France Stratégie poursuit de façon récurrente l’exercice « PMQ » (prospective des métiers et des qualifications) entamé dans les années 1990 par le Commissariat général du Plan. Metis s’entretient avec Sandrine Aboubadra-Pauly, chef du projet Prospective, Métiers et Qualifications (PMQ) à France Stratégie. Elle explicite notamment les conséquences du scénario cible de la transition écologique sur l’emploi, les métiers, les compétences, les formations.
Le dernier rapport France Stratégie couvre la période 2012-2022. Que nous dit-il des effets à attendre à cet horizon de la transition écologique sur l’emploi, les compétences et les métiers ?
Nous avons élaboré dans l’exercice prospectif 2012-2022 un scénario alternatif dit « cible », fondé sur des hypothèses de croissance de la productivité de l’économie française, prenant appui sur une stratégie d’investissement et d’innovation dans un contexte réglementaire et fiscal qui facilite le développement de nouvelles activités. Dans ce scénario, l’innovation est orientée notamment vers les technologies environnementales et les produits verts, on observe un verdissement des préférences des consommateurs et un développement de l’économie de l’usage ou du partage. L’hypothèse de renforcement de la taxe carbone est également introduite dans ce scénario.
Bien qu’il ne s’agisse pas d’un scénario « vert », ces hypothèses induisent néanmoins un recul des énergies fossiles et une diffusion des technologies vertes dans notre système productif. Plusieurs effets sur l’emploi seraient observés :
• Un fort effet volume, avec 2,1 millions de postes créés entre 2012 et 2022, au lieu de 1,6 million dans le scénario central, soit 500 000 emplois supplémentaires en 7 ans. Ce sont essentiellement l’innovation et le développement de nouvelles activités qui favorisent cette dynamique globale, plutôt que le « verdissement » de l’économie.
• Une recomposition de l’emploi, moins à travers l’apparition de métiers nouveaux qu’avec le « verdissement » de nombreux métiers existants, particulièrement dans la construction (rénovation, éco construction), la logistique (tri et stockage) et les transports. Le Service d’observation et de statistiques du Ministère de l’écologie estime que les métiers verts ne comptent que pour 0,5 % de l’emploi total (2011), contre 15 % pour les métiers « verdissants », qui sont en outre beaucoup plus largement répartis entre les secteurs.
• Des qualifications tirées vers le haut : alors que le scénario central 2012-2022 s’inscrit dans une tendance longue de relative polarisation des emplois, avec des créations de postes à peu près aussi nombreuses dans le haut que dans le bas de l’échelle des qualifications, la variante cible joue légèrement en faveur de l’emploi qualifié, en faisant monter en compétence les métiers touchés par la transition.
Mais il faut bien avoir en tête qu’il s’agit là d’un scénario très volontariste et relativement optimiste dans le contexte actuel.
En dehors de l’exercice PMQ, par nature global, avez-vous travaillé en propre la question des effets de la transition écologique sur les métiers et les qualifications ?
France Stratégie travaille sur les enjeux de la transition énergétique et du développement durable depuis de nombreuses années, mais l’échelle nationale, la question des emplois, des métiers et des qualification de la transition écologique est d’abord l’affaire de l’Observatoire national des métiers de l’économie verte, qui mène des études sectorielles sous l’égide du Commissariat général au développement durable (CGDD). Les Observatoires régionaux emploi formation (OREF) ont été également nombreux à s’y pencher à l’échelle régionale, de même que les Observatoires prospectifs des métiers et des qualifications pour ce qui concerne les branches (cf. état des lieux par le Céreq).
Dans ce domaine, le rôle de France Stratégie est celui d’une plate-forme ressource consacrée à l’échange et à la coopération entre acteurs de la prospective des métiers. En réponse au vœu émis par la Grande conférence sociale de 2013, nous avons monté un Réseau national emplois-compétences (REC) réunissant ministères, partenaires sociaux, régions et organismes d’observation dans le but de « mieux coordonner les travaux nationaux, régionaux et sectoriels dans une logique d’alimentation réciproque et d’appui méthodologique ».Le réseau est actif depuis le début 2015. Les effets du verdissement de l’économie sur les emplois et les compétences ne figurent pas en tant que tels parmi les premières thématiques communes retenues. Mais il ressort de nos échanges que la question traverse la plupart des démarches prospectives en cours, avec plusieurs points de consensus:
Tout le monde s’accorde sur la nécessité d’une approche intégrée du développement économique et de l’anticipation des besoins en emplois et en compétences. La transition écologique implique des changements dans les modes de production (éco-conception), l’utilisation de nouveaux matériaux, le développement de nouvelles offres de service qui impactent directement les métiers et les compétences. La démarche peut sembler aller de soi, mais elle est relativement nouvelle.
La transition écologique risque de rendre encore plus difficile l’appariement de la main d’œuvre, en particulier dans les métiers « critiques » pour lesquels, faute de candidats porteurs des compétences requises, des difficultés structurelles de recrutement se font déjà sentir (par ex : soudeurs, chaudronniers…).
Il importe néanmoins de bien la penser comme une transition, en réfléchissant dès maintenant à la suite : tous les métiers créés ne seront pas pérennes. Ainsi, l’implantation massive d’éoliennes off-shore va induire de gros besoins de recrutement, mais seulement le temps que le parc se mette en place. Il faut d’ores et déjà anticiper quels métiers resteront recherchés en régime de croisière (par exemple dans la maintenance), et anticiper la reconversion des autres.
Autre préoccupation partagée : celle de l’accompagnement des entreprises et des salariés dans la gestion de la transition. Les uns et les autres ont besoin d’appui pour anticiper les besoins en compétences et monter les formations nécessaires pour y répondre en temps voulu. Par exemple, il peut y avoir un décalage entre le moment où des programmes de formation sont mis en œuvre sur la foi de travaux prospectifs, et celui où les activités et les emplois correspondants montent effectivement en charge. Les branches et les entreprises qui se sont lancées dans ces programmes pour pourvoir les postes attendus s’inquiètent alors de « ne pas les voir venir ».
Vous êtes ainsi bien placée pour avoir une vision d’ensemble des initiatives prises par les acteurs de la relation formation-emploi pour réussir la transition écologique. Pouvez-vous nous en donner quelques grandes lignes ?
Il y a d’abord les travaux prospectifs, déjà mentionnés, des observatoires régionaux ou de branche. Ceux de l’observatoire des métiers du Bâtiment et des Travaux Publics en offrent un bon exemple. Ils illustrent le constat, très général, selon lequel la transition écologique créera peu de métiers radicalement nouveaux, mais transformera beaucoup de métiers existants. D’où la décision de la branche de « verdir » systématiquement ses référentiels métiers. De façon plus générale, beaucoup d’études menées par les observatoires ont débouché sur la création, par les Commissions paritaires nationales de l’emploi et de la formation professionnelle de différentes branches, de certificats de qualification professionnelle (CQP) destinés à certifier l’acquisition de compétences vertes. On peut citer par exemple celui, très complet, qu’a créé la branche de la logistique.
Cela pour la formation continue. La formation initiale n’est pas en reste ; chargées de l’évolution des référentiels de diplôme, les Commissions paritaires consultatives (CPC) de l’Education Nationale ont largement intégré dans leurs travaux récents l’impératif de « verdissement » des métiers. Le CEREQ donne de ce processus un tableau d’ensemble sur son site ; il a par ailleurs rendu en 2014 un rapport détaillé au CGDD pour ce qui concerne les formations professionnelles initiales.
Il faut citer également le rapport que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a consacré en juin 2015 à la question de l’emploi dans la transition écologique, accompagné d’un avis dans lequel il appelle à une action publique plus globale et volontariste, aussi bien de la part des pouvoirs publics que des acteurs économiques et sociaux, en insistant sur le rôle clé de la transformation des emplois et des qualifications dans la réussite de la transition.
Cela fait beaucoup d’initiatives et de rapports. N’est-ce pas le signe qu’en matière d’emploi et de compétences, la transition écologique se prépare en ordre dispersé ?
Je ne crois pas que ce soit le cas. Comme je vous l’ai dit, le CGDD est le chef de file. De son côté France Stratégie accueille et anime le réseau emplois-compétences, pour mettre en présence l’ensemble des acteurs impliqués et les inciter à coordonner leurs programmes. Le plus important n’est pas je crois de centraliser les initiatives, mais de les encourager dans leur diversité, en s’accordant sur une méthode commune. Il faut aussi, impérativement, veiller à ce que les travaux prospectifs intègrent systématiquement une dimension territoriale, ne serait-ce que pour anticiper les évolutions de l’offre de formation, elle-même très diverse.
Les échanges au sein du REC ont déjà fait surgir des questions d’importance, largement partagées : quels seront les impacts du « verdissement » de l’appareil productif et des modes de vie sur l’employabilité des personnes ? Sur l’attractivité des diplômes ? Sur la compétitivité des entreprises ? On parle beaucoup de compétences transversales, mais sans y intégrer pour l’instant les compétences vertes. Celles-ci ne sont-elles pas pourtant transversales par nature ?
Un point de vigilance cependant : je crois nécessaire de s’interroger dès maintenant sur l’effectivité des changements attendus : en matière d’outils, beaucoup de choses ont déjà été faites, mais il reste à vérifier qu’elles se mettent en œuvre. Dans quelle mesure par exemple les acteurs s’approprient-ils les nouveaux CQP verts mis au point par les branches ? Dans quelle mesure cela permet-il aux salariés de mieux sécuriser leurs parcours ? Aux entreprises d’être plus compétitives ?
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