par Albane Flamant, Claude Emmanuel Triomphe
Metis a eu la chance de s’entretenir avec Carole Couvert, première femme présidente de la CFE-CGC (Confédération Française de l’Encadrement-Confédération Générale des Cadres). Elle nous parle de son expérience en tant que femme à la tête de ce syndicat, de la question de l’égalité professionnelle et du renouveau syndical qu’elle veut intier dans son organisation
Vous êtes la première femme présidente du CFE-CGC. Comment avez-vous vécu votre élection ?
La campagne ne s’est pas faite simplement. L’équipe d’en face a eu recours à des stratégies que je n’imaginais pas au XXIème siècle, en mettant par exemple en cause mes compétences et mon intelligence. J’ai reçu l’appel d’un journaliste qui me demandait de répondre à des propos désobligeants,c’est une blonde, elle a besoin de fiches pour s’exprimer en public. Cela laisse des traces, on se sent impuissant face à de telles rumeurs.
Il est logique que le syndicalisme se soit développé de façon un peu machiste du fait de son origine historique dans la guerre et l’industrie. Mais nous sommes à la croisée des chemins et j’espère que le fait qu’une femme puisse diriger bien un syndicat pourra faire tomber les a priori. Sans avoir choisi de quotas, notre confédération est vraiment mixte. Il suffit qu’il y ait une femme qui ouvre la voie, qui obtienne des résultats et qui parvienne à rester femme dans sa fonction. Les personnes que je rencontre sont toujours étonnées des couleurs vives et des robes que je porte.
En même temps, être femme et laisser une marque, c’est un travail en profondeur. On se souvient de l’influence de Laurence Parisot à la tête du MEDEF – principale organisation patronale française – entre 2005 et 2013. Elle est maintenant partie et n’a pas laissé de grande trace dans l’organisation. Une équipe beaucoup plus masculine lui a succédé et elle ne poursuit en rien son action. Je ressens davantage de différences quand je participe à des réunions extérieures au syndicat. Que ce soit dans le Groupe Alpha ou dans les réunions du MEDEF, je suis la seule femme dans la salle, ce qui équivaut à ignorer une partie des chefs d’entreprise, une partie du salariat…
Indépendamment du fait que je sois une femme, nous avons percé un deuxième plafond : l’âge des dirigeants de nos syndicats. C’est un défi que nous avons relevé au moment du congrès : notre trio était non seulement composé de deux femmes etd’ un homme (pour les postes de présidente, secrétaire générale et trésorier), mais il représentait trois classes d’âge différentes (40, 50 et 60 ans). Nous sommes à présent la plus jeune des 5 confédérations en termes de leadership.
Comment travaillez-vous vers plus d’égalité professionnelle dans votre syndicat ? Existe-t-il un réseau de femmes à l’intérieur de la CFE-CGC ?
En 2014, je crois que les réseaux de femmes sont dans une certaine mesure dépassés. Pendant longtemps, ils ont incarné l’idée que l’égalité professionnelle et la gestion des temps de vie étaient des sujets de « bonnes femmes », beaucoup de ces réseaux se sont tournés vers le féminisme. Les hommes doivent faire partie de tout travail visant à plus d’égalité. Ce qui importe, c’est la volonté de travailler dans la mixité.
Pour cela, nous avons mis en place un groupe de cinquante personnes à l’intérieur du syndicat. Nous avons voulu redéfinir le concept d’égalité professionnelle. La première surprise a été de constater que les hommes et les femmes ne parlaient pas de la même chose quand ils utilisaient ce terme. Pour les hommes, il s’agissait d’égalité entre hommes, et pour les femmes, d’égalité entre les deux sexes.
L’ étape suivante concernait les stéréotypes. Qui que nous soyons, nous en portons tous quelques uns. Nous avons organisé des tables rondes avec Brigitte Grésy (NDLR : Inspectrice générale des affaires sociales et Directrice de recherches au Centre d’études de l’emploi) sur le thème de la discrimination et nous avons réellement travaillé sur la notion de parité, sur la nécessité qu’hommes et femmes travaillent ensemble pour plus de congés de maternité et de paternité, pour plus d’équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle.
Est-ce que ça veut dire qu’aujourd’hui, dans une organisation comme la vôtre, l’équilibre hommes femmes est satisfaisant ?
Non, ce serait utopique de dire ça. Au niveau des dirigeants peut-être, pour l’instant, mais ce n’est pas le cas pas aux autres échelons, fédéraux ou territoriaux, où il reste beaucoup à faire. Nous avons enregistré une amélioration après nos travaux initiaux sur la mixité, mais « chassez le naturel, il revient au galop. » Il n’y a qu’une seule femme parmi les dirigeants de nos fédérations. Nous avons 22 unions régionales, mais aucune femme parmi leurs présidents. Quant à la confédération dans son ensemble, elle compte à peu près 30% d’adhérentes, ce qui correspond aux moyennes nationales.
Quelle est votre position par rapport aux quotas de femmes dans les conseils d’administration ?
Pour moi, c’est avant tout un outil de dernière instance. On va peut être devoir y venir, mais je préfère éviter l’effet « Jupettes », avec des femmes nommées juste pour remplir les quotas et dont la compétence est par là automatiquement mise en question.
Comment vous positionnez-vous par rapport à la dernière mandature de votre syndicat ?
Je suis arrivée avec un programme, une envie de faire bouger les choses et de faire évoluer la démocratie participative. Nous essayons d’avoir des débats libres dans les différentes instances. Une fois la décision prise, tout le monde se range derrière la décision.
Notre récent débat autour du changement de nom de notre syndicat est un excellent exemple de cette nouvelle politique. Nous avons ouvert une plateforme collaborative à nos 160 000 adhérents, malgré les critiques qui disaient que ce serait trop compliqué. Nous avons donc reçu plus de 7500 propositions de noms et nous avons laissé les participants voter pour leur favori. A notre insue, les résultats de ce vote électronique ont été transmis à la presse qui a décortiqué et critiqué les noms les plus en vue. Nous avons en conséquence reçu plus de trois cent courriels de mécontentement mais, parmi les insultes, il y avait aussi des commentaires constructifs sur le processus démocratique que nous avions utilisé : il y avait trop de noms pour pouvoir tous les lire par exemple. Au final, nous avons gardé le nom qui avait recueilli le plus de votes (Synaxia), mais nous avons également intégré le feedback qui nous avait été envoyé. Pour moi c’est cela le syndicalisme de l’avenir: être ouverte à la critique et agir en fonction. Je ne sais pas si c’est féminin mais c’est mon approche. Le syndicalisme doit revenir à son ADN initial qui est d’innover socialement pour gagner la bataille de la compétitivité, du pouvoir d’achat et de l’emploi durable.
Ce qu’il faut, c’est être à l’écoute dans une posture d’humilité. Les bonnes idées peuvent venir du terrain. C’est d’ailleurs ainsi que s’est créée notre application Made in Emplois. J’étais à un colloque où j’ai rencontré Charles Huet qui avait écrit un livre détaillant les emplois derrière chaque achat quotidien des Français. De ce partenariat est née une application mobile pour promouvoir l’emploi en France, pour transformer les consommateurs en consomm’acteurs. Dès la première semaine, Made in Emplois a été téléchargé plus de 6000 fois, et a fait partie du top 10 des applications de l’Apple Store en France. Depuis, nous avons reçu du feedback, des félicitations, des suggestions pour améliorer l’application… C’est l’image d’un syndicat différent, qui agit.
Parlez-nous du renoncement qui vient avec les hautes fonctions.
C’est le militantisme même qui l’impose. Cela devient un sacerdoce, on a tous envie de faire bouger les choses, et on se fait happer par l’engrenage. Quand on prend des fonctions dans une confédération, on se retrouve en situation de « célibat géographique ». Mais on le sait dès le départ, c’est un choix. On nous demande davantage de médiatisation, davantage de présence sur le terrain et, évidemment, ce n’est pas compatible avec le fait de rentrer chez soi tous les jours à cinq heures.
Est-ce que ce modèle peut évoluer ?
J’aimerais bien mais je ne vois pas comment. Je participe à des diners professionnels tous les soirs avec des militants ou des directions, je fais des interventions dans des colloques. Même si ma famille habitait à paris, je ne pense pas que cela changerait grand-chose. C’est pour cela que nous travaillons pour la reconnaissance du travail de militant comme activité non-conventionnelle.
Une question d’actualité : pensez-vous que les femmes pourraient contribuer à un renouveau du débat autour de la compétitivité ?
Là oui. Les femmes sont plus attentives aux questions de bien-être, de valeur du travail, de recherche de compétences, de mise en place d’équipes atypiques qui mettront peut être du temps à se mettre en marche mais auront des résultats plus durables. Les femmes sont plus orientées vers l’intérêt général que leur intérêt personnel.
Le gouvernement actuel a-t-il une approche innovante de la compétitivité?
Il est vraiment trop tôt pour se prononcer, c’est un gouvernement qui n’a que quelques semaines. On sent une envie de bouger mais au vu de l’état des comptes, on se demande quelle marge de manœuvre ils auront. Nous espérons qu’ils expérimenteront, qu’ils donneront sa place à la coopération avec les partenaires sociaux, et qu’une fois leurs politiques mises en place, ils prendront le temps de faire le bilan.
Sentez-vous chez Manuel Valls une conscience sociale, une envie d’innovation ?
Il a donné des signes de réceptivité, mais il s’agit maintenant de passer des paroles aux actes. Au moment où Hollande a annoncé son pacte de responsabilité, nous avions beaucoup d’espoir, mais peu de choses se sont concrétisées. Manuel Valls a reçu les partenaires sociaux quasiment le premier jour de son mandat et il avait fait une veille active sur les demandes de chaque groupe. J’attends du gouvernement qu’on soit dans un débat franc, plutôt qu’un affrontement entre parties qui ne se soucient que de leurs intérêts respectifs. Il s’agit de redonner confiance à la France et j’espère que c’est à ça que le gouvernement aspirera. Depuis un an, toute l’équipe de notre syndicat fait de la pédagogie pour donner envie à d’autres de faire des choses, de s’impliquer dans la relance de la société française.
Sabine Lochman défend l’idée de la création d’espaces de paroles libres dans les entreprises françaises; or il y a en ce moment beaucoup de femmes dans la RH, mais toujours très peu d’espaces de parole en France. Est-ce que ça pourrait être une chose que les femmes pourraient faire avancer ?
Je ne sais pas si c’est une question hommes/femmes, il s’agit plutôt de libérer l’initiative à l’intérieur de l’entreprise. Nous sommes à un tournant essentiel dans l’évolution du management qui devient progressivement un incubateur de talent. Dans cette perspective, il convient de rester ouvert à tous, de favoriser la mixité pour libérer l’expression au travail.
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