Alors que le référendum du 23 juin, qui va décider de la sortie ou du maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne (UE) approche, il y a quelque chose de nouveau chez nos cousins Anglais : l’attitude de la « gauche de la gauche » vis-à-vis de l’UE. Elle s’exprime par la voix de Jeremy Corbyn, le leader du Parti travailliste élu en septembre 2015.
Longtemps représentant de la gauche du Labour, il s’était opposé en 1975, à l’adhésion de la Grande-Bretagne à la Communauté européenne, vue à l’époque comme le cheval de Troie du libéralisme, puis au traité de Maastricht en 1992, puis au traité de Lisbonne, comme au projet de constitution européenne trois ans plus tôt, en 2008. Son attitude vis-à-vis du Brexit n’allait donc pas de soi. Or il s’est engagé fortement en faveur du maintien dans l’Union européenne. Il a prononcé un discours sans ambiguïté le 14 avril, devant un public d’étudiants et de syndicalistes à Londres, dans lequel certes, il critiquait l’inclination libérale de l’UE et son déficit démocratique. Mais il a défendu avec ferveur le rôle protecteur de l’Europe en matière de droit du travail, de défense de l’environnement ou encore de lutte contre l’optimisation fiscale des multinationales. « L’Union européenne joue un rôle vital pour promouvoir les droits humains chez nous. C’est grâce à des directives et des règlements européens que les travailleurs handicapés sont protégés des discriminations ; que les ascenseurs, les voitures, les bus et les avions leurs sont accessibles ».
Et Corbyn trace un parallèle avec la protection de l’environnement : « Là aussi, ce sont les règlementations construites par l’UE qui ont permis d’améliorer la propreté des plages anglaises et qui nous obligent à régler le scandale de la pollution de l’air, qui va tuer 500.000 personnes en Grande-Bretagne d’ici 2025 si nous n’agissons pas. Travailler ensemble, au sein de l’UE, est vital pour lutter contre le réchauffement climatique ; vital pour protéger ce bien commun qu’est l’environnement ».
Ce discours a fait forte impression en Grande-Bretagne mais est passé très largement inaperçu de la presse française. C’est bien dommage, car le point de vue de Corbyn détonne dans le paysage de la « gauche de la gauche » européenne. Il a soutenu les prises de position des principaux syndicats britanniques, qui soulignent eux aussi les avancées sociales réalisées grâce à l’Europe. Rappelons qu’historiquement, ce sont les syndicats britanniques (TUC : Trade Union Congress) qui ont créé le parti travailliste pour se doter d’une représentation parlementaire. Les syndicats britanniques, par la voix du TUC, se sont massivement engagés en faveur du maintien dans l’UE. Frances O’Grady, secrétaire général du TUC a déclaré : « Les droits des travailleurs sont en jeu dans ce référendum. (…) Le meilleur moyen pour les travailleurs de les préserver, c’est de rester dans l’UE ».
A titre d’exemple un document intitulé « Santé et sécurité au travail : ce que signifierait un Brexit » publié par le TUC prend très clairement position. Il relève que « sur un total de 65 réglementations sur la santé et la sécurité au travail introduites entre 1997 et 2009, 41 sont issues de la réglementation européenne ». Il observe une « réduction considérable de ce mouvement depuis que la Commission européenne a adopté une approche anti-réglementation en partie due aux pressions de la part des gouvernements britanniques successifs ». Le TUC met cela en rapport avec la forte diminution des accidents mortels du travail en Grande-Bretagne jusqu’en 2010, mouvement qui s’est stoppé depuis cette date. La même évolution peut être observée pour les maladies professionnelles. Autre exemple : dans un communiqué publié le 10 mai, le TUC remarque que la limitation de la durée hebdomadaire de travail en Grande-Bretagne est le fruit de la directive européenne de 1998, qui la limite à 48 heures. Avant l’entrée en application de cette directive, rappelle le TUC, quelque 3.992.000 travailleurs britanniques connaissaient une durée du travail supérieure à cette limite.
Autant de droits « vitaux » qui seraient fragilisés, selon Jeremy Corbyn, en cas de Brexit. « Imaginez ce que les Conservateurs ne manqueraient pas de faire aux droits des travailleurs en Grande-Bretagne si nous choisissons le Brexit en juin. Ils diminueraient drastiquement et aussi vite que possible, les droits sur l’égalité salariale entre femmes et hommes, la limitation du temps de travail, les congés des travailleurs temporaires, les droits au congé maternité ». Un Brexit risquerait de mettre fin à des décennies de progrès. « La libre circulation des personnes a créé des opportunités pour les britanniques. Il y a presque 750.000 britanniques qui vivent en Espagne et plus de 2 millions dans l’ensemble de l’UE ».
Selon lui, la sortie de l’UE enlèverait aux Conservateurs les dernières barrières qui limitent leur action en matière de dérégulation du marché du travail et de privatisation. « L’UE a aidé à soutenir l’investissement, l’emploi et les protections pour les travailleurs, les consommateurs et l’environnement ». Et sur le versant de la critique, Jeremy Corbyn le reconnaît : « c’est souvent plus facile d’accuser l’UE, ou pire, de critiquer les étrangers, plutôt que d’affronter nos propres problèmes ».
Tournée vers l’avenir, son approche est proactive : « nous voulons former des alliances avec les partis socialistes du reste de l’Europe pour la changer ». Et pour la changer, il faut être à l’intérieur, pas à l’extérieur. « Vous ne pouvez pas construire un monde meilleur si nous ne vous engagez pas dans ce monde ». Loin d’accepter l’idée que l’UE provoque un « dumping social », une course au moins-disant sur le plan salarial, il constate la généralisation progressive du salaire minimum au sein de l’UE et appelle à la création d’un « salaire minimum européen dépendant du coût de la vie moyen dans chaque pays ». Finalement, le choix de rester est le choix progressiste car « l’Union Européenne nous offre les meilleures possibilités pour faire face aux challenges auxquels nous sommes confrontés en ce 21ème siècle ».
Voilà qui nous change de l’UE-bashing pratiqué avec constance en France à « gauche de la gauche » ! Lorsqu’en septembre 2015, Jeremy Corbyn avait gagné l’élection qui l’a porté à la tête du parti travailliste britannique, Jean-Luc Mélenchon l’avait chaudement félicité, considérant que « sa victoire nous donne de la force ». Ce n’est pas seulement la victoire de Corbyn qu’il faut saluer, ce sont ses idées… Vivent les Anglais !
Pour aller plus loin :
Texte intégral du discours de Corbyn du 14 avril
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