5 minutes de lecture

par Sonia Baudry & Stéphanie Fillion

La conciliation travail-famille a été promue à l’origine comme un moyen de favoriser l’insertion professionnelle des femmes, dans un objectif d’égalité. Elle s’est caractérisée, dès ses débuts, par le déploiement de politiques publiques transversales couvrant le champ de l’emploi, du droit du travail, des retraites et de la famille. La transformation des conditions économiques et des modes de vie incline cependant à redéfinir la notion et à interroger les politiques publiques sous le prisme de nouvelles tendances tant sociétales que démographiques.

 

Femme enceinte

 La conciliation travail-famille au carrefour des politiques sociales

Les politiques publiques s’efforcent d’accorder des garanties aux femmes en matière d’emploi grâce à un droit du travail protecteur pour les femmes enceintes et des dispositions encadrant le retour de congé maternité. Ces mesures ne constituent pas à elles seules une singularité française. En outre, la France consacre historiquement une part non négligeable de son PIB à l’accompagnement et au soutien des familles dans la recherche de leur mode de garde. L’universalité des allocations familiales et l’importance des avantages fiscaux consentis aux familles en matière de modes de garde font figure, avec l’école maternelle, d’axes majeurs des politiques publiques déployées en faveur de la conciliation. Enfin, en matière de retraites, de nombreux et parfois complexes mécanismes visant à restaurer l’équité liée aux interruptions de carrière ont été mis en place.

 

Au niveau européen, on observe une exception française constituée par la conjonction d’une situation démographique favorable (taux de fécondité élevé comparativement aux autres pays) et d’une présence forte des femmes sur le marché du travail (taux d’activité importants, y compris aux âges de maternité). En outre, alors que l’Allemagne opte explicitement pour le retrait des femmes du marché du travail au profit de la sphère familiale à l’arrivée du premier enfant, la position française est plus équilibrée, véhiculant l’image d’une femme mère et active parvenant à mener de pair sa carrière et sa vie de famille. Parfois non exemptes d’ambigüité, les politiques publiques françaises préservent toutefois globalement l’arbitrage des femmes entre activité et inactivité.

 

Un bilan mitigé, en dépit de cette exemplarité française

En matière d’emploi, les femmes demeurent particulièrement concernées par les situations de précarité professionnelle : plus de 80% des salariés à temps partiel sont des femmes. Au-delà, bon nombre de femmes actives occupent un emploi précaire de type CDD ou intérim. Les conséquences de cette précarité professionnelle sont plurielles : situations de pénibilité avec des horaires de travail irréguliers, accès au logement plus difficile, faiblesse des pensions de retraite, etc. Ces inégalités connaissent une acuité particulière lorsque la famille est monoparentale.

 

Crèches

En outre, l’offre de garde des jeunes enfants reste insuffisante et inégalitaire. La situation de pénurie des crèches est d’autant plus sujette à débat que ce mode de garde est celui qui est le plus accessible pour les familles modestes. Ce constat est renforcé par des disparités géographiques. En revanche, l’offre des assistants maternels a connu une augmentation forte au cours des dernières décennies, mais reste, tout comme la garde à domicile, un mode d’accueil coûteux pour les familles. La préscolarisation, en dépit de ses atouts, reste peu développée pour les enfants de deux ans.

 

Enfin, la pension de retraite moyenne des femmes représente encore seulement 72% de celle des hommes, reflétant les inégalités de parcours professionnels. Les avantages conjugaux, mis en place pour compenser l’impact de l’éducation des enfants sur les carrières féminines, sont anciens et représentent un enjeu financier non négligeable. La montée de l’activité professionnelle des femmes tend à rendre ces instruments moins utiles dès lors que la mère dispose déjà d’une carrière complète. Désormais, il s’agit d’orienter les mesures davantage sur le montant de la pension, véritable reflet des inégalités salariales.

 

Des politiques publiques à l’épreuve de nouvelles tendances sociétales

La conciliation entre la vie personnelle et professionnelle constitue aujourd’hui un enjeu majeur pour les hommes. Les décideurs publics doivent se déprendre de politiques qui cibleraient uniquement les femmes et intégrer de nouveaux équilibres, marqués par la volonté accrue des jeunes pères de s’impliquer dans leur vie familiale.

 

A titre d’exemple, le congé paternité constitue un dispositif significatif, traduction et levier de cette volonté des pères de mieux concilier leur vie professionnelle et privée. En ce sens, l’obligation pour le père de prendre un congé paternité à la naissance de son enfant serait de nature à sensibiliser les entreprises à la vision d’une parentalité ne reposant plus uniquement sur la mère.

 

Pour un nouveau modèle de conciliation entre vie professionnelle et personnelle

Précarité, temps partiel subi, discriminations, inégalités salariales: si les difficultés sont réelles, les femmes sont encore trop souvent considérées comme des victimes. En tant que jeunes femmes actives, citoyennes et spécialistes des politiques sociales, nous avons à cœur de démontrer qu’un autre modèle est possible, associant étroitement les hommes et faisant des femmes les premières actrices de leurs vies professionnelle et familiale.

 

Convaincues du bien fondé de ce modèle, notre engagement se traduit par un projet citoyen en faveur de la conciliation entre vie professionnelle et vie privée qui aura vocation à présenter de manière concrète les effets des politiques publiques en matière d’égalité entre les hommes et les femmes. Il consistera notamment à lancer un site internet mettant en exergue, dans la vie quotidienne, chaque aspect de la conciliation au regard des politiques publiques. Il s’articulera avec un volet opérationnel comportant des propositions à destination, notamment, des décideurs publics, des employeurs et des réseaux associatifs.

 

A propos des auteurs

Sonia Baudry et Stéphanie Fillion sont spécialistes des politiques publiques, enseignantes en questions sociales et en économie à Sciences Po.

 

Crédits images: CC/Flickr/LucEdouard & CC/Flickr/USACE Europe District

Print Friendly, PDF & Email
+ posts