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Les contrats aidés sont censés permettre aux employeurs de recruter plus. Dans la pratique, les aides de l’État se répartissent de manière très inégale entre secteur marchand et non-marchand et favorisent ce dernier. Tant au niveau des aides proprement dites que par le volume des contrats, trois fois supérieur. Pour nombre de sociétés, c’est un réel frein à l’embauche. Peut-être serait-il opportun de rétablir l’équilibre si l’on veut lutter efficacement contre le chômage.

 

Une constante : une aide plus importante pour le secteur non-marchand


Il y a une constante dans les aides déployées par le ministère du travail pour favoriser l’embauche des publics en difficulté, jeunes aussi bien que seniors : les avantages qu’ils offrent sont soit exclusivement réservés au secteur non marchand, administrations, collectivités territoriales ou associations à but non lucratif, soit également ouverts au secteur marchand mais avec un niveau d’aide nettement inférieur. C’était le cas pour les travaux d’utilité collective des années 1985-1986 comme c’est aujourd’hui le cas des contrats uniques d’insertion.

La différence n’est pas mince. Les employeurs du secteur non-marchand bénéficient de l’exonération totale des cotisations de l’assurance-maladie, de l’assurance vieillesse, des allocations familiales, de la taxe sur les salaires, de la taxe d’apprentissage, de la participation construction et l’État peut rembourser à l’entreprise jusqu’à 95% du Smic. Les employeurs du secteur marchand bénéficient des seules exonérations de droit commun (les abattements Fillon) et l’État rembourse 35% du Smic.

 

S’y ajoute un contingentement parfaitement inégal : les volumes ouverts en secteur non marchand sont trois fois supérieurs.

 

Deux démarches opposées des employeurs

La décision d’embaucher en contrats aidés obéit à deux logiques différentes en milieu non-marchand et en milieu marchand. Aussi le résultat au terme du contrat divergera-t-il pour le salarié.
L’association qui recrute dans ces conditions le fait parce qu’elle n’a pas les moyens de payer un salarié ordinaire et que son activité ne lui permet pas de créer progressivement une demande plus solvable. Elle embauche donc à coût réduit pour maintenir ou développer son action. Mais au terme de l’aide, elle n’aura d’autre solution que laisser partir le salarié et le remplacer par un nouvel embauché lui aussi sous contrat aidé. Il en est de même de la collectivité territoriale ou de l’administration d’État qui, en plus des motivations politiques de soutien au gouvernement du moment, y voient un moyen commode d’atténuer les contraintes budgétaires qui freinent leur appétit d’embauche.

 

L’entreprise qui embauche en contrat aidé le fait parce qu’elle est en développement prudent et qu’elle cherche à valider sa démarche à coût maitrisé. Ce salarié à coût réduit lui permet de créer le bien ou le service solvable et au terme de l’aide, si la démarche économique est validée par la croissance de son chiffre d’affaires, elle peut alors le garder en pérennisant son contrat. Le contrat aidé lui apporte un autre avantage : en tant que CDD il a un terme défini et il fonctionne aussi comme une période d’essai prolongée qui permet à l’employeur d’apaiser ces angoisses devant les incertitudes inhérentes au recrutement.
Dans un cas il s’agit donc de se maintenir malgré des ressources réduites et non susceptibles d’augmenter à bref délai ou bien de trouver une main d’œuvre complémentaire à bon compte, dans l’autre il s’agit d’un test de croissance et de compatibilité.

Une stabilisation dans l’emploi nettement meilleure dans le secteur marchand
Le résultat se lit dans les statistiques du ministère du Travail récemment publiées par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES). Six mois après la fin du contrat aidé :
– 36 % des personnes sorties d’un contrat unique d’insertion du secteur non marchand (CUI (contrat unique d’insertion)- CAE (contrat d’accompagnement dans l’emploi) sont en emploi
– 66 % des personnes sorties d’un contrat unique d’insertion du secteur marchand (CUI-CIE (contrat initiative emploi) sont en emploi et 70 % d’entre eux se trouvent en contrat à durée indéterminée.
Ainsi, malgré un taux d’aide nettement plus faible, les entreprises du secteur marchand parviennent largement à sécuriser l’emploi des bénéficiaires de contrats aidés, les entités non marchandes peuvent simplement organiser la rotation de générations successives de contrats précaires dans une double logique de contrainte financière et de politique sociale.

On peut s’interroger sur la similitude ou non des publics embauchés dans ce cadre. Le secteur non marchand embaucherait-il des jeunes nettement moins qualifiés que le secteur marchand, ce qui pourrait expliquer en partie ce différentiel de devenir à l’issue du contrat aidé ?

 

Et si l’on veut vraiment cesser de préférer le chômage …

Toutes les enquêtes d’opinion auprès des employeurs le montrent : il y a un formidable réservoir de projets latents dans les petites et moyennes entreprises et les très petites entreprises. Les obstacles sont connus : une fois dégagée la gangue des réponses convenues, restent deux constantes : le coût salarial quand le chiffre d’affaires symétrique n’est pas encore assuré, la crainte des difficultés du licenciement si la personne ne convient pas ou si l’activité attendue ne se concrétise pas. Les contrats aidés répondent à ces deux craintes : le coût salarial y est réduit et la durée du contrat est limitée (de surcroît sans indemnité de précarité à son issue devenant ainsi une véritable période d’essai). Obstacle économique, obstacle « psycho-social » sont ainsi levés, ce qui ouvre la voie au contrat durable.

On imagine aussitôt le chœur de tant d’économistes (et de non économistes suiveurs) se lamentant sur l’ « effet d’aubaine », oubliant que l’effet d’aubaine micro-économique accumulé fait l’amélioration de la compétitivité macro-économique. Et une demi-aubaine ne vaut-elle pas un salarié entier ?
Alors rêvons un instant (Bercy n’est pas là) : ouvrons le contrat aidé en secteur marchand aux mêmes conditions que pour le non-marchand, doublons ou triplons son effectif, appuyons nous sur les chambres des métiers et sur les organisations des PME. Combien de temps faudrait-il pour que ce gisement d’emplois latents se transforme en vrais emplois durables ?

 

 

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Universitaire spécialisé en finances publiques (et en histoire des idées politiques), je suis appelé au ministère du Travail en 1974 pour y créer un département d’études permettant d’adapter le budget à l’explosion du chômage. Très vite oubliées les joies subtiles du droit budgétaire et du droit fiscal, ma vie professionnelle se concentre sur les multiples volets des politiques d’emploi et de soutien aux chômeurs. Etudes micro et macro économiques, enquêtes de terrain, adaptation des directions départementales du travail à leurs nouvelles tâches deviennent l’ordinaire de ma vie professionnelle. En parallèle une vie militante au sein d’un PS renaissant à la fois en section et dans les multiples groupes de travail sur les sujets sociaux. Je deviens en 1981 conseiller social de Lionel Jospin et j’entre en 1982 à l’Industrie au cabinet de Laurent Fabius puis d’Edith Cresson pour m’occuper de restructurations, en 1985 retour comme directeur-adjoint du cabinet de Michel Delebarre. 1986, les électeurs donnent un congé provisoire aux gouvernants socialistes et je change de monde : DRH dans le groupe Thomson, un des disparus de la désindustrialisation française mais aussi un de ses magnifiques survivants avec Thales, puis Pdg d’une société de conseil et de formation et enfin consultant indépendant. Entre-temps un retour à la vie administrative comme conseiller social à Matignon avec Edith Cresson. En parallèle de la vie professionnelle, depuis 1980, une activité associative centrée sur l’emploi des travailleurs handicapés qui devient ma vie quotidienne à ma retraite avec la direction effective d’une entreprise adaptée que j’ai créée en 1992.