par Claude Emmanuel Triomphe & Albane Flamant
Dans la deuxième partie de cette interview exclusive, Charles Woolfson se penche sur l’évolution de la société civile d’Europe centrale et orientale. Quelle sera la place des syndicats dans le développement de ces pays ? Quelles seront les conséquence des troubles sociaux actuels ? A quoi tiennent les différences qui existent en terme d’activisme social entre les nombreux pays de la région ?
Les syndicats sont-ils une relique du passé ? Que représentent-ils pour les nouvelles générations ?
Malgré mon pessimisme, je pense qu’il a toujours existé un sentiment de révolte contre l’injustice au niveau collectif. C’est ce qui fait de nous des humains. De ce point de vue, le potentiel d’action collective des syndicats et des organisations civiles est toujours aussi fort, ou même plus fort qu’il n’a jamais été. Le néolibéralisme est une théorie qui a échoué et qui a engendré un système économique qui a échoué. Les gens comprennent cela. Leur futur a été sacrifié pour résoudre une crise causée par la cupidité des communautés bancaires et des élites nationales. En cette période de sortie de crise, il y aura beaucoup d’opportunités pour récupérer un peu du terrain qui a été perdu dans les dernières décennies. Je suis relativement optimiste sur le long terme, bien que la crise nous ait fait quelque peu reculer au niveau social. Quant aux jeunes, ils représentent un véritable défi. Il s’agira de prouver aux jeunes que ce sont les syndicats qui sont capables de leur donner une voix sur le marché du travail. Le futur de ces organisations n’est donc pas complètement sombre. Cependant, à l’Ouest comme à l’Est, les syndicats devront passer par un processus de restructuration pour parvenir à intéresser les nouvelles générations et à les convaincre de leur utilité.
Qu’en est-il de l’implication de la société civile dans ces pays, et plus particulièrement des différentes manifestations contre la corruption dont nous avons été témoins ces dernières années en Bulgarie, en Roumanie et en Slovénie ?
Il s’agit des premiers bourgeons d’une nouvelle forme de mouvement social qui deviendra extrêmement importante dans les années à venir. En ce moment même, les Bulgares protestent contre ce qu’ils appellent 25 ans de fausse transition. Ce que je lis sur les banières de ces manifestants me rend très optimiste : « On reste, vous partez », « Rendez-nous notre pays ! ». Le nombre de ces manifestations ne fera qu’augmenter. Pourtant, cela sera plus difficile dans certains pays comme les pays baltes, où il y a à la fois moins de tradition de militantisme social et un système de répression très développé. Le printemps arabe a montré que quand les choses deviennent intolérables, les gens sortent protester dans la rue. Même avec des systèmes de police élaborés, il est impossible de les arrêter.
Qu’en est-il de la Pologne, des pays baltes et de la République Tchèque où il n’y a pas vraiment eu de mouvements de protestation ?
Il est vrai qu’il n’y a pas eu de manifestations conséquentes dans ces pays. Il n’empêche que la corruption est habituellement ce que les gens considèrent comme le moins tolérable. Même quand des affaires de corruption sont dévoilées, il n’y a pas toujours de réaction de la société civile. On sait par exemple qu’en Lettonie, alors que les salaires des travailleurs ont été diminués, les membres du gouvernement se sont alloués des bonus conséquents sans que le peuple ne s’insurge. Le problème, c’est que l’ensemble de la population ne comprend pas encore la notion de corruption. Mais à le long terme, ces politiciens ne servent que leur intérêt personnel aux dépens de leurs concitoyens qui se révolteront un jour contre cet état de fait.
Charles Woolfson est professeur d’études sociales à REMESO, l’Institut de Recherche sur la Migration, l’Ethnicité et le Société à l’Université de Linköping, en Suède. Jusqu’en 2009, il détenait la chaire d’études sociales au Département de Droit de l’Université de Glasgow. Entre 2000 et 2009, Woolfson vivait dans les pays baltes, et fut nommé à la chaire Marie Curie de la Commission Européenne de 2004 à 2009. Durant cette période, il a enseigné et fait de la recherche dans cette région.
Interview retranscrite et traduite de l’anglais par Metis
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