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Le nombre de demandeurs d’asile est passé d’environ 50.000 en 2011 à 450.000 en 2015. Il y avait cette même année 1,1 million de réfugiés à avoir traversé la frontière allemande, mais comme les procédures d’enregistrement sont longues, moins de la moitié d’entre eux ont pu poser leur demande d’asile. Le nombre de nouveaux demandeurs va rester élevé en 2016, indépendamment de la discussion actuelle autour de possibles restrictions à l’immigration. Quand et comment pourront-ils travailler ? Nicola Düll, économiste à Munich, fait le point :

 

L’Allemagne a connu plusieurs phases d’immigration liées à des facteurs économiques et politiques : depuis le début des années 1990 avec l’effondrement du système communiste dans les pays de l’Est, et l’ouverture des frontières aux personnes d’origine allemande ; puis avec la guerre civile en Yougoslavie, l’immigration de familles en provenance notamment de la Turquie, de Roumanie, de Bulgarie et d’autres pays des Balkans. Et plus récemment (depuis 2010) l’immigration d’Européens venant des pays les plus touchés par la crise. Depuis 2013, un nombre croissant de réfugiés pour la plupart syriens, irakiens et afghans arrive en Allemagne, on dénombre jusqu’à 1,1 million de personnes. Mais il s’agit du chiffre brut : il surestime le nombre de réfugiés, car certains d’entre eux ont déjà quitté l’Allemagne pour faire leur demande dans les pays d’Europe du Nord et sont alors comptés doublement. L’arrivée d’un million de personnes en une seule année représente un enjeu important pour les différents services publics allemands. Elle pose une question de fond sur l’orientation des politiques d’intégration, qui passe tout d’abord par l’intégration sur le marché du travail et par l’éducation et la formation des plus jeunes.

 

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Qui sont les réfugiés ?
Les demandeurs d’asile sont surtout jeunes et souvent des hommes. En 2015, un quart des personnes ayant fait pour la première fois une demande d’asile avait entre 18 et 25 ans, 31 % d’entre eux étaient mineurs et les 25-35 ans représentaient plus d’un quart de ces demandeurs. 70% étaient des hommes, cette part monte à 80% pour les 18-25 ans mais passe à seulement 55 % chez les enfants. (Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (BAMF), Aktuelle Zahlen zu Asyl, décembre 2015). Il n’y a pas de statistiques officielles concernant le niveau de formation des demandeurs d’asile et des réfugiés, mais selon des enquêtes – effectuées par l’Office pour la migration et les réfugiés ainsi que dans le cadre de programmes pilotes d’insertion sur le marché du travail sur la base d’échantillons non représentatifs – il ressort que leur niveau de formation est nettement inférieur à celui d’autres groupes de migrants arrivés en Allemagne au cours de cette dernière décennie. Par ailleurs, des études conduites en Allemagne et d’autres pays montrent que le taux d’emploi des réfugiés augmente au cours des années mais reste inférieur à la moyenne nationale. Selon les estimations du Conseil d’experts économiques allemand, si des mesures soutenues d’intégration étaient mises en place, le taux d’emploi des demandeurs d’asile pourrait augmenter d’un niveau de 40 % l’année de leur immigration à 70 % dans les années qui suivent. L’Institut de recherche du service public de l’emploi, l’IAB, est nettement plus pessimiste.

 

En 2015, 36 % des nouveaux demandeurs d’asile sont venus de Syrie, 7 % d’Irak, 7 % d’Afghanistan, 2 % du Pakistan et 2 % d’Erythrée. 26% sont arrivés des pays des Balkans de l’Ouest (Albanie, Kosovo, Serbie et Macédoine), pays qui ont été déclarés récemment comme « pays d’origine sûre ». Suivant leur statut, les demandeurs d’asile et réfugiés obtiennent différents titres de séjour. Une personne ayant fait une demande d’asile obtient une autorisation de séjour provisoire jusqu’à ce que celle-ci soit prononcée. En moyenne 11 mois s’écoulent avant que cette décision soit prise et entre en vigueur, ce processus peut parfois dépasser les un ans et demis (Brücker, H. et al., 2015). De fait, il y a de grandes différences selon les pays d’origine. Il a été décidé de traiter en priorité les demandes faites par des Syriens. Une fois que la demande d’asile a été acceptée, la personne peut soit devenir bénéficiaire du droit d’asile, soit être reconnue en tant que réfugié, soit bénéficier d’une protection subsidiaire. Dans le cas où ces statuts ne sont pas accordés, les demandeurs obtiennent le statut de « tolérés » avant d’être expulsés. Ce statut leur permet de résider et travailler en Allemagne sans toutefois détenir un permis de séjour. Seul un nombre très faible de demandeurs d’asile est reconnu en tant que bénéficiaire du droit d’asile, les taux varient entre 0,7 à 1,8% entre 2006 et 2015. Par contre, une part importante est reconnue en tant que réfugié. Le taux de reconnaissance a fortement augmenté ces dernières années et en 2015 ils représentaient presque la moitié des cas. S’y ajoute un très faible nombre de personnes bénéficiant de la protection subsidiaire ou d’une interdiction d’expulsion. Un tiers des demandes traitées a été refusée, et 18% furent soumis à une décision formelle, relevant surtout du processus de Dublin. Beaucoup de réfugiés restent en Allemagne en tant que « tolérés » pour quelques années (53 mois en moyenne, Bundestag, Drucksache 18/6267, 7.10.2015).

 

Pas facile d’accéder au marché du travail…

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Les politiques visant à l’intégration des réfugiés en Allemagne sont régies par des logiques divergentes. Il y a actuellement plusieurs lignes de conflit : entre une politique de protection du marché du travail allemand, la satisfaction des besoins de main d’œuvre (aujourd’hui et surtout à long-terme), le souhait de minimiser les incitations à la migration pour des raisons économiques, les leçons tirées d’une intégration défaillante des immigrés dans le passé et l’affirmation de principes humanitaires. C’est pour cela que l’on peut observer certaines contradictions dans les démarches. De plus, le pays doit adapter ses capacités institutionnelles pour faire face aux nombreux enjeux d’accueil. Le plus important changement politique récent concerne l’accès au marché du travail. Alors que les demandeurs d’asile n’étaient pas autorisés à travailler pendant les 9 ou 12 premiers mois de leur séjour (suivant leur statut), ce délai a été ramené à 3 mois sous certaines conditions dans le cadre d’une nouvelle loi votée en novembre 2014. Le nombre de demandeurs d’asile et de personnes « tolérées » en âge de travailler enregistrés dans le registre central des étrangers s’élevait à 310 000 en août 2015. En contrepartie de cette ouverture du marché du travail, plusieurs pays ont été déclarés comme « pays sûrs » (outre les pays de l’Union européenne, les Balkans de l’Ouest, le Ghana et le Sénégal figurent sur cette liste). Les personnes soumettant une demande d’asile après fin août 2015, en provenance de ces pays sûrs, n’ont pas le droit de travailler, ni pendant la phase de clarification, ni en tant que personnes « tolérées ». La discussion actuelle en Allemagne tourne autour l’extension de cette liste à la Tunisie, le Maroc et l’Algérie, peut-être même d’autres pays.

 

Une deuxième ligne de politique de restrictions concerne les conditions d’accès au travail, qui dépendent d’une part de la durée du séjour, et d’autre part du niveau de qualification. Pour les demandeurs d’asile et les personnes tolérées, les Offices des étrangers et le service public de l’emploi (Bundesagentur für Arbeit ou BA, équivalent de Pôle emploi) doivent donner ensemble leur accord. Le BA examine tout d’abord la priorité d’accès à l’emploi des travailleurs allemands ou étrangers qui ont un accès illimité au marché du travail. Pour les demandeurs d’asile résidant en Allemagne depuis 15 mois (au lieu de 4 ans auparavant), la priorité d’accès ne doit plus être examinée. Le nombre de permis de travail accordés par la BA à ce groupe cible a augmenté de 4 300 permis en 2013 à 14 200 pour la période de janvier à juillet 2015, alors que durant la même période 6 300 demandes de permis ont été refusées (Bundestag, Bundesdrucksache 18/6267, 7.10.2016). Ce processus d’examen de priorité d’accès représente une charge supplémentaire importante pour les conseillers de la BA.

La réglementation d’accès au travail intérimaire a été assouplie en octobre 2015. Il est traité maintenant comme toutes les autres formes d’emploi, alors qu’auparavant les demandeurs d’asiles et travailleurs tolérés n’y avaient pas accès. De plus les stages avec une durée de moins de trois mois sont exempts d’autorisation par la BA (et ne sont par ailleurs pas soumis au salaire minimum si leur but est l’orientation professionnelle). Par contre, les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de se mettre à leur compte, alors que les personnes « tolérées » y ont droit sous condition que l’Office des étrangers le leur autorise. En outre, l’examen de la priorité d’accès n’est pas nécessaire pour les personnes hautement qualifiées et des personnes avec des formations et expériences de travail dans des professions pour lesquelles il y a un manque de main-d’œuvre, ce qui ne concerne qu’une minorité des réfugiés. Une liste blanche est établie par la BA à cet effet. Les personnes bénéficiant du droit d’asile et les personnes reconnues en tant que réfugiés ont accès au marché du travail.

Il est plus facile de se former…
L’accès à la formation professionnelle est moins réglementé que l’accès à l’emploi. Les bénéficiaires du droit d’asile et les réfugiés reconnus peuvent poursuivre une formation professionnelle ou poursuivre des études, le service public de l’emploi n’a pas à donner son accord. Les demandeurs d’asile et les personnes tolérées peuvent également poursuivre une formation professionnelle (en alternance ou pas) au bout de leurs trois mois d’attente. Les politiques d’intégration envers les demandeurs d’asile et les réfugiés ont beaucoup changé au cours de ces dernières années. Le rôle de l’Office pour l’immigration et les réfugiés a changé fondamentalement au cours de cette dernière décennie. Il offre aujourd’hui des cours de langues, et surtout ceux liés au langage professionnel, ainsi que des cours civiques, nommés « cours d’intégration » pour les personnes bénéficiant du droit d’asile. Pour les nouveaux demandeurs d’asile et les personnes tolérées, l’offre est plus restreinte, surtout en ce qui concerne la participation aux cours d’intégration qui part de l’hypothèse que le participant reste en Allemagne, ce qui n’est pas forcément attendu des réfugiés. Pourtant, il semble évident que des mesures précoces d’intégration sont importantes pour réduire les tensions et coûts sociaux provoqués par le sentiment d’exclusion. En l’absence d’une offre suffisante de cours d’allemand, la BA a offert directement des cours à 200 000 réfugiés entre septembre et décembre 2015.

 

Les « job centers » (agences pour l’emploi responsables de « l’activation des prestataires de l’allocation chômage II », percevant le revenu minimum, gérés dans la plupart des cas conjointement entre les agences de l’emploi de la BA et les municipalités) et les agences de la BA offrent leurs services de recherche d’emploi et de placement sur le marché du travail ou en formation en entreprise, selon le système dual de la formation professionnelle, à tous les demandeurs d’emploi, y compris aux réfugiés (reconnus ou pas reconnus). Dans certaines agences des points de contact spécialisés et des conseillers spécialisés traitent ces cas. La première étape consiste en l’évaluation des qualifications acquises complétée par un test de langue. Cette tâche est onéreuse, souvent les diplômes et autres documents manquent. Le conseiller va le cas échéant expliquer au réfugié comment faire une demande de reconnaissance des diplômes, selon une procédure longue compliquée.

 

La BA peut financer les traductions des diplômes par exemple, offrir des cours de formation continue et de préparation à la candidature. D’autre part l’accès à certaines mesures des politiques de l’emploi reste difficile pour les nouveaux arrivants. Tant que leur statut n’a pas été clarifié, leur accès au marché du travail et à certains programmes actifs du marché du travail reste de fait restreint. Pourtant, un bon nombre de projets pilotes ont été mis en place par le service public de l’emploi, cofinancés par le Fonds Social Européen, visant à l’intégration des demandeurs d’asile et réfugiés. Les premiers programmes furent mis en place il y a quelques années alors que l’interdiction de travailler pendant la première année était encore en vigueur (Thränhardt, D. , Die Arbeitsmarktintegration von Flüchtlingen in Deutschland, Bertelsmann Stiftung 2015). Dans un premier temps les demandeurs d’asile reçoivent des revenus minima, dont le montant dépend du type de logement. Suivant leur statut et leur durée de résidence ils ont aussi droit aux « allocations chômage II » sous condition de revenus. Dans les deux cas ils sont soumis aux règles d’activation et doivent par exemple participer à des mesures telles que les « 1-Euro-jobs », sous le contrôle des agences de la BA et des job centers et sous peine de sanction.

 

Comme ni la BA ni les job centers n’ont mis en place un suivi pour rendre compte de la participation des réfugiés et demandeurs d’asile aux différents programmes actifs du marché du travail, il est difficile de mesurer l’intensité de leurs activités. L’évaluation du programme pilote « intervention précoce », montre qu’un suivi intensif est nécessaire. Le manque de conseillers pour cette tâche est un des enjeux pour la BA et les job centers. Cette même évaluation montre aussi que les barrières à surmonter sont surtout le faible niveau de qualification, le manque de justificatifs et de diplômes des réfugiés qui sont partis sans leurs documents, ainsi que les problèmes psychologiques et les traumatismes. Un manque de coopération autant avec les services employeurs et d’autres services de la BA, qu’avec d’autres acteurs est perçu comme un handicap. Suivant les régions et les villes les réseaux et partenariats entre les acteurs sont plus ou moins bien développés.

 

En dehors des services publics de l’emploi un grand nombre d’acteurs, notamment de la société civile et des ONG, certaines chambres de commerce et d’industrie ou de l’artisanat s’engagent dans des initiatives d’intégration sur le marché du travail. Certains Länder sont plus actifs que d’autres. La Bavière par exemple, région avec une dynamique économique importante, un taux de chômage faible et un manque de nouveaux apprentis, finance des cours de langue, et plusieurs réseaux pour l’intégration des réfugiés sont en place depuis quelques années. Le Ministère de la culture et de l’enseignement bavarois est préoccupé par l’intégration des jeunes réfugiés dans le système de formation professionnelle et prévoit des mesures qui les y préparent et a décidé d’augmenter le nombre d’enseignants de 1 700 personnes afin de pouvoir assurer la scolarité des jeunes réfugiés et des enfants. Ce qui n’empêche pas que, sur le plan politique, la Bavière réclame la restriction des flux migratoires des réfugiés…

 

Pour aller plus loins :
– Brücker, H. et al (2015), IAB Aktuelle Berichte 8/2015, Asyl- und Flüchtlingsmigration in die EU und nach Deutschland
– Büschel, U., Daumann, V., Dietz, M., Dony, E., Knapp, B., Strien, S. (2015): Abschlussbericht Modellprojekt Early Intervention – Frühzeitige Arbeitsmarktintegration von Asylbewerbern und Asylbewerberinnen Ergebnisse der qualitativen Begleitforschung durch das IAB, IAB Forschungsbericht 10/2015
– Thränhardt, D. (2015), Die Arbeitsmarktintegration von Flüchtlingen in Deutschland, Bertelsmann Stiftung 2015
– Streinz, A. (2015), Berufsschulpflichtige Asylbewerber und Flüchtlinge, Staatsinstitut für Schulqualität und Bildungsforschung im Auftrag Bayerischen Staatsministeriums für Bildung und Kultus, Wissenschaft und Kunst, juillet.
– Worbs, S., Bund, E. (2016), Qualifikationsstruktur, Arbeitsmarktbeteiligung und Zukunftsorientierungen, BAMF Kurzanalyse 1/2016

 

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Économiste du travail, Associée Economix Research & Consulting, Munich