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Gérard Larcher, propos recueillis par Eva Quéméré et Claude Emmanuel Triomphe

« Qui va piano va sano », tel pourrait être le credo de Gérard Larcher, président du Sénat. Dans un entretien accordé le 13 octobre à Metis, celui qui se positionne parfois comme un OVNI à droite, parle de valeur travail, de réformes, des corps intermédiaires, ou encore de l’uberisation, le tout en employant volontiers les termes qui lui sont chers : « confiance » et « collectif »

larcher

Pour vous, quelles sont les valeurs sociales de la droite et du centre, et qu’est-ce que le travail aujourd’hui ?

Je pense que les gaullistes doivent s’emparer, ou plutôt continuer à s’emparer du sujet travail, car il n’appartient pas qu’à la gauche, qui a d’ailleurs montré qu’elle avait du mal à s’en occuper … La droite et le centre sont tout aussi légitimes.

Je pense que la notion du collectif est aussi importante que celle de l’individuel et, à mon sens, le modèle social s’est construit par la valeur travail, l’un des éléments centraux du collectif. Comme le dit Bronislaw Geremek « celui qui est exclu du travail a l’impression d’être inutile au monde ».

Voilà notamment pourquoi je crois à la participation au sens du Préambule de la Constitution de 1946, c’est-à-dire au droit à la participation, à la détermination collective des conditions de travail et à la participation dans la gestion des entreprises. On est très loin de n’être que des individus isolés et je suis parfois inquiet de la fragmentation du projet collectif alors qu’il se situe justement à l’inverse du repli national.

Je ne veux pas que l’on passe les corps intermédiaires par-dessus bord. La valeur travail doit être régulée par l’organisation, comme la démocratie en réalité. J’ai, en fait, du mal à imaginer une société où il n’y aurait pas d’intermédiaire entre l’État et l’individu. On ne gouverne pas un pays uniquement d’en haut.

En effet, mais la valeur travail est-elle figée ?

Quand 6 millions de nos compatriotes sont durablement ou temporairement éloignés du travail, on voit bien qu’au-delà de leur situation personnelle et individuelle, c’est la collectivité toute entière qui en souffre. Les débats d’identité sont – bien qu’importants -, secondaires par rapport à ce sujet et la première question à se poser, qui est commune à ces deux problématiques, est celle de savoir comment on réintègre des gens dans la communauté nationale.. Il faut donc faire des réformes.

Pour conclure sur ce point, je pense que lorsque l’on prône une société de liberté il faut considérer les responsabilités individuelles et collectives, et la valeur travail s’inscrit exactement entre les deux.

Vous parliez de réformes, à droite on peut entendre que l’on n’en a pas assez fait, en revanche d’autres acteurs disent le contraire. Sans s’arrêter au dernier quinquennat, faut il réformer encore, si oui, pourquoi faire ?

Tout dépend de l’objectif de la réforme, et de la façon dont on cherche à l’atteindre. Il ne s’agit bien sûr pas de réformer pour le plaisir de réformer ! Par exemple, la compétitivité d’une entreprise c’est la réalité, c’est un objectif. Regardez Alstom. Quand Louis Gallois rend son rapport au président de la République en 2012, il met la compétitivité au centre des problématiques de l’économie française.

Je pense qu’il faut mettre en place les conditions de la confiance entre les salariés, les entreprises et l’État (au sens de ses institutions). Le principal objectif de cette confiance retrouvée est que les entreprises françaises puissent être compétitives et au bout du chemin, assurer le plus possible le plein emploi, et ce, dans des conditions qui s’inscrivent dans le modèle de société que l’on souhaite. C’est-à-dire un modèle qui ne se construit pas sur la pauvreté ou la précarité. Il s’agit d’ailleurs ici d’un point délicat, quand on oppose la précarité allemande et la situation française on voit, bien sûr, qu’il y a de la précarité en Allemagne et c’est un réel problème, mais en France, nous avons les deux : chômage et précarité. Que faire alors ?

L’on doit donc réformer, mais on doit se poser la question de la manière et du niveau où il faut le faire, en ne négligeant pas cette notion-clé qu’est la confiance entre tous les acteurs.

Pour donner un exemple, et contrairement à ce que pensent certains de mes amis, la question du temps de travail imposé d’en haut est, pour moi, complètement dépassée. J’ai cru à un moment donné que le partage du temps de travail pouvait nous permettre d’inclure chacun dans la société : ça n’a pas marché. C’est pourquoi les négociations d’entreprise (n’excluant pas les accords de branche) me semblent être importantes, particulièrement sur les questions de temps de travail.

Par ailleurs, je ne crois pas au contrat de travail unique ni au contrat de travail comportant des formes de rupture prédéfinies, car ils représentent tous deux une atteinte à la liberté. Pourtant, il faut écouter les TPE/PME qui rencontrent aujourd’hui de réels problèmes : les prud’hommes, les difficultés sur le contrat de mission, etc. Ce qui va compter, c’est donc la méthode utilisée pour réformer le marché du travail.

Enfin, comment en finir avec le chômage de masse ? Je pense que la Région est le bon niveau pour conduire les politiques de l’emploi. C’est par ailleurs à son niveau que se construisent les politiques de formation. Il faut bien sûr aussi une stratégie définie au niveau national. Mais la décentralisation de sa mise en œuvre ne peut être sur ce point que plus efficace.

Vous êtes donc pour la régionalisation de Pôle emploi ?

Oui, et bien que d’autres de mes amis ne soient pas d’accord là dessus, je ne m’en cache pas ! J’ai, pour tout vous dire, déjà proposé de lancer des expérimentations allant en ce sens. Certaines régions seraient idéales pour cela. L’Aquitaine ou encore les Pays de la Loire ont une vraie réflexion sur le sujet, et font preuve d’un important dynamisme sur la formation professionnelle et sur l’emploi.


Lors de vos différents mandats, vous avez essayé de donner la priorité au dialogue social notamment au travers de la loi de 2007 par laquelle vous l’avez, en quelque sorte, théorisé. Quel bilan en faites-vous aujourd’hui ? Et si vous deviez faire un diagnostic de la démocratie sociale à la française, lequel serait-il ?

François Hollande a dit récemment qu’il trouvait que le CPE avait été une bonne idée et je suis plutôt d’accord. La lutte contre le chômage des jeunes est, pour moi, la question fondamentale aujourd’hui. Mais à l’époque, le Premier ministre avait voulu imposer cette loi de façon quasi unilatérale, sans passer par le moindre dialogue social. Les résultats ne s’en sont pas fait attendre : une crise politique et sociale majeure et l’abandon de toute réforme allant dans ce sens. En fait, le texte de 2007 sur le dialogue social est né de cet échec.

Voilà pourquoi le premier point fort de la loi de 2007 est déjà celui d’exister ! J’estime que le dialogue social est « un lieu collectif » dans lequel les gouvernements ou parlements peuvent faire des propositions dans le cadre d’un certain agenda. Ainsi, des accords sont voulus soit à l’initiative du politique soit par les partenaires sociaux comme ce fut le cas pour l’accord sur les ruptures conventionnelles sous le précédent quinquennat.

Je suis certain qu’il ne faut pas « balancer » ce texte de 2007. Il faudra en faire le bilan, et si nécessaire le réajuster. Il nous faut aujourd’hui une vraie réflexion sur le dialogue social, car lui seul peut permettre d’atteindre une position commune. Les politiques ont, à un moment donné, voulu attendre trop des partenaires sociaux et se sont ainsi défaussés sur eux au niveau de certaines réformes qu’ils ne se sentaient pas de conduire. Mais quand un pays se trouve à la croisée des chemins, qu’il doit redéfinir son modèle économique et social, cela suppose de telles réformes de structure qu’elles ne peuvent pas être assumées uniquement par les partenaires sociaux.

Je suis, par ailleurs, hostile à l’idée de Laurence Parisot et de François Chérèque – reprise par François Hollande dans son engagement n° 55 et lors de sa première grande conférence sur le social de 2012 – d’inscrire le dialogue social dans la Constitution. Il s’agit, à mon sens, d’une démarche non seulement prématurée, mais aussi inutile. Laissons vivre la loi de 2007 !

Enfin, je regrette qu’on ne soit pas allé plus loin sur la loi Travail présentée par Myriam El Khomri. Le texte initial me convenait très bien, même s’il n’était évidemment pas parfait. Aujourd’hui, il a été complètement dénaturé. Réformer pour réformer n’est pas une bonne chose. On peut réformer rapidement, mais seulement si la confiance existe, ce qui est aujourd’hui loin d’être le cas.


Alors que certains des candidats à la primaire de la droite et du centre veulent contourner les corps intermédiaires, que pensez-vous de la fin du monopole des organisations syndicales dans les élections professionnelles ?

Tant qu’on n’a pas renforcé le taux de représentativité, ce serait une erreur d’en finir avec ce monopole. Dans un pays qui aujourd’hui doute de lui-même, ce serait une véritable méprise. Pour moi, la fin de ce monopole devrait se faire, mais dans un deuxième temps.

Je crois profondément en l’utilité des corps intermédiaires. Mais on ne peut pas avoir que la fonction publique pour représenter l’ensemble des salariés. Les corps intermédiaires doivent être réformés. L’idée de limiter les actuels temps pleins de représentants des salariés à 50 %, de garder un lien avec l’entreprise et de limiter le nombre de mandats sociaux et syndicaux n’est pas mauvaise :il faut donc engager le chantier. Il faut donc être très vigilant – contrairement à ce que certains souhaitent – à ne pas les jeter par-dessus bord, car il nous manquerait alors un maillon essentiel.

Vous pensez qu’il faut avancer sur l’extension du référendum ?

Le recours au référendum peut avoir un côté populiste, mais il peut aussi être un très bon élément démocratique. S’ils sont bien conçus, les référendums peuvent asseoir la représentation des syndicats signataires. Par ailleurs, je suis plutôt favorable à l’idée de l’initiative conjointe entre chefs d’entreprise et syndicats signataires, c’est aussi une façon d’avancer.

Ces propositions sont trop souvent présentées par certains politiques comme une manière de marginaliser le dialogue social alors qu’elles devraient être, au contraire, une manière de consolider ceux qui s’engagent.

« Uberisation », « plateformes », « économie collaborative »… Faut il encadrer les nouvelles formes de travail liées au numérique et si oui, comment ?

L’idée avance et les politiques prennent conscience de ces problématiques. En 2016, deux rapports ont émergé sur le sujet, celui de Pascal Terrasse sur le développement de l’économie collaborative et celui de Bruno Mettling sur les transformations numériques et la vie au travail, les deux proposent notamment des formes de taxations pour pouvoir financer le modèle social français ou européen.

Moi je suis, comme toujours, réservé sur des réglementations trop précipitées, mais c’est un chantier politique qu’il faut bien sûr engager. La première question à se poser est celle de savoir quel est le modèle que l’on souhaite. Je pense qu’il faut surtout faire très attention à ce que ces nouvelles formes de travail n’aboutissent pas à échapper à toute régulation collective. Mais, on ne peut pas non plus se précipiter, il faudrait passer par l’expérimentation et l’évaluation.

Un tiers statut entre salariat et entrepreneuriat serait-il souhaitable ?

C’est en tout cas une voie à ne pas ignorer, mais il faut aussi veiller à ne pas, pour autant, mettre en place un système trop rigide qui empêcherait l’émergence de ces modèles alternatifs. Tout cela nécessite donc que l’on fasse de vraies études d’impact. C’est donc un réel projet politique pour le prochain quinquennat et pour l’Union européenne qui doit absolument porter ces questions.

Selon vous, l’Europe sociale est-elle morte ?

Non !

Il faut relancer le projet européen. Il faut laisser aux parlements nationaux des sujets dont l’Europe s’était emparée, mais il faut aussi rapprocher les citoyens de l’UE. La dimension sociale européenne doit poser les principes et les valeurs. C’est ensuite aux Etats de les décliner. La liaison entre autorités européennes et parlement nationaux ce n’est pas légiférer à la place des Etats.

Le semestre européen donne pourtant le « LA » en matière sociale…

Ce n’est pas une force de proposition suffisante. Elle ne « percole » pas jusqu’aux parlements nationaux. Il faut que les partenaires sociaux nationaux soient plus actifs auprès la Commission.

On peut donc dire que vous croyez au collectif…

Oui, j’y crois même profondément. Ce qu’il manque à la gauche aujourd’hui c’est d’imaginer la confiance, et donc de créer le collectif. La notion de lutte des classes m’a toujours été complètement étrangère. La confiance ce n’est pas la naïveté ou la faiblesse. La confiance c’est, à un moment donné, dialoguer puis partager un projet. Et la politique c’est arbitrer ces conclusions, mais pas construire en lieu et place de ceux qui vont habiter la maison.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.