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par Joanna Unterschuetz, Claude Emmanuel Triomphe

La Pologne fait beaucoup parler d’elle en ce moment…et pas toujours en bien malheureusement. Joanna Unterschuetz, professeure assistante en droit social à l’université de Gdynia, nous explique en quoi consiste la politique du gouvernement conservateur en matière de travail et de sécurité sociale dans une interview parfois surprenante pour les lecteurs de Metis…

 

DUda

Article retranscrit et traduit par Eva Quéméré

 

Pouvez-vous nous expliquer quelles sont les valeurs des partis de droite polonais concernant les questions de travail et d’emploi ?

La première difficulté est celle de savoir ce qu’est l’aile droite polonaise. En fait, si on l’analyse dans une perspective économique et sociale, l’actuel parti au gouvernement (le PIS) est plutôt socialiste. Donc, pas vraiment un parti de droite. Je dirai que son prédécesseur était plutôt libéral, alors que celui d’aujourd’hui est, à mon sens, d’un point de vue social, socialiste. D’un autre côté, si l’on considère par exemple son attitude vis-à-vis de l’Union européenne, sa vision du pays sur la scène internationale et les valeurs qu’il porte, ce parti pourrait être considéré comme de droite, mais encore une fois, pas en ce qui concerne le droit du travail ou la sphère sociale. En fait, la Pologne est, pour moi, très duale et donc difficile à cerner.

 

Pourriez-vous décrire en quoi, d’un point de vue économique et social, le parti de droite au pouvoir serait plutôt socialiste ?

Sans partir directement du marché du travail, l’un des projets clé du parti est celui du « Family 500 + ». Celui-ci consiste à donner 500 zlotys à chaque famille pauvre ayant plus d’un enfant (et pour certaines familles dès le premier enfant). Ainsi, si vous avez deux enfants vous bénéficierez de 500 zlotys, trois enfants de 1000 zlotys, etc. Il s’agit là d’un projet qui, selon moi, est manifestement assez socialiste… et populiste. L’idée derrière cette allocation est de porter la croissance par la démographie, et d’accroître le nombre de naissances. Mais cela peut avoir d’autres effets.

 

Parce que, très souvent, les personnes des familles pauvres qui ont la garde d’enfants – et il s’agit particulièrement des femmes – ont beaucoup de difficultés à entrer sur le marché du travail. Pour elles, si elles ont trois enfants et 1000 zlotys, pourquoi chercher du travail si le salaire minimum est autour de 1300 zlotys ? Cette réforme pousse donc surtout les femmes hors du marché du travail et les enferme à la maison. Bien entendu, elle pourrait aussi avoir d’autres effets, mais il est difficile d’anticiper aujourd’hui ses conséquences sur la croissance du taux de natalité.

 

Le projet d’abolir l’ouverture des commerces le dimanche et donc d’interdire le travail des personnes dans les magasins ce jour-là est un autre exemple. Je dirai que cette autre initiative est plutôt étrange, car elle ne concerne aucune autre branche de l’industrie. Elle ne regarde ni les travailleurs des cinémas, ni ceux des théâtres ou encore les conducteurs de tramway, elle ne concerne qu’un groupe de travailleurs. L’idée qui se cache derrière reflète à nouveau des valeurs traditionnelles. Même pour la Pologne !

 

Vous avez déjà mentionné le rôle du travail indépendant. Les conservateurs souhaitent-ils le réguler ou vont-ils laisser se développer ?

Il y a en Pologne un nombre important de personnes employées sur la base de contrats de travail, mais aussi via des contrats de droit civil qui, eux, ne sont pas couverts par le droit du travail (donc, pas de congés payés, pas de protection contre les licenciements abusifs, etc). Une des choses que le parti a réalisées – c’était un projet déjà discuté auparavant – est d’instaurer un salaire minimum pour les personnes employées sur la base de contrats de droit civil et pour les travailleurs indépendants. Ainsi, si vous employez une personne sur la base d’un contrat de droit civil – sous certaines conditions – vous ne devrez pas le payer en deçà d’un montant donné, par exemple 13 zlotys de l’heure, à partir de janvier prochain (l’application de la loi se fera, en effet, à partir de ce début d’année). L’amendement a introduit des exigences obligeant l’entrepreneur à prouver le temps de travail, ce qui le fait se rapprocher fortement des contrats de travail et de service classiques. Ce faisant, les employeurs seront découragés d’embaucher sur la base de ces contrats de droit civil. Telle est donc la façon dont le gouvernement pense répondre au problème de ce « marché dual ».

 

Bien sûr, la nature de ces contrats est techniquement et légalement différente, mais les employeurs devront, au moins, payer ce salaire minimum. La loi n’est pas encore en vigueur donc il est difficile de parler de ses résultats. Mais il s’agit là selon moi d’un moyen peu commode de gérer cette situation. Une meilleure solution aurait été de renforcer l’application des dispositions existantes concernant le contrat de travail, y compris la présomption d’emploi dans les cas de contrats de droit civil en cas de travail subordonné. En tout cas, l’un des effets positifs que l’on peut espérer est que, à partir de janvier, les inspecteurs du travail seront en droit de requalifier un contrat civil en contrat de travail. Ceci pourrait réellement avoir du sens, si les conditions dans lesquelles le travail est effectué sont plus proches de l’emploi classique en vertu du droit du travail. Auparavant, seul le tribunal du travail avait le droit de le faire et cela a été décourageant pour les travailleurs en raison de la longueur des procédures.

 

Cette régulation de l’auto-entrepreneuriat est-elle spécifique au parti de droite ou bien est-ce une question qui fait consensus au sein de la société polonaise ?

Je dirais que l’idée de se confronter au problème était assez consensuelle. Ce n’est pas seulement l’initiative de la droite. Je dirai plutôt que c’est la conséquence de discussions entamées il y a déjà bien longtemps et qu’aujourd’hui c’est ce parti qui a dû acter cette régulation. Cela va donc au-delà du seul parti au gouvernement, c’est plutôt une tendance globale.

Quid des droits syndicaux ?

Il y a aujourd’hui un projet d’amender la législation sur les syndicats. Le changement le plus important est celui autorisant les personnes en contrats civils à adhérer à un syndicat. Sans entrer dans les détails, il s’agit à nouveau d’un projet du parti actuel, mais sans qu’il s’agisse d’un élément spécifique de son programme. En fait, la législation a simplement dû s’adapter suite à un jugement de la Cour constitutionnelle rendu l’année dernière. Le gouvernement aurait, dans tous les cas, dû faire avec.

 

Au-delà de cette nouvelle loi, pensez-vous que ce parti au gouvernement a plus ou moins de considération pour les syndicats ?

Ce parti semble avoir plus de considération pour les partenaires sociaux et souhaite marcher « main dans la main » avec eux. On peut mentionner l’exemple de l’interdiction du travail du dimanche, car il s’agissait, depuis bien longtemps, d’une de leurs exigences. Il donne ainsi des gages aux syndicats. En revanche, la formulation initiale d’amendements sur le droit syndical contenait des dispositions sur la représentativité syndicale, qui ont été fortement critiquées par les organisations syndicales.

 

Une autre initiative importante est celle qui concerne la « Commission de codification du Code du travail ». La précédente a été active de 2002 à 2008 et le projet de nouveau code du travail préparé n’avait pas été adopté par le Parlement. Aujourd’hui, le gouvernement a donné 18 mois à la Commission de codification pour présenter le projet, sur la base du précédent. Il est néanmoins difficile de dire ce que cela va donner.

 

À mon avis, le vice-ministre du Travail a fait pencher la balance en ce sens. C’est un avocat qui est en faveur de l’introduction de nouvelles régulations. Il a travaillé pendant de nombreuses années pour un syndicat et a conscience que l’actuel Code du travail est loin d’être à jour.

 

Quid de la sécurité sociale ?

La proposition d’abaissement de l’âge de la retraite est l’une des autres initiatives « phares » du gouvernement. Mais, il est apparu au parti de droite, une fois arrivé au pouvoir, qu’il ne s’agissait pas là d’une affaire simple… Trop cher, ils ne feront pas la réforme cette année… qui sait, peut-être l’année prochaine ? Ils semblent donc s’apercevoir des conséquences que cela pourrait avoir, notamment en termes de budget… pourtant la proposition est maintenue et le projet est sans cesse décalé. Il s’agit donc surtout d’une question de posture, tout comme, par exemple, au sujet des mines. Lors des élections, il y a en effet eu d’importants débats autour de la sauvegarde des mines polonaises. Les mineurs sont en effet très importants pour la société polonaise et l’industrie minière est la pierre angulaire de notre industrie encore très dépendante du charbon. Malheureusement, malgré toutes les conséquences que cela pourrait avoir, et contrairement à ce qu’ils proclamaient alors, il n’est pas possible de « sauver tous les mineurs ».

 

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