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C’est ce qu’affirme Karima Delli, eurodéputée (Verts/Alliance Libre Européenne), membre de la commission des affaires sociales du Parlement Européen dans une interview exclusive pour Metis. Passant en revue les effets de la crise sur la stratégie européenne dite UE 2020 mais aussi sur plusieurs des politiques nationales, elle exprime ses convictions sur le caractère social du projet vert. Et insiste sur la nécessité d’inventer de nouveaux modèles pour faire face à la crise.

K Delli

Quelles sont pour vous les forces et les faiblesses de la stratégie européenne sur la transition énergétique ?

Cette stratégie se définit par trois objectifs dits « UE 2020 » : engagement de réduire d’au-moins 20% les émissions de gaz à effet de serre de l’UE, 20% minimum d’énergies renouvelables, et au moins 20% d’économie d’énergie. Les engagements européens sont donc contraignants, et c’est la force de cette stratégie : avoir des objectifs de moyen-terme clairs, qui s’imposent à tous les Etats européens. Sa faiblesse, c’est l’absence d’engagement à long-terme, ainsi que d’évaluation à mi-parcours. Par ailleurs, on ne différencie pas entre les énergies faiblement émettrices de CO2 : l’énergie nucléaire repose sur un combustible fossile et rare, l’uranium, contrairement aux renouvelables. Considérer le nucléaire comme une énergie « propre » est une erreur.

 

La crise, dans les pays de l’UE qui la connaissent, ne risque-t-elle pas de bloquer ou de ralentir la mise en œuvre de cette stratégie ?

Je constate que la crise a bon dos et qu’effectivement les politiques d’austérité budgétaire devenant l’alpha et l’omega de la gestion macroéconomique, les autre politiques publiques accusent le coup, qu’il s’agisse de relance budgétaire, d’investissements verts, des politiques sociales et culturelles qui fondent la cohésion sociale. La focalisation des gouvernements européens de droite comme de gauche sur la sacro-sainte « compétitivité », via la baisse du coût du travail, est une erreur qui va nous coûter cher. Pourtant, avec la transition écologique, on s’attaque en même temps à régler la crise sociale, la crise de l’emploi, la crise du travail et les défis environnementaux. La transition énergétique à l’échelle européenne devrait donc être une priorité car c’est la solution pour sortir des crises multiples.

 

Quels sont aujourd’hui les pays les plus avancés, les pays modèles en la matière et à l’inverse ceux qui sont vis à vis de cette stratégie en position la plus critique ?

Je citerais évidemment l’Allemagne qui a renoncé au nucléaire an anticipant les besoins énergétiques d’aujourd’hui et de demain. En faisant le choix de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables, elle va non seulement pouvoir se concentrer sur l’élimination progressive des énergies fossiles, mais elle bâtit aussi de nouvelles filières industrielles d’excellence, et assure des emplois durables à ses citoyens. J’apprécie aussi les efforts réalisés en Autriche où chaque année, le Ministère de l’Environnement investit plus de 700 millions d’euros dans des mesures qui favorisent la création d’emplois verts et d’autres mesures favorables à l’environnement : subventions en matière d’autosuffisance dans la production énergétique, de services de conseil énergétique, de rénovation thermique ou encore d’installation de panneaux photovoltaïques. Si les engagements européens se durcissent, les pays qui n’ont pas anticipé cette évolution énergétique vont se retrouver avec de lourdes difficultés. En France, la conférence environnementale fixe un cap plutôt flou, car si la TVA sur la rénovation thermique est abaissée à 5%, la loi de programmation sur l’énergie est repoussée à 2014. Où en-est-on de l’engagement présidentiel de réduire la part du nucléaire à 50% ? En matière d’environnement, je regrette que l’on ne soit toujours pas passé de la parole aux actes.

 

La transition énergétique ne semble pas faire recette auprès des citoyens les plus pauvres et parmi eux nombre de salariés : quels sont vos arguments pour les convaincre qu’il « faut y aller » ?

Je dis toujours que justice sociale et justice climatique vont de pair, et ce n’est pas un concept creux. L’un des piliers de la transition énergétique, c’est la lutte contre la précarité énergétique. On est précaires énergétiques quand on ne peut plus payer ses factures d’électricité, de gaz, et que la seule solution pour les payer, c’est de couper dans ces dépenses en altérant sérieusement ses conditions de vie. Avec des politiques de soutien à l’efficacité énergétique, on réduit les factures d’énergie, on redonne un peu de pouvoir d’achat et on réduit l’empreinte écologique. Par ailleurs, si nous avons besoin d’une taxe carbone afin de lutter efficacement contre les émissions de gaz à effet de serre, il faut instaurer en parallèle un « bouclier social énergétique », en commençant par une définition commune de la précarité énergétique. D’ailleurs, le Parlement européen a soutenu mes propositions de lutte contre la précarité énergétique quand il a voté mon rapport sur le « Logement social dans l’Union européenne ». Ce qui manque aujourd’hui, c’est la volonté politique ferme de déclencher ce cercle vertueux, en investissant dans les filières vertes. Il faut aussi accompagner les citoyens dans cette mutation et donc faire de la pédagogie.

 

Les travaux européens sont nourris de nombreux scénarii sur l’emploi mais comment voyez-vous la transition en la matière et donc la conduite des changements nécessaires alors que la gestion des restructurations a montré nombre de limites jusqu’à présent ?

Sur l’emploi et la transition énergétique, je souhaiterais donner quelques chiffres pour se rendre compte du potentiel exceptionnel qui nous tend les bras. Selon la Direction Générale de l’Environnement de la Commission européenne, une mise en œuvre complète de la législation européenne en matière de déchets permettrait d’économiser 72 milliards d’euros par an et de créer plus de 400 000 emplois d’ici à 2020. C’est un exemple parmi d’autres de tous les emplois Verts qui résulteront d’une transition énergétique ambitieuse. Mais je suis d’accord avec l’OIT quand elle dit que des emplois verts, s’ils contribuent à limiter les émissions de gaz à effet de serre, à réduire les déchets et la pollution, doivent aussi être des emplois décents garantissant des revenus adéquats, la protection sociale et le respect des droits des travailleurs. Il faut donc accompagner les changements, et là, je constate que les écologistes sont bien isolés dans leurs efforts. Nous recevons peu de soutien lorsque nous promouvons des politiques de prévention réellement universelles, lorsque nous proposons un plan d’action européen de suppression de l’amiante, ou lorsque nous dénonçons l’impact de l’organisation du travail sur la santé des salariés. Je pense aussi que l’instauration d’un revenu de base inconditionnel, d’un montant supérieur au seuil de pauvreté, est une solution pour en finir avec le chantage à l’emploi et la mise en concurrence des salariés.

On a un peu l’impression que la question sociale n’est pas vraiment présente chez les Verts européens et que, plus globalement, l’écologie politique ne percute plus chez nombre de citoyens. Qu’en pensez-vous et comment définiriez-vous aujourd’hui un projet social vert ?

L’impression, fausse, que les Verts ne s’intéressent pas à l’Europe sociale est due à plusieurs raisons. Il faut déjà dire que nous sommes peu nombreux, 57 députés sur 754 au Parlement européen, nous ne sommes pas représentés à la Commission européenne et encore moins au Conseil. Naturellement, nous avons peut-être tendance à travailler davantage avec les ONG, les associations et les collectifs du secteur social. Pourtant, nous menons énormément de campagnes communes avec les syndicats, par exemple dans le domaine de la santé au travail, où les écologistes sont des fers de lance. « L’Alliance du printemps » pour l’Europe incarne ce rassemblement des mouvements écologistes et sociaux, puisque son manifeste postule comme premier objectif « l’établissement d’une stratégie économique et de gouvernance au service des peuples et de la planète ».

 

La montée du FN en France, de l’UKIP au Royaume uni, de forces populistes aux Pays bas et dans les pays du Nord n’est-elle pas un « merveilleux malheur » afin de vous obliger à convaincre, sur de nouvelles bases une majorité d’Européens devenus très eurosceptiques ?

Avec la crise, on constate qu’il y a un repli identitaire, et que le contexte de crise favorise les discours simplistes de l’extrême-droite. Pourtant, ils ne proposent aucune solution, face à des défis complexes. Sur notre obligation à convaincre, bien sûr, c’est plus que jamais le cas. Nous les écologistes, devons notamment être capables de démontrer en quoi les enjeux sociaux et environnementaux sont liés, et pourquoi les vieilles politiques basées sur la quête de la croissance sont périmées et nous mènent droit au mur. Il faut être clair : on ne peut pas reculer sur la construction européenne à cause de l’extrême-droite, car les Etats européens isolés seront incapables de répondre aux grands défis du XXe siècle que sont la mondialisation économique et les changements climatiques.

 

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