement syndical a été compensé en partie par la création d’expertise interne pour et par les partenaires sociaux sectoriels.

 

Certains syndicalistes considèrent qu’il s’agit là d’une avancée. Selon eux, la consultance et la recherche orientées vers l’ensemble des partenaires sociaux permet une meilleure mise en mise en oeuvre de leurs résultats.

 

Wim Sprenger est le principal associé du cabinet Opus 8

 

 

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