Alors que les parcours professionnels deviennent de plus en plus chaotiques (alternance de périodes de chômage et de travail, de salariat et de travail indépendant, périodes de formation… ) et que l’initiative individuelle se place au cœur de nombreux dispositifs, la qualité de l’orientation devient essentielle. Il apparait que ce n’est pas seulement une nécessité au sein de l’Ecole et durant sa toute jeunesse, mais qu’il s’agit bien de pouvoir s’orienter tout au long de la vie.
C’est une problématique que l’on retrouve dans tous les pays européens. De nombreux programmes (Erasmus par exemple), de nombreuses études internationales s’y intéressent. L’OCDE au début des années 2000 a consacré de nombreux travaux à la « professional career guidance » embrassant à la fois l’orientation « scolaire » et l’orientation au long de la vie de travail, pour les demandeurs d’emploi, les jeunes en début de parcours, les personnes « éloignées de l’emploi », et finalement tous les actifs en recherche de mobilité. La situation française de l’orientation est, comme souvent, foisonnante, mais elle est aussi riche d’innovations et de promesses.
À chacun son parcours
C’est qu’il s’agit d’accompagner l’individualisation des parcours, la place faite aux droits « attachés à la personne » et non à son statut (comme le Compte Personnel de Formation ou le Compte Personnel d’Activité en discussion actuellement) par le fait de donner aux personnes des ressources et des points d’appui pour s’orienter. Le Compte Personnel de Formation en donnant à chacun la possibilité de se former à n’importe quel moment de sa vie professionnelle (puisqu’il s’agit d’un crédit d’heures de formation cumulables sur plusieurs années, « portable » d’une entreprise à l’autre ou d’un statut à un autre) suppose des choix personnels. A minima le choix d’une formation, mais peut-être aussi le choix d’un changement d’employeur voire d’une réorientation professionnelle. La loi de réforme de la formation professionnelle (5 mars 2014) est innovante et très complète quant aux possibilités « d’accompagnement » des personnes. La création du CPF est complétée par la création du CEP (Conseil en évolution Professionnelle) et l’obligation, s’agissant des entreprises, d’organiser à échéances régulières des « entretiens professionnels », avec pénalité si l’entreprise ne le fait pas. Cet entretien professionnel n’est pas simplement l’entretien annuel d’évaluation mais vient s’y ajouter (Voir le cas aux Etats Unis). Il s’agit plutôt de faire un point sur les perspectives professionnelles de chacun à un moment donné de son parcours : est-ce que je change de poste, d’activité, de responsabilité dans mon entreprise, est-ce que pour progresser je complète mon portefeuilles de compétences, est-ce que j’envisage de changer d’employeur, de région. Dans une société qui finalement est redevenue, pour cause de crise économique, très bloquée (penser au vieux constat de Crozier sur la France d’avant 1968), où l’importance du chômage réduit les envies de mobilités et où l’attention aux progressions de carrière a beaucoup diminué, une telle ouverture de chemins possibles est très importante. Ce n’est certes pas facile au sein des entreprises, encore moins dans les petites, où les possibilités d’évolution professionnelle sont moindres. En outre le management n’est pas enclin à proposer à ses troupes des changements qui pourraient le priver des salariés sur lesquels il compte au quotidien. Le salarié peut choisir de « faire le point » en dehors de son entreprise en utilisant le CEP. Mais alors comment est-ce que cela va s’articuler avec les entretiens à l’intérieur de l’entreprise si la confiance ne règne pas…
Dans tous les cas, il s’agit bien de s’orienter, c’est-à-dire d’avoir des informations fiables (mais lesquelles ?), des conseils sur la faisabilité de telle ou telle piste, d’élaborer un projet (ou une esquisse de projet qui se précisera ensuite), de trouver les moyens de le réaliser : financement de formations si besoin est, VAE, recherche éventuelle d’un nouvel emploi, choix de la meilleure manière de « quitter » son ancienne entreprise…
Qui pour accompagner ?
Regardons maintenant quels peuvent être les professionnels, les opérateurs, qui sont susceptibles d’offrir un tel service. C’est là que le paysage français est foisonnant.
Si je suis salarié dans une entreprise, mon premier réflexe sera sans doute de rencontrer les conseillers des FONGECIFs en charge depuis de longues années du montage des dossiers de demandes de Congés Individuels de Formation (CIF) et qui ont acquis une belle expérience en matière d’orientation des adultes. Mais leurs compétences actuelles concernent essentiellement les dossiers CIF, l’usage des Bilans de compétences, et vont devoir s’élargir. Par ailleurs, il y a environ 40 000 CIFs acceptés chaque année et l’ambition du CPF et du CPA plus encore, va bien au-delà. Les derniers chiffres communiqués font état de 2,2 millions de Comptes CPF créés à la Caisse des Dépôts et de 207 000 dossiers de formation « bouclés », mais il est vrai qu’ils concernent pour les deux tiers des demandeurs d’emploi.
Si je suis demandeur d’emploi, ce sera tout naturellement Pôle emploi, ou l’APEC, ou CAP Emploi pour les personnes en situation de handicap. Si je suis « bénéficiaire » du RSA, ce sera peut-être le référent social des Conseils Départementaux ou les conseillers de Pôle emploi. Les Conseils Départementaux et Pôle emploi ont mis en place « l’accompagnement global » qui permet d’aborder et de tenter de résoudre avec les personnes l’ensemble des problèmes quotidiens qui sont autant de freins à l’emploi : santé, logement, permis de conduire, garde d’enfants…
Enfin, si je suis jeune en recherche d’emploi, ou d’une formation, je me dirigerais plutôt vers une Mission Locale pour l’emploi des jeunes.
La difficile réforme de l’orientation
C’est pour coordonner tous ces professionnels, pour rapprocher leurs pratiques professionnelles de l’accompagnement que la Loi de réforme de la formation professionnelle a prévu de faire des Conseils Régionaux les responsables des SPRO (Services Publics Régionaux de l’Orientation). Notons au passage l’usage du terme « service public » pour englober tout un ensemble d’opérateurs, publics ou non, de statuts très différents, mais qui, bon an mal an, font le même métier. C’est aussi pour éviter que les personnes en recherche de conseil et/ou d’accompagnement ne se voient renvoyer de l’un à l’autre… Autant dire qu’il y a du pain sur la planche ! Notons aussi la difficulté que vont avoir les Régions à coordonner et faire fonctionner ensemble des institutions que pour l’essentiel elles ne financent pas et sur lesquelles elles n’ont pas d’autorité hiérarchique. On a vu ces derniers temps la discussion se durcir quant à la demande de « régionalisation » de Pôle emploi au moment où dans deux pays européens au moins, l’Italie et le Danemark, les gouvernements viennent de procéder à une « recentralisation » du service public de l’emploi (voir la chronique de Paul Santelman : » La place de la formation dans les réformes du marché du travail en Europe « )… Question à suivre donc.
La Région Bretagne, qui a été l’une des 8 régions préfiguratrices des SPRO, a ainsi prévu d’organiser et de coordonner tous les opérateurs de l’orientation et du conseil professionnel selon trois types de conseil : le conseil en orientation scolaire, le conseil en VAE, et le conseil en évolution professionnelle (CPE). Et ce par une mise en réseau (financée par la Région) des CIO (les Centres d’information et d’Orientation de l’Education Nationale), les FONGECIFs, les Missions Locales, Pôle emploi, l’APEC, CAP Emploi, les Services universitaires d’Orientation ainsi que les structures mises en place par le Conseil Régional (Points Accueil et Structures de proximité emploi-formation).
Mais le travail d’orientation, ça consiste en quoi ?
Regardons maintenant qu’est-ce que ce travail d’orientation ? En quoi consiste-t-il ? Il s’agit de fournir aux personnes (jeunes, demandeurs d’emploi, salariés en CDI, salariés qui enchainent des CDD…) des informations sur les métiers et les emplois – qui se développent ou sont « bouchés », et cela dans la région, voire le bassin d’emploi – des informations sur les pré-requis pour y accéder, sur les filières de formation et certifications qui seraient nécessaires. Il s’agit souvent d’accompagner la personne pour l’aider à formuler un projet. De l’accompagner pour évaluer ses compétences, puis le réalisme de son projet, et enfin les étapes du chemin qui peut mener à sa réalisation. Et cela dans le temps, de manière suivie, au fil de nombreux entretiens, parfois sur de nombreux mois. De l’accompagner pour trouver les bonnes formations, s’il en est besoin. De l’accompagner pour monter le projet de formation : trouver l’organisme, vérifier s’il y a de la place, y être accepté et surtout en trouver les financements.
Les métiers de l’accompagnement en matière professionnelle sont d’une exigence inouïe : ils demandent des connaissances sur les marchés du travail (selon les professions, les territoires), des compétences en psychologie, des connaissances sur les dispositifs existants, les filières de formation, les organismes de formation, l’ingénierie financière des dossiers, des connaissances juridiques. Ils exigent une éthique, une capacité à établir des relations, à co-construire des projets avec des personnes (et des personnalités) décidément dissemblables. Ces métiers demandent donc un très bon niveau de qualification et de formation interdisciplinaire (on imagine mal que des études de psychologie y suffisent) alors que les différentes institutions sont souvent menacées de restrictions budgétaires et recrutent comme elles peuvent. Ils demandent aux professionnels d’être « bien dans leurs baskets », dans leur job, sûr de leur avenir alors que la précarité et l’utilisation des CDD a aussi gagné les opérateurs de l’orientation. Comme on imagine mal que toutes les compétences et connaissances nécessaires se trouvent réunies en chaque « conseiller », l’exercice de ces métiers requière aussi des organisations du travail qui fassent une large place à l’échange, au collaboratif, au retour d’expériences. C’est pourquoi la coordination de tous les acteurs en charge de l’orientation est si importante si l’on veut que l’expression, un peu employée par anticipation volontariste, de « service public régional de l’orientation » prenne consistance.
Suivre l’exemple de nos voisins ?
Voyons un peu comment marchent les choses dans d’autres pays européens (voir par exemple les sites de l’Irish Institute of Career Guidance Counsellors ou de la British Psychological Society, deux organismes auxquels doivent être affiliés tous ceux qui exercent des métiers d’accompagnement). Une chose saute aux yeux. Il n’y a pas, en général, de distinction institutionnelle entre l’orientation des adolescents au sein du système scolaire et l’orientation des adultes. En France, en matière d’orientation, comme en matière de formation, il y d’un côté l’Education Nationale et de l’autre… tout le reste. Comment faire alors pour les jeunes NEET (Not in Employment, Education, and Training) qui sont dans un entre-deux dramatique ? Comment aider vraiment les élèves, puis les étudiants à choisir les filières qui vont leur convenir et être porteuses d’une insertion professionnelle ? De nombreux prestataires privés se positionnent maintenant sur ce marché. Récemment encore, le ministère de l’Education Nationale s’est farouchement battu contre l’idée de SPRO arguant de cette ontologique différence entre l’orientation des jeunes et l’orientation des adultes. Et ceci bien que la plupart des CIO (les Centres d’Information et d’Orientation de l’Education Nationale) déclarent recevoir de plus en plus d’adultes et en être plutôt satisfaits comme d’un enrichissement de leur pratique professionnelle. Et bien que de très nombreux professionnels de l’orientation et de l’accompagnement des adultes utilisent les ressources de l’ONISEP, conçues plutôt pour l’orientation scolaire. L’exemple de la Bretagne évoqué plus haut montre cependant qu’une bonne intelligence de la coordination régionale peut faire aller ensemble les différents services et opérateurs.
L’orientation est aujourd’hui en France un vaste chantier, franchement engagé : il y a tout à gagner à la professionnalisation, à la montée en compétences des conseillers pour l’ensemble des métiers de l’accompagnement. La réussite de tous les dispositifs adoptés récemment en dépend. Et la réussite de nombreux projets individuels.
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