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par Bruno Mettling, Claude Emmanuel Triomphe

travail numérique

Bruno Mettling est le DRH d’Orange. À ce titre et à bien d’autres, il a remis à la demande du ministre du Travail un rapport intitulé « Transformation numérique et vie au travail » . Il répond aux questions de Metis sur le code du travail du futur.

 

 

 

 

 

Vous avez remis récemment un rapport sur le numérique et le travail: quels sont pour vous les impacts les plus forts du numérique sur les formes d’emploi et sur l’organisation du travail en général ?

La transformation numérique a déjà commencé à transformer en profondeur le travail des salariés, mais rien n’est écrit : comme toute transformation majeure, ses impacts impliquent de belles opportunités ainsi que de nouveaux risques à anticiper et à prévenir.

 

L’explosion du travail à distance est un bel exemple des opportunités que la diffusion massive du numérique a permis. Ce sont aujourd’hui plus de 2 millions de salariés dans notre pays qui sont concernés par le télétravail ou le travail « nomade », et 95% d’entre eux disent ressentir une amélioration de leur qualité de vie au travail ! Les bénéfices évoqués sont notamment la suppression des temps de trajet domicile-bureau ou le meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle auquel les jeunes générations sont très attachées. Toutefois, mon expérience de DRH au sein de grands groupes m’a confronté par exemple au syndrome de l’isolement du télétravailleur, raison pour laquelle l’accord de télétravail chez Orange prévoit une présence obligatoire de 2 jours par semaine dans les locaux de l’entreprise, au contact du collectif de travail. En effet, il est primordial lors du passage dans ces modes d’organisations, de parer ou d’anticiper les risques.
C’est pourquoi, nous pouvons nous féliciter qu’une révision de l’accord national interprofessionnel (ANI) de 2005, listant un ensemble de bonnes pratiques sur le sujet, ait été intégrée à la feuille de route sociale du gouvernement suite aux préconisations du rapport et à la conférence sociale du 19 octobre 2015.

 

La transformation numérique permet, paradoxalement, de reconstruire voire de créer de nouveaux collectifs professionnels, basés sur de nouvelles méthodes de travail plus collaboratives, plus participatives, qui viennent rompre avec la culture du reporting et du contrôle qui a trop souvent caractérisé le fonctionnement récent des grandes entreprises. Elle conduit également à concevoir de nouveaux espaces de travail plus ouverts, plus conviviaux, favorisant l’échange et la coopération plus que l’appropriation individuelle d’un espace défini ou l’anonymat des open spaces. Par ailleurs l’étude des entreprises digital natives témoigne d’une organisation du travail plus agile, structurée en mode projet, plus ouverte sur un écosystème, beaucoup plus efficiente notamment pour diffuser les innovations.

 

 

Quid du management mais aussi des nouvelles formes d’emploi ?

Enfin, la transformation du modèle managérial est une conséquence importante de cette transformation numérique. Les auditions conduites par la commission (composée d’experts de cinq grandes organisations syndicales et patronales et d’experts du numérique) ont notamment fait remonter le besoin d’apporter une attention particulière à la situation des managers de proximité. En effet, si les fondamentaux de ce qui fait un bon manager restent les mêmes – orientation/résultats et développement des personnes – les compétences managériales doivent évoluer pour intégrer les caractéristiques du management de projet, du management à distance, mais aussi de l’animation de communautés.

 

C’est notamment pourquoi de nouvelles formes d’emploi prennent une place de plus en plus importante dans le paysage des actifs français et semblent parfois bousculer notre modèle social. Laissez-moi vous rappeler les chiffres indiqués dans mon rapport par The Boston Consulting Group : le nombre de freelance a augmenté de 85% en France entre 2004 et 2013 et est en progression constante. Il faut donc poser un cadre juridique clair pour que les entreprises puissent s’ouvrir aux nouvelles formes d’emploi avec une meilleure visibilité (et donc, plus de confiance). L’entreprise numérique de demain sera en effet dans une logique d’open company, de plus en plus ouverte sur un écosystème, intégrant des startups, des partenaires du monde académique, ses fournisseurs etc.

 

Derrière cette évolution se trouve une idée centrale, dans un monde où le rythme de l’innovation s’accélère : il faut que les entreprises puissent mobiliser très vite, sur des cycles de plus en plus courts, les compétences dont elles ont besoin et qui n’ont plus vocation à être toutes intégrées en permanence. Il est donc essentiel de poser un certain nombre de principes pour permettre la coexistence de ces nouvelles formes de travail (qui concernent aujourd’hui un actif sur dix en France) et le salariat dans notre modèle social actuel.

 

 

Le dialogue social sur ces enjeux numériques vous paraît- il aujourd’hui nécessaire ? Certains acteurs du numérique ne sont-ils pas tentés de croire que le dialogue social est ringard ?

Plus que nécessaire, je suis de ceux qui pensent qu’il n’existe pas d’alternative au dialogue social. C’est vrai au niveau national, c’est vrai au niveau des branches, c’est vrai au niveau de l’entreprise. Face aux impacts majeurs du numérique sur l’organisation du travail, j’ai essayé de partager au sein du rapport une conviction centrale : il faut anticiper et prévenir, notamment via le dialogue social et un effort d’éducation au numérique de grande ampleur. Avec cette approche, il s’agit moins de viser un objectif fixe dans le temps que d’opérer un réel changement d’attitude. Celui-ci doit permettre à l’ensemble des collaborateurs, du salarié au top management d’entrer dans une logique de co-construction, de coopération, dans des dynamiques de gestion de projet sur un modèle agile, le tout, afin de répondre aux nouveaux modes de fonctionnement d’une économie qui bouge.

 

Concernant le numérique, il n’y aura pas de « grand soir », ce n’est pas un phénomène qu’on peut dater, avec un point de rupture précis. Il s’agit ici d’entrer dans une logique de processus continu d’adaptation, à un rythme exponentiel. En effet, le premier constat qui a frappé les membres de la commission après avoir auditionné les entreprises numériques est leur forte hétérogénéité. Or, les accords d’entreprises ou de branches doivent permettre de gérer ces situations très hétérogènes qui rendent aujourd’hui très difficile d’adopter une approche univoque et globale du cadre du travail selon les entreprises, leur secteur d’activité et leur taille.

 

Les pouvoirs publics ont -ils été sensibles à vos préconisations ?

Je suis très reconnaissant envers Madame la Ministre du Travail, Myriam El Khomri, d’avoir immédiatement mis en œuvre la dernière préconisation du rapport qui était de porter le sujet de la transformation numérique au plus haut niveau du dialogue social, soit lors de la conférence sociale du 19 octobre dernier. Il était urgent de mettre fin à ce paradoxe qui voyait plusieurs millions de salariés de nos entreprises amenés à adapter leur quotidien de travail à la diffusion des outils numériques, sans que cette question n’ait été réellement abordée au niveau national, que ce soit dans le cadre du dialogue interprofessionnel ou des récents débats législatifs.

Permettez-moi de citer le Président de la République lors de la conférence sociale : « Le dialogue social n’est pas une formalité, mais une condition du progrès ». Il a d’ailleurs rappeler qu’il n’y a jamais eu autant de sujets de négociations sociales qu’aujourd’hui !

 

 

Lire la suite de l’interview de B. Mettling dans notre prochaine newsletter.

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