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par ASTREES, Claude Emmanuel Triomphe

Depuis plus de 15 ans, la France, comme beaucoup de pays européens, connaît un regain du débat public lié à des questions religieuses. Montée de perceptions et de revendications communautaires plus marquées, développements d’un islam plus rigoureux – voire très radical – malaise d’une partie de la communauté juive, réformes sociétales parfois mal perçues parmi la population qui se dit croyante, utilisation clivante du religieux dans le discours politique : comment cela est-il perçu par le monde professionnel ? Comment agir ?Metis reprend ici les grandes lignes d’une note qu’ASTREES a rendue publique le 9 septembre dernier lors d’un petit déjeuner co-organisé avec RDS.

 

religion travail

L’irruption du religieux touche deux lieux majeurs de socialisation : à la fois l’école mais aussi l’entreprise, dans un contexte où les frontières de celles-ci sont devenues de plus en plus poreuses et où elles ne peuvent plus vivre dans une sorte de bulle étrangère aux controverses sociétales. Et ce, dans un pays où la sécularisation n’a cessé de progresser, et qui a porté haut et fort un principe de laïcité qu’il ressent désormais à tort ou à raison comme bousculé, voire menacé. Comment les acteurs du monde professionnel perçoivent ces questions ? Comment agissent-ils ? Quels principes raisonnables utiliser ?

 

De quoi parle-on ?

Le « fait religieux » en milieu professionnel est une donnée complexe, renvoyant à de multiples questions ayant souvent trait aux origines, à l’importance de la religion pour les individus, à la situation du marché du travail, aux difficultés du vivre ensemble dans un monde en crise. Si sa perception a fortement monté ces dernières années, elle reste extrêmement inégale et le caractère « conflictuel » du fait religieux, émergent et minoritaire. Sa problématique contemporaine s’inscrit dans une histoire complexe et fort ancienne des rapports entre religions et entreprises qui, aujourd’hui, doivent faire face à la fois à une montée des demandes mais aussi au souci exprimé par une grande majorité de salariés, toutes confessions confondues, que le milieu professionnel sache conserver une certaine neutralité.

 

Quels repères empiriques, juridiques et professionnels ?

En matière empirique, la note d’ASTREES met en exergue un certain nombre de faits, études et enquêtes portant sur l’évolution du débat public, les rapports entre migrations, origine et marché du travail, les relations entre origines ethniques, appartenances religieuses et religions, sur le vivre ensemble et les relations de travail ou encore sur la neutralité religieuse de l’espace de travail.

En matière juridique, elle rappelle que dans le milieu professionnel, deux catégories de règles interagissent :

– Les premières qui ont trait à la liberté de religion, la liberté de croyance, la non-discrimination, sont des règles à caractère général qui le dépassent et sont en général orientées vers l’énonciation et la protection de libertés fondamentales. Elles incluent le principe de laïcité, principe fort mais de portée limitée à l’Etat, aux organismes publics ou en charges de missions de services publics.

– Les autres, pour l’essentiel contenues dans le Code du travail, stipulent la prééminence des droits fondamentaux et l’interdiction des discriminations tout en rappelant le principe du pouvoir de direction et d’organisation de l’employeur. Elles énoncent aussi ce qui relève des compétences des représentants des salariés en la matière.

En matière terminologique, la note revient sur trois notions – diversité, laïcité, discriminations –
couramment utilisées dans les débats contemporains, en retraçant la manière dont elles ont pris corps dans les débats français et internationaux.

 

Que font les entreprises et les acteurs du milieu professionnel ?

Alors que la question du religieux dans l’entreprise était peu posée avant les années 2000, elle n’était pas totalement ignorée des directions des entreprises qui devaient – et souvent voulaient – faire face seules, sans y associer autorités publiques ou partenaires sociaux. C’est moins le cas aujourd’hui, même si les situations sont extrêmement contrastées. A partir d’un recensement des demandes adressées aux entreprises et des problèmes posés, la note s’interroge sur leur caractère conflictuel et tente de dresser une typologie des entreprises « agissantes », sachant que beaucoup d’entre elles préfèrent la discrétion ou pratiquent le déni. Quatre types de réponses managériales, quatre expériences d’entreprises sont analysées :

– L’action par les guides et par les chartes illustrée par la RATP,

– L’action par le règlement intérieur prônée par Paprec,

– L’action par la mise en place d’une organisation et d’une formation spécifiques au sein du management comme le pratique Sanofi,

– L’action par la négociation collective au sein d’un groupe comme Casino.

 

Au-delà de ces « bonnes pratiques », la note passe en revue les positions et initiatives des partenaires sociaux, patronaux et syndicaux. Du côté patronal, et dans la période récente, c’est autour de la promotion de la diversité que se sont fédérées la plupart d’entre elles. Guides, chartes, labels et correspondants ont été promus à la fois par des associations spécialisées et des organisations comme le MEDEF. La question religieuse en est une composante mais les actions en la matière restent à ce jour marquées du sceau de la prudence, de la discrétion, parfois extrême.

 

Du côté des syndicats, historiquement porteurs d’une revendication d’égalité des droits entre travailleurs français et étrangers, mais aussi d’un certain protectionnisme sur le marché du travail, la gêne en matière de faits religieux est explicite. Alors que de l’aveu même de nombreux responsables, ces questions traversent les structures syndicales et les collectifs de travail, elles interrogent leurs valeurs, donnent lieu à instrumentalisation et s’ajoutent aux tensions liées à la mise en concurrence des salariés entre eux, rendant difficile l’action collective.

 

Tout ceci explique en partie les grandes difficultés d’une négociation sociale en la matière, comme en témoigne le faible relais sur le terrain de l’ANI Diversité de 2006.

 

En conclusion, la note, après avoir rappelé qu’il n’y a ni solutions toutes faites ni réponses uniques, développe cinq principes d’action : Assumer, Discerner, S’équiper, Dialoguer, Décider, et lance un appel aux débats, aux initiatives et à l‘innovation sociale.

 

Lire la note d’ASTREES : Réalités religieuses au travail : repères, pratiques et propositions à usage du monde professionnel

 

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