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par Maria Skóra

En Pologne, l’entreprenariat est perçu comme une solution à la crise économique qui secoue l’Europe. Subventions pour la création d’entreprises, incubateurs, consultance gratuite: les incitations à devenir un travailleur indépendant ne manque certainement pas. Mais quelles conséquences cette politique a-t-elle sur les conditions sociales de ces nouveaux entrepreneurs, ainsi que sur la stabilité du secteur? Merci à Social Europe Journal de nous avoir permis de reproduire la tribune de Maria Skóra, une experte travaillant pour la Fondation Friedrich Ebert et pour l’organisation syndicale OPZZ

 

Après la chute du communisme en Pologne, la renaissance de l’entreprenariat était considérée comme base de reconstruction de la société civile. Au fil du temps, cette confiance en l’entreprenariat fit son chemin dans les écoles et était enseignée aux jeunes gens sur le point de devenir adulte. L’adhésion du pays à l’Union Européenne ne fit que généraliser le terme, qui tout comme « innovation » et « créativité, » sont devenus des mots courants de la novlangue de la modernisation. L’entreprenariat est perçu comme un remède à la crise financière qui a finalement inondé « l’île verte » de la Pologne, ainsi que l’a appelé son Premier Ministre Donald Tusk en 2010. Ce concept a cependant une forme très particulière.

 

Selon une enquête de la Gfk de 2012, la nouvelle génération polonaise est la plus enthousiaste d’Europe quant à l’entreprenariat. De plus, les entrepreneurs polonais représentent un pourcentage important de la main d’œuvre nationale. Les 23 % de la Pologne sont bien supérieurs à la moyenne européenne d’entreprenariat, qui se limite à 15 %. On peut raisonnablement affirmer que les capacités créatives et la tendance à l’innovation se généralisent. Cependant, parmi ces trois millions d’entrepreneurs, seul un cinquième sont eux-mêmes des employeurs. Les autres sont simplement des indépendants qui n’emploient personne d’autre. Comme le montre une étude de l’Agence Polonaise pour le Développement des Entreprises, le micro secteur polonais est beaucoup moins stable que dans d’autres pays européens.

 

Bitspiration Conference Poland

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Deux entrepreneurs polonais expliquent leur projet lors de la conférence Bitspiration, un évènement pour la promotion des start-ups polonaises. Crédit: Creative Commons/Flickr/jdlasica

 

Bien que le secteur des micro, petites et moyennes entreprises polonaises est dans son ensemble comparable à celui de l’Union Européenne, il existe des différences importantes dans sa composition. ce secteur est tout d’abord dominé par les micro-entrepreneurs : 92 % d’entre eux sont des individus engagés dans une activité économique et 90 % des nouvelles entreprises sont formées par des indépendants soutenus par les membres de leur famille. Cependant les micro-entreprises polonaises ne sont pas réellement compétitives, car quand on les compare à la moyenne européenne, leur valeur ajoutée brute représente à peine le tiers de cette dernière. De plus, leur taux de survie est relativement bas : après douze mois d’existence, 25 % d’entre elles auront disparu. Ce pourcentage ne fera qu’augmenter avec le temps. Après deux ans, il n’en restera plus que 54 %, et après cinq ans, moins de 31 %. En raison du système national d’assurance santé, seule une partie (2,6 millions) des 3,7 millions de compagnies enregistrées en Pologne effectuent des opérations financières. Le système polonais se caractérise aussi par une grande diversité géographique : les zones urbaines sont les plus dynamiques dans ce secteur. En même temps, il est vrai que la moitié de ces indépendants sont des petits fermiers. Alors, la stratégie entrepreneuriale fonctionne-t-elle vraiment ? Oui, pour les gouvernements libéraux.

 

Il y a tout juste quelques jours, le ministre du développement régional Elzbieta Bienkowska a annoncé le lancement d’une initiative visant à réallouer 50 millions d’euros à l’intérieur d’un des programmes opérationnels de l’Union Européenne pour renforcer le soutien aux indépendants dans deux catégories de travailleurs en difficulté : les jeunes et la catégorie « 50 ans et plus ». Il est clair que la promotion du travail indépendant est devenue une façon de combattre le chômage en Pologne. Cette tendance semble être dans le prolongement de l’inspiration néo-libérale qui se manifeste par l’abandon par l’Etat de ses responsabilités sociales. Depuis cette transformation politique, aucune stratégie efficace de création d’emploi n’a été développée. Ce qui a eu le plus d’effet sur le taux de chômage depuis 2004, c’est en fait la migration des travailleurs. Cette promotion du travail indépendant semble donc être une stratégie qui transfère la responsabilité d’améliorer les chiffres du travail des institutions publiques aux individus.

 

De nombreux projets offrent leur aide pour aider à la création d’une start-up. Le travail indépendant est également encouragé par le Gouvernement Plénipotentiaire pour l’Egalité des Traitements en tant que solution aux problèmes de participation des femmes dans le marché du travail, ainsi que comme un moyen de combattre la discrimination entre les sexes. Les étudiants sont aussi incités à créer des entreprises à travers ce qu’on appelle les incubateurs d’entreprise académiques. Les programmes d’emploi d’anciens étudiants et de stages gratuits sont complétés par des expériences de travail indépendant. De plus, un nombre important des fonds de l’ESF destinés à améliorer la cohésion sociale et l’intégration dans le marché du travail sont employés à créer des subventions pour les chômeurs souhaitant créer leur propre entreprise. Cette fausse stimulation de l’entreprenariat se transforme en travail indépendant, qui est soutenu artificiellement par de la consultance gratuite et des prêts à taux d’intérêt préférentiel pendant la première année d’activité, laquelle est aussi la période obligatoire pour être éligible pour un financement européen.

 

Il s’agit donc d’une solution, bien que temporaire, au chômage et à l’exclusion du système de sécurité sociale. D’un autre côté, les chiffres montrent qu’un nombre croissant de nouveaux entrepreneurs sont en fait des indépendants fournissant des services aux employeurs. Cette transformation des relations de travail découle des économies fictives faites par les patrons polonais. En 2012, les coûts non-salariaux en Pologne représentaient 22 % de tous les coûts, une moyenne équivalente à celle de l’Union Européenne. Cependant, il est régulièrement affirmé que le coût de la main d’œuvre polonaise est trop élevé et qu’il bloque la création d’emploi dans le secteur privé. La promotion du travail indépendant libère donc les employeurs des charges salariales et transfère le fardeau sur leurs anciens employés qui, en tant qu’indépendants, doivent couvrir 100 % des cotisations sociales.

 

La création de sa propre entreprise n’est pas toujours le résultat d’un calcul économique ou d’une motivation psychologique. En Pologne, ce choix se fait par sélection négative dans un contexte d’obligationà trouver des ressources économiques et d’incapacité à trouver un emploi. La popularité actuelle du travail indépendant n’est pas sans rappeler une autre réforme du marché du travail, du temps où le concept de flexibilité était en vogue. La dénormalisation et la flexibilisation des contrats de travail ont commencé rapidement après l’entrée de la Pologne dans l’Union Européenne avec la vague des slogans d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Les contrats civils se sont substitués aux contrats à plein temps soumis au code du travail, sans aucun souci des droits des travailleurs ou de leur niveau de protection sociale. Aujourd’hui, on observe que l’on poursuit toujours le même chemin. De plus, ce processus ronge de l’intérieur la solidarité des travailleurs du fait que ni les employés sous contrats civils, ni les indépendants ne sont représentés dans le dialogue social. Les syndicats ne peuvent officiellement défendre leurs intérêts car la loi n’a pas suivi le rythme du changement des relations industrielles. Entre temps, la population active est sous pression constante pour qu’elle abandonne ses normes de sécurité de travail du fait de la crise. On semble oublier que les mesures d’austérité n’ont encore aidé aucun pays à sortir de la crise.

 

Tous les chiffres mentionnés dans cet article viennent des sources suivantes :

 

Eurostat Databases

Małopolskie Obserwatorium Rynku Pracy i Edukacji/Wojewódzki Urząd Pracy w Krakowie, Kraków 2011

Brussa A., Tarnawa A. „Raport o stanie sektora małych i średnich przedsiębiorstw w Polsce », Polska Agencja Rozwoju Przedsiębiorczości, Warszawa 2011

 

Merci encore à Social Europe pour sa tribune.

 

Sur l’auteur: Maria Skóra est une candidate de l’école doctorale de l’Université de Wroclaw. Elle s’intéresse particulièrement aux questions de genre, de politique familiale et d’égalité des genres. Elle a travaillé au Ministère du Travail et de la Politique Sociale à Varsovie, ainsi que pour le bureau polonais du Projet UNDP. En ce moment, elle travaille comme experte pour la Friedrich Ebert Stiftung Warschau et la All-Poland Trade Union Association. 

 

Article réalisé en mai 2013 et paru dans Social Europe Journal.

 

Traduit de l’anglais par Metis

 

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