Le Maroc a entrepris depuis plusieurs années la préparation d’une stratégie ambitieuse de développement de son système de formation professionnelle. Ce système ne répond pas en effet aux défis qui lui sont lancés aux plans économique et social.
Le taux de chômage qui s’était stabilisé aux environs de 9% depuis 2010 a dépassé 10% en 2014 et il est d’autant plus élevé que le niveau de qualification s’élève (4% chez les non diplômés, 20% et plus pour les diplômées de l’enseignement supérieur ou de la formation professionnelle). Le taux d’activité baisse et a atteint 48% en 2013 et seulement 25% chez les femmes. La croissance économique ralentit et, depuis 10 ans, l’économie marocaine ne crée en moyenne que 90 000 emplois par ans alors que plus de 300 000 jeunes se présentent sur le marché du travail. La situation est particulièrement dramatique pour les jeunes. Selon le Haut Commissariat au Plan, parmi le million de chômeurs que compte le Maroc, la majorité sont des jeunes ; 45% des 25 à 34 ans sont soit chômeurs soit inactifs ; 41,5% des jeunes qui travaillent ne sont pas rémunérés ; 1,6 million d’entre eux sont touchés par l’analphabétisme, 600 000 par la pauvreté. 34,5 % de la population de plus de 15 ans avec une prédominance féminine n’a aucun niveau d’éducation, le décrochage scolaire concerne chaque année 160 000 jeunes de moins de 15 ans et près de 200 000 parmi les 15-25 ans. Ces données traduisent des phénomènes porteurs de risques graves pour la paix sociale et la stabilité du pays.
Ces défis pèsent bien évidemment sur l’ensemble du système d’éducation et de formation, mais la formation professionnelle initiale et continue ne prend pas la place qui lui revient. Grâce à l’adoption en 1999 d’une Charte ambitieuse pour le développement de l’éducation et de la formation, et à l’impulsion donnée en 2008 avec un Plan d’urgence pour la formation professionnelle, le système de formation professionnelle a augmenté considérablement ses capacités d’accueil et engagé de multiples réformes soutenues par plusieurs bailleurs de fonds parmi lesquels l‘Union européenne et l’Agence française de développement tiennent des places importantes.
Cependant il présente toujours des faiblesses considérables. Insuffisamment développé* et de qualité limitée, il perd beaucoup d’élèves tout au long des cursus de formation et les taux d’insertion dans l’emploi de ses diplômés sont en baisse. Le système de formation continue reste embryonnaire et seules les grandes entreprises parviennent à en bénéficier. Enfin, le système est éclaté entre plusieurs opérateurs mal coordonnés qui suivent des logiques différentes. Le principal opérateur, l’Office pour la formation professionnelle et la promotion du travail (OFPPT), est un Etat dans l’Etat qui se développe de façon autonome en se finançant pour l’essentiel sur les ressources de la taxe à la formation professionnelle en principe dédiée à la formation continue dans les entreprises. Le Département (ministériel) de la formation professionnelle (DFP) peine à piloter et coordonner l’ensemble.
Dans la foulée du Printemps arabe, des dispositions ont été prises afin de donner une nouvelle impulsion à l’éducation et à la formation, et en particulier à la formation professionnelle. C’est ainsi que la nouvelle Constitution adoptée en 2011 a inscrit dans son article 11 « la mobilisation de tous les moyens à disposition pour faciliter l’égal accès des citoyennes et des citoyens à la formation professionnelle » Et suite à un discours Royal consacré à ces questions à l’automne 2013 le Département de la formation professionnelle (DFP), qui figurait jusqu’alors au sein du Ministère de l’emploi, a été rattaché au Ministère de l’éducation nationale. Le projet de stratégie nationale de la formation professionnelle (SNFP), qui avait été initié dès 2012 suite à une étude diagnostic financée par le DFP, est maintenant partie intégrante d’une stratégie plus vaste portée par le Ministère de l’éducation nationale et de la formation professionnelle.
La SNFP concerne la période 2015-2021. Elle s’appuie sur la vison stratégique d’ « une formation professionnelle de qualité, partout, pour tous et tout au long de la vie, au service du développement et de la valorisation du capital humain et pour une meilleure compétitivité de l’entreprise » Elle vise en particulier à
(i) garantir le droit à la formation professionnelle en développant et en diversifiant les dispositifs de formation initiale et continue de façon à toucher tous les publics, en s’appuyant sur des partenariats publics privés et sur des ONG, en faisant porter l’effort sur les plus démunis, les zones rurales et enclavées, et en donnant la priorité aux jeunes,
(ii) améliorer la compétitivité des entreprises, et en particulier des TPM PME, tout en les considérant comme des acteurs et des espaces privilégié de formation et en renforçant les dispositifs de formation sur le lieu de travail,
(iii) améliorer la qualité du système dans son ensemble en portant une attention accrue notamment à la pertinence des référentiels de certification, à l’anticipation des besoins du marché du travail, à la formation des formateurs et des directeurs des établissements de formation, aux mécanismes d’orientation scolaire et professionnelle, à une autonomie accrue des établissements, à l’évaluation des établissements sur les plans pédagogique, administratif et financier, et à l’analyse les phénomènes d’insertion par des enquêtes longitudinales sur le modèle du CEREQ,
(iv) intégrer l’éducation nationale et la formation professionnelle notamment par l’ouverture de passerelles, le développement du nouveau baccalauréat professionnel et la mise en commun de certaines approches concernant l’orientation et la formation des enseignants, le tout afin d’améliorer l’attractivité de la FP et de permettre aux jeunes d’exprimer leurs vocations,
(v) renforcer la gouvernance de la politique publique de la FP notamment en donnant un rôle accru aux représentants de la société civile et en particulier des partenaire sociaux, en donnant des responsabilités nouvelles aux Régions et en assurant une meilleure coordination des acteurs de la formation professionnelle.
L’ensemble paraît extrêmement ambitieux voire irréaliste, mais il faut ajouter que la plupart des actions proposées ont déjà démarré et qu’en parallèle, le Ministère de l’emploi et des affaires sociales a élaboré un projet de stratégie nationale de l’emploi (SNE), lui même en cours de validation. Ainsi, la SNFP se trouve encadrée par une stratégie nationale de l’éducation dont elle est partie intégrante, et par une stratégie de l’emploi avec laquelle les complémentarités sont bien établies. La mise en œuvre conjointe de ces stratégies dès leur adoption prochaine, et sous réserve que les ressources nécessaires soient mobilisées, donne une mesure de la priorité accordée aujourd’hui aux problèmes des jeunes et de l’inclusion sociale. Les objectifs ambitieux fixés dans la stratégie doivent recevoir des financements appropriés cadrés au sein de contrats programmes entre le DFP (qui porte la stratégie), et les principaux opérateurs et partenaires concernés. Enfin la SNFP va se déployer sous l’égide d’une Commission interministérielle présidée par le Chef du Gouvernement représenté par le Ministère des finances. Tous ces éléments sont des signes de la crédibilité des actions que la SNFP va mettre en œuvre d’ici 2021.
* La FPI ne scolarise que moins de 15% de l’ensemble des élèves scolarisés du même âge, moins de trois fois moins que dans la moyenne des pays de l’UE.
Crédit image : CC/Flickr/Magharebia
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