Le burn-out, cet infarctus de l’âme
publié le 2015-06-01
Petit coup de mou, lassitude au travail, ou véritable écroulement psychologique ?
Même quand tous les voyants sont au rouge, il n’est jamais aisé d’identifier un burn-out. Tristement à la mode, cette maladie aux contours encore mal cernés se caractérise par une progression insidieuse, dont les symptômes sont souvent minimisés. Depuis sa chambre à la clinique, PL., ancien développeur informatique à la CRAMIF et ancien syndicaliste, révèle pour Metis les détails de son burn-out.
S’il n’y a pas encore de chiffres précis sur ce phénomène de société, les médecins du travail s’inquiètent au plus haut point de l’augmentation des consultations et des alertes ces dernières années. Une enquête du cabinet Technologia, spécialisé dans la prévention des risques professionnels, rapporte que plus de 3 millions de travailleurs en France sont aujourd’hui en risque élevé de burn-out, soit plus de 12% de la population active française. En inscrivant que les maladies psychiques peuvent être reconnues comme maladies professionnelles, le projet de loi sur le dialogue social démontre l’intérêt de l’Assemblée Nationale pour cette question, et ouvre la voie à la reconnaissance du burn-out comme pathologie liée au travail. Au cœur de ce syndrome d’épuisement professionnel, le management des entreprises : malgré l’éventuelle existence de prémisses individuelles, il s’avère que les comportements managériaux abusifs, l’attribution de consignes contradictoires, la définition floue des objectifs, le manque de reconnaissance, et la détérioration des relations interprofessionnelles sont souvent à l’origine de la détresse psychologique du salarié.
Vous avez accepté de vous entretenir avec nous depuis la clinique suite à votre burn-out. Comment vous portez-vous ?
J’ai un bon moral, je ne suis pas quelqu’un qui se laisse faire ni abattre. Je suis rattaché à un service informatique dans un organisme de sécurité sociale et cela fait maintenant deux ans que je ne fais rien, on ne me donne pas de travail. J’ai aussi été délégué syndical et j’ai défendu une personne qui passait en conseil de discipline. A l’occasion des échanges que j’ai pu avoir avec cette personne, j’ai remarqué beaucoup de similitudes dans nos situations, et d’agissements de la part de l’encadrement par rapport à certaines personnes. On a un eu un suicide en 2010 : c’était un ouvrier d’entretien qu’on envoyait réparer les toilettes tout le temps. Quand il rentrait de congés, il trouvait son bureau encombré de cartons sur son bureau. Ce sont des méthodes violentes et assez fortes. C’est là où je m’insurge : ça se passe dans un organisme de sécurité sociale, le dernier endroit où on pense que cela puisse se passer.
Vous semblez insister sur l’aspect fondamentalement violent des méthodes utilisées par cet organisme pour fragiliser psychologiquement le salarié que l’on souhaite, à terme, voir partir. Pourriez-vous nous les décrire en détails ?
J’étais encore délégué syndical lorsqu’on a humilié une personne en 2011. Quand ils se sont aperçus qu’elle était en trop, ils l’ont ramenée sur le siège au poste de sécurité et la mettait face à la vitre blindée dos à ses nouveaux collègues du poste de sécurité. Elle pouvait juste faire coucou aux gens qu’elle connaissait. Tout le monde la voyait le matin. On lui a fait croire que c’était une fonction d’accueil alors que ce n’était jamais elle qui parlait à l’hygiaphone. Elle était seule devant l’ordinateur, et on s’est rendu compte que son badge ne faisait même pas fonctionner l’ordinateur. Je me suis plaint à l’assistante sociale de l’époque de ce traitement inhumain, d’autant plus qu’elle était en invalidité de 1 catégorie avec des horaires adaptés.
En tant qu’ancien syndicaliste, quelles actions avez-vous concrètement menées pour la défense de ce cas ?
J’étais très remonté là-dessus. J’ai pris la liberté d’écrire au Directeur de la CRAMIF. Je me suis rendu compte qu’il y avait des habitudes qui pouvaient engager la responsabilité de cadres au niveau juridique, puis j’ai eu une réponse le 11 janvier 2012, j’ai eu un genre de rendez vous pour s’expliquer mais ce n’était pas lui en personne qui allait me recevoir, d’autant plus que je n’étais pas à l’aise avec l’idée d’y aller seul. J’ai décliné puisque je n’ai trouvé personne pour m’accompagner, mais on ne m’a pas rappelé. Le 29 février 2012, l’actualité m’a donné raison : un cadre de l’Hérault se suicidait dans les locaux de la CPAM 34, je me suis exprimé en commentaire de l’article du midi libre relatant cette triste nouvelle pour dire qu’il y en avait raz le bol, et qu’il se passait pareil à la CRAMIF.
J’ai également déposé une main courante au commissariat de mon domicile, j’y ai passé tout un samedi après-midi, après les « affaires courantes » mais j’étais très motivé. C’est remonté aux oreilles du directeur de la CNAMTS et là a commencé ma mise au placard.
Quel est le rôle des syndicats dans la prévention du burn-out ? Et comment sont-ils intervenus pour défendre le salarié dont vous nous décrivez la souffrance ?
Moi qui ai été syndicaliste à la CGT pendant 18 ans, je peux vous assurer que le discours national est bien, mais au local, les syndicats sont « achetés », sont corrompus, c’est une horreur. Ils sont élus mais ne font rien ! Au niveau collectif, par exemple au niveau des assistantes sociales, ça marche parce qu’il y a plus de poids et il s’agit de revendications collectives. Mais au niveau individuel, clairement non. Je vous ai parlé plus haut d’un collègue que la direction isolait. Il venait me parler, me racontait son histoire, il savait que j’avais un passé syndical : je lui ai dit de ne pas rester tout seul. Je voyais que c’était quelqu’un qui n’avait aucune joie de vivre au travail, et je lui ai vraiment conseillé de ne pas rester tout seul. Il est allé prendre sa carte à la CGT. Quelques mois plus tard, il se suicidait chez lui.
Votre engagement auprès votre collègue vous a-t-il mis en difficulté vis-à-vis de l’employeur ?
On me parlait mal, je souffrais. J’étais atteint au point de prendre un dictaphone dans la poche de ma blouse pour enregistrer toutes mes journées de travail, afin ne pas être accusé d’exagération lorsque je racontais les faits. J’ai donc des enregistrements de mes journées durant 4 mois où on m’entend parler aux autres, qui me répondent de manière hostile. Oui, on fait confiance à la médecine du travail, mais elle reste complètement assujettie à l’employeur. La psychologue aussi : quand je lui ai fait écouter l’enregistrement, elle a dit que c’était grave et quelle allait en parler au médecin coordonateur, mais personne n’a rien fait.
Votre burn-out semble s’inscrire dans un contexte extrêmement tendu, puisque votre engagement personnel auprès de vos collègues de vous permet pas de rester indifférent à leur détresse. Mais, quel en a été l’élément déclencheur ?
Quand ils ont su que je m’étais exprimé au Midi Libre, ils ont ironisé sur mon pseudo de l’époque. Ils ont eu très peur aussi, parce qu’ils ont vu à quel point je pouvais exprimer ce que je pensais librement et clairement. Ils ont voulu tout de suite étouffer les choses, j’ai été convoqué au bureau du directeur. « On en parle plus » disait-il, « Ca vous intéresse d’être développeur informatique ? ». J’ai dit oui, mais moi je voulais quitter ce milieu. Pour moi, c’était quand même une bouffée d’oxygène. En Octobre 2012, on m’envois dans un bureau au niveau de la direction des services informatiques : personne ne s’est occupé de me tutorer. Pendant 6 mois, je ne pouvais que tourner en rond. Je ne comprenais pas ce qu’on me demandait, ni ce que je devais faire puisque je n’avais jamais été confronté à des taches de cette nature. Ils ne savaient pas non plus quoi me demander parce qu’ils ne savaient pas ce que je pouvais faire concrètement. C’était ultra prioritaire de m’envoyer en formation. 6 mois que je passais à ne rien faire au bureau, immobilisé par mon manque d’expérience et de connaissance, mais aussi par le manque de suivi de la direction.
Ils ont bien attendu un an que je m’épuise sur internet à essayer de comprendre, à apprendre le vocabulaire, le jargon, les techniques, mais en vain. Je me suis bien tué les yeux, et ça pour rien, puisqu’on ne me donnait même pas de travail. Il y avait toujours une barrière quand j’essayais de m’y mettre. L’anglais aussi était devenu une compétence obligatoire. Ils ont attendu un an pour me faire une formation. C’est à ce moment que j’ai fait un burn-out, j’étais épuisé, détruit, incapable de faire quoi que ce soit.
Ces techniques d’intimidation et le déni de votre direction générale sont manifestement responsables de la fragilisation de votre santé. Mais, quels moyens d’action pensez-vous devoir détenir pour vous défendre dans ce type de situations ?
Personnellement, je suis en procédure de médiation. Mon employeur ne répond apparemment pas à la procédure. Je suis sur qu’il y aura une procédure pénale qui sera déclenchée dans pas longtemps. C’est tout ce qu’on peut faire au niveau individuel. Ces techniques de mise à porte, ces méthodes de management terribles, cette nouvelle gestion publique ont pour objectif de dévaloriser les gens. Je suis pris en charge aujourd’hui, je vais bien, mais beaucoup d’autres n’ont pas eu la chance d’être aussi fort pour supporter les choses. Moi j’ai la vision du terrain. Je vous dis ce qui se passe. On crée des structures santé au travail, mais cela ne change absolument rien. Et je suis d’autant plus révolté que cela se passe à la sécurité sociale.
Laisser un commentaire