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Les résultats des enquêtes de l’OCDE « PISA » se succèdent : de nombreux pays en ont tiré des leçons et ont réalisé des réformes ou introduit de nouvelles pratiques. Et la France ?

 

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La question des inégalités à l’école a déjà été abordée par Metis dans une interview de Philippe Meirieu où, sous le titre « Ecole, état d’urgence » ce dernier déplorait que la France soit

 

« le pays d’Europe où l’école corrige le moins les inégalités sociales […] où le collège coûte le moins cher alors que le coût du lycée est énorme, […] où la formation pédagogique des enseignants reste insuffisante […] et où les réformes sont imposées par en haut, indépendamment du travail vécu par les enseignants. »

 

Une note de lecture de Metis consacrée aux « 10 propositions pour changer d’école », de François Dubet et Marie Duru-Bellat avait abordé ces questions : pour corriger ces inégalités l’ouvrage avançait également le besoin d’aller jusqu’au bout de la logique du socle commun des compétences (qui définit depuis 2005 les finalités de l’école obligatoire) et celui d’instaurer la mixité sociale dans les écoles, mais aussi dans les classes, le tout dans le cadre d’une « révolution copernicienne » appelée à « changer de cap et de modèle […] et à réinventer l’institution scolaire. » L’enquête PISA 2015 publiée en décembre 2016 apporte un nouvel éclairage.

 

Où se situe la France ?
Ces résultats ont été assez largement diffusés. L’enquête PISA 2012 avait marqué un recul brutal des résultats de la France par rapport aux pays de l’OCDE et en particulier parmi les pays de l’Union européenne (UE). PISA 2015 montre que le recul a été enrayé, mais que la France continue d’occuper une position médiocre sur les trois sujets couverts par l’enquête (compréhension de l’écrit, mathématiques et sciences) comme en témoigne le tableau en annexe. Concernant les sciences, avec un score moyen de 495 inchangé par rapport à PISA 2012, la France se situe juste un peu au-dessus de la moyenne OCDE, à la 13e place parmi les pays de l’UE, loin de Singapour, du Japon, de l’Estonie, de la Finlande ou encore du Canada, nettement décrochée par la Slovénie, l’Allemagne et le Royaume-Uni, juste derrière les États-Unis ; en même temps elle devance des pays tels que la Russie, l‘Italie, la Hongrie, la Grèce, la Bulgarie, la Roumanie ou encore l’Albanie, la Turquie, la Tunisie, l’Algérie et la République dominicaine qui ferme la marche. Pour la compréhension de l’écrit, la situation est légèrement meilleure où le score moyen de la France progresse de 2 points à 499 au 10e rang au sein de l’UE. En revanche, son score moyen en mathématiques a baissé de 4 points à 493 à la 14e place au sein de l’UE. Ces évolutions s’observent dans le contexte d’une tendance générale à la baisse dans le monde entier, notamment en Finlande, aux Pays-Bas, en Belgique, Autriche, Hongrie, et Slovaquie ainsi qu’en Corée, Nouvelle-Zélande, Australie et Islande. Cependant les résultats se sont améliorés significativement dans des pays tels que l’Estonie, la Slovénie, le Portugal, la Bulgarie, la Roumanie ou la Russie.

 

La situation est encore plus préoccupante en matière d’inégalités : avec 18,4 % d’élèves très performants dans au moins un des trois domaines d’évaluation (rappelons qu’il s’agit d’élèves de 15 ans, c’est-à-dire pour la plupart d’entre eux en fin de premier cycle de l’enseignement secondaire), la France se situe bien au-delà de la moyenne OCDE dans le peloton de tête des pays de l’UE derrière la Finlande, l’Estonie, l’Allemagne et les Pays-Bas ; en revanche, avec 14,8 % d’élèves peu performants dans l’ensemble des trois domaines, la France se trouve au-dessus de la moyenne OCDE, seulement dépassée au sein de l’UE par le Luxembourg, la Hongrie et la Grèce (dans ces deux pays, l’ensemble des performances se sont nettement dégradées depuis 2012), la Lituanie, la Slovaquie, la Bulgarie et la Roumanie ; et la situation a empiré depuis 2012 où l’on comptait 12,7 % des élèves dans cette catégorie. Elle a empiré également en Estonie, en Finlande, en Allemagne, en Pologne, aux États-Unis, en République tchèque, en Grèce ou en Turquie, mais elle a diminué et parfois de façon spectaculaire en Slovénie, au Royaume-Uni, au Danemark, au Portugal, en Suède, en Russie ou en Albanie.

 

C’est ainsi que la polarisation entre les meilleurs et les moins bons est maximale en France, où elle a même tendance à se renforcer tandis qu’elle diminue dans d’autres pays. En outre, la part de la variation de la performance en sciences expliquée par le niveau socio-économique des élèves est la plus élevée en France parmi tous les pays de l’UE (à l’exception du Luxembourg et de la Hongrie) et même parmi les 80 pays du monde ayant participé à l’enquête (à l’exception du Pérou et de l’Argentine). À l’opposé, la variable socio-économique joue un rôle limité, inférieur à la moyenne OCDE, dans des pays tels que l’Estonie, le Canada, la Corée, le Royaume-Uni, le Danemark, la Norvège, les États-Unis, la Russie, l’Italie et l’Islande.

 

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★★★★

 

Analysant en détail le phénomène du décrochage scolaire à partir des résultats de PISA 2012 dans le domaine des mathématiques, un autre rapport de l’OCDE (PISA, Les élèves en difficulté ; Pourquoi décrochent-ils et comment les aider à réussir ?, OCDE, 2016) identifie également l’importance capitale du niveau socio-économique ; il montre que la différence – selon le pourcentage d’élèves peu performants – entre élèves immigrés (ou enfants d’immigrés) et élèves autochtones était (en 2012) la plus forte en France parmi tous les pays de l’UE avec 25,6 % (contre 14,2 pour la moyenne OCDE ; 17,4 en Allemagne ; 7,4 dans le Royaume-Uni ; 16,5 aux Pays-Bas ; ou 19,7 en Italie) à l’exception de la Bulgarie, du Danemark et de la Finlande. La différence était aussi maximale en France selon que les élèves avaient bénéficié d’enseignement pré-primaire ou non avec 43,4 % (moyenne OCDE 21,7) et aussi très forte selon que les élèves avaient redoublé une classe avec 49,1 % (moyenne OCDE 36,3). En revanche la différence entre les scores des élèves suivant une filière professionnelle et ceux des élèves suivant une filière générale était moins marquée avec 11,1 % (moyenne OCDE 20,4 ; 4,1 en Allemagne ; 6,2 en Autriche ; mais aussi 33,6 au Royaume-Uni). Enfin on notait une égalité parfaite entre les filles et les garçons (écart moyen OCDE : 1,8 %).

 

Que faire ?
Dans cette situation, l’OCDE appelle à faire de la réduction du nombre d’élèves peu performants une priorité. Les pays ayant réussi dans ce domaine entre 2000 et 2012 ont tous, aussi variés qu’ils soient, « mis en œuvre récemment une réforme de leur système ciblant spécifiquement certains des facteurs de risque de faible performance ». L’OCDE appelle en outre à créer à l’école des environnements d’apprentissage stimulants offrant aux élèves le soutien nécessaire et à renforcer la formation des enseignants. Il importe également de repérer le plus tôt possible les élèves en difficulté et de leur proposer une aide adaptée, de favoriser l’implication des parents et des collectivités locales, d’encourager les élèves à tirer le meilleur parti des possibilités éducatives s’offrant à eux, d’offrir un soutien ciblé aux familles et établissements défavorisés, de proposer des programmes spécifiques aux élèves immigrés, de lutter contre les stéréotypes de genre, d’aider les familles monoparentales, et enfin de réduire les inégalités d’accès à l’éducation de la petite enfance et de limiter le recours à la sélection des élèves.

 

Plus précisément, en même temps que les résultats complets de PISA 2015, l’OCDE a publié le 6 décembre 2016 une note concernant la France (PISA 2015 Les défis du système français et les bonnes pratiques internationalesOCDE, 2016) qui reprend ces analyses et émet une série de recommandations générales visant la réussite des élèves les plus défavorisés comme suit : (i) créer des incitations pour amener des enseignants expérimentés à travailler dans les établissements défavorisés ; (ii) renforcer les pouvoirs des chefs d’établissement, à commencer par ceux qui travaillent en zone sensible ; (iii) développer des stratégies pour attirer et retenir les chefs d’établissement compétents dans les établissements défavorisés peu performants ; (iv) dispenser une formation spécialisée pour doter les enseignants des compétences nécessaires ; (v) soutenir les équipes de direction et les enseignants par la formation continue et le tutorat ; (vi) encadrer les choix d’établissement de façon à prévenir la ségrégation ; (vii) adapter les stratégies de financement ; (viii) développer des stratégies pour nouer des liens entre l’école et les familles des élèves en difficulté.

 

À cela s’ajoutent des recommandations plus spécifiques – appuyées sur des exemples de bonne pratique en Europe – concernant en particulier la limitation du redoublement, l’augmentation des heures consacrées à la pédagogie différenciée, le renforcement des services d’orientation et de conseil et leur ciblage sur les jeunes de milieu défavorisé, le développement de la formation continue pour les enseignants, l’approfondissement de la réflexion sur le statut des enseignants, la mise en place d’un système d’évaluation de qualité reconnue par les enseignants et les chefs d’établissement, ainsi qu’en ce qui concerne spécifiquement les filières professionnelles, renforcer l’exigence académique des filières professionnelles, impliquer employeurs et syndicats dans l’élaboration des programmes, réformer les services d’orientation professionnelle, s’assurer que les enseignants et formateurs aient une solide expérience professionnelle et enfin favoriser le travail à temps partiel en entreprise des formateurs.

 

Curieusement, quoiqu’il ait fait l’objet de nombreuses analyses et recommandations de l’OCDE dans le passé, le renforcement de la mixité dans les établissements et dans les classes est absent de cette longue liste ; de même le nécessaire redéploiement des financements entre les lycées et les collèges s’appuyant en particulier sur la réduction des filières et des options dans les lycées. Par ailleurs, certains sujets sont évoqués dans des termes qui restent vagues tels qu’un « système d’évaluation de qualité », ou encore la nécessaire revalorisation des salaires des enseignants qui se cache derrière « l’approfondissement de la réflexion sur les statuts » !

 

Les bonnes pratiques
L’OCDE ajoute à ces recommandations la présentation d’une longue série de réformes et de bonnes pratiques puisées dans une vingtaine de pays et susceptibles de nourrir la réflexion. En voici quelques-unes :

 

points

 

– Après le « choc PISA » des années 2000, l’Allemagne a repoussé l’âge de la sélection des élèves dans les différentes filières d’enseignement tout en réduisant le nombre de ces dernières ; la Pologne a fait de même quelques années après, repoussant d’un an l’entrée en formation professionnelle.
– En Allemagne, dans le Land de Rhénanie Palatinat, le programme Kita ! Plus vise à développer la coopération entre les établissements d’accueil des jeunes enfants avec les parents et les familles sur les aspects socio-environnementaux. Il s’agit de mettre au point un instrument standardisé destiné à garantir, contrôler et améliorer la qualité dans tous les établissements du Land.
– Dans la Communauté flamande de Belgique, un décret permet aux collèges de bénéficier d’heures supplémentaires pour les enseignants selon une grille de cinq indicateurs concernant chaque élève : (i) le parent est travailleur saisonnier ; (ii) la mère n’a pas terminé ses études secondaires ; (iii) l’enfant ne vit pas avec ses parents ; (iv) la famille vit d’un revenu de soutien communautaire ; (v) à la maison, l’enfant parle une autre langue que le néerlandais. Par ailleurs, un plan d’action a été lancé en 2012 afin de réduire drastiquement l’abandon prématuré de la scolarité d’ici 2020. Une initiative similaire a été prise au Portugal en 2012 avec le programme de lutte contre l’échec scolaire et l’abandon scolaire.
– Au Mexique, des transferts monétaires ont été opérés en faveur des familles démunies afin de relever les taux de scolarisation dans le secondaire, particulièrement chez les filles.
– En Angleterre, l’agence d’inspection (OFSTED) surveille de près les progrès des élèves défavorisés et le ministère de l’Education décerne un prix (Pupil Premium Award) et récompense les écoles qui démontrent des progrès notoires en lecture, écriture et mathématiques pour les élèves défavorisés.
– À Manchester, dans le cadre d’un projet de trois ans engagé en 2008 (Greater Manchester College), les chefs d’établissements performants ont travaillé avec les établissements les moins performants et défavorisés au sein des circonscriptions afin d’en améliorer les résultats, notamment par la formation des enseignants. À la fin du projet, les établissements engagés dans le projet avaient progressé trois fois plus vite que la moyenne nationale, selon les résultats aux tests standardisés nationaux. Plus généralement dans le Royaume-Uni, le programme « Education Action Zone » favorise la mise en œuvre de réseaux d’établissements et permet de mutualiser des pratiques et des ressources au bénéfice des élèves défavorisés. Une approche similaire est en œuvre à Shanghai.
– En Corée, grâce aux nombreuses incitations offertes aux enseignants qui travaillent dans les établissements en grande difficulté (revalorisation salariale, réduction de la taille des classes et du temps d’enseignement, possibilité de choisir le prochain établissement où ils seront en poste), les élèves de niveau socio-économique défavorisé sont plus susceptibles que les plus favorisés d’avoir des professeurs de mathématiques de qualité et ayant au moins trois ans d’expérience.
– En Irlande un dispositif de liaison mis en place entre les parents d’élèves, l’établissement et la communauté (Home/School/Community Liaison Scheme) cible les élèves « susceptibles de ne pas réaliser leur potentiel dans le système éducatif en raison de leur milieu d’origine » et un coordinateur organise des activités locales visant à encourager des contacts accrus entre parents, enseignants, groupes bénévoles et les organismes officiels afin d’identifier les problèmes qui nuisent aux apprentissages et à les résoudre.
– Au Canada (Québec), le ministère de l’Education a mis en place une banque de données de bonnes pratiques destinée spécifiquement aux établissements les plus défavorisés. En 2013-2014, 778 écoles primaires et secondaires ont bénéficié d’une mesure financière massive pour soutenir l’adaptation des pratiques dans l’école et dans la classe.
– À Ontario, grâce au programme de « partenariat d’interventions ciblées » destiné aux écoles primaires desservant des communautés défavorisées, entre 2002 et 2010, le nombre d’écoles où moins de 34 % des élèves atteignaient un niveau 3 (sur l’échelle de 1 à 5 de PISA) en lecture a été réduit des deux tiers.
– En Finlande, dans le deuxième cycle de l’enseignement général obligatoire (notre collège), le redoublement n’existe pas et aucun examen n’est organisé avant la fin de ce cycle.
– En Norvège, un partenariat a été établi en 2009 entre le ministère de l’Education, les établissements scolaires et les communes ou les comtés avec les objectifs d’élever la qualité et le statut de la profession d’enseignant, et d’améliorer la direction des établissements.
– À Shanghai, tous les nouveaux enseignants participent à des ateliers et à des séances de tutorat et d’observation de leurs pairs et analysent des leçons en groupes avec des enseignants expérimentés. Ils peuvent voir leur excellence récompensée dans le cadre de concours organisés au niveau des districts.
– En Estonie, où la rémunération des enseignants était inférieure à la moyenne OCDE, les salaires ont été revalorisés en 2013 et calculés sur la base d’un emploi à plein temps et non en fonction du nombre contractuel d’heures de service. Une approche similaire est mise en œuvre depuis 2007 en Israël avec l’objectif de permettre un enseignement en petits groupes pour les élèves les plus faibles.
– Au Danemark, tous les programmes d’enseignement professionnel incluent un minimum de trois mois de formation en milieu professionnel. Par ailleurs, l’assurance qualité est intégrée aux modules de stage et joue un rôle décisif dans l’homologation des nouveaux programmes.

 

La France a-t-elle tiré les leçons de PISA ?
Comme on l’a vu ci-dessus, en France, la prise de conscience du recul des performances et de la montée des inégalités observée avec PISA 2012 ne s’est pas traduite par des améliorations observables dans PISA 2015, contrairement à la Suède qui a vécu en 2012 un véritable choc PISA et qui a réussi en trois ans à diminuer nettement le pourcentage d’élèves peu performants. Malgré la promulgation d’une Loi de refondation de l’école en 2013 – dont on se demande encore aujourd’hui quels étaient les contours – les mesures ont tardé.

 

Après l’installation Rue de Grenelle d’un troisième ministre depuis le début du quinquennat de François Hollande, il semble que les choses aient commencé à bouger. C’est ainsi que le site Internet du ministère de l’Education nationale donne une large place aux résultats de PISA 2015 avec une introduction réalisée par Najat Vallaud-Belkacem qui évoque le choc PISA encaissé par la France et qui avance la mise en œuvre d’une série de mesures : (i) concernant les dépenses, l’augmentation du budget de l’éducation nationale (6,8 % du PIB en 2015) et la création de 54 000 postes entre 2012 et 2017 ; (ii) sur la question de l’équité, l’augmentation de la scolarisation avant 3 ans, le déploiement du dispositif « Plus de maîtres que de classes », les nouveaux parcours d’excellence, et l’allocation provisoire des moyens adaptés aux difficultés sociales ; (iii) en matière de programmes, la réforme de ceux de l’école maternelle et la restructuration de la scolarité obligatoire en cycles de trois ans « cohérents et progressifs » permettant l’acquisition par chaque élève du socle commun. Plus précisément, la lutte contre le décrochage scolaire devrait être favorisée par :

– une démarche pragmatique pour renforcer la mixité sociale dans les collèges ;
– une augmentation du nombre d’élèves handicapés scolarisés en milieu ordinaire ;
– une action affirmée en faveur de l’égalité filles-garçons ;
– le renforcement de la place des parents dans l’institution scolaire ;
– le rétablissement de la formation initiale des enseignants et un vrai droit à la formation continue pour tous les personnels.

 

Cette batterie de mesures et d’intentions est impressionnante, mais il est bien clair aussi que nous n’en sommes qu’aux débuts. La mixité dans les collèges est une expérimentation qui va concerner 82 projets basés sur le volontariat en s’appuyant sur le partenariat entre collèges performants et peu performants avec le soutien des collectivités locales ; mais cette expérimentation ne devrait commencer qu’avec la rentrée 2016 et les projets rencontrent encore çà et là des résistances de la part des parents d’élèves comme dans le 18e arrondissement de Paris. Comme l’indiquait Le Monde (mardi 24 janvier 2017) en référence à un reportage réalisé au sein d’une ESPE (Ecole supérieure du professorat et de l’éducation ; les ESPE ayant été mises en œuvre par décret en 2013) « la réforme de la formation initiale des enseignants, moins centrée sur les savoirs, porte ses fruits, mais la professionnalisation est encore jugée un peu courte ». Cette affirmation semble d’ailleurs être un euphémisme si l’on en juge par le fait que cette formation professionnelle ne dure qu’une année et n’en constitue que la moitié, l’autre étant consacrée au mi-temps d’enseignement que l’apprenti professeur exerce dans un établissement, et par les témoignages des enseignants convoqués dans l’article. Plus généralement, on peut aussi s’interroger sur l’avenir de ces réformes et initiatives compte tenu de l’élection présidentielle à venir et de l’intention de certains des candidats déclarés de revenir sur (voire d’abroger) la réforme des collèges.

 

Au-delà, on doit aussi s’interroger sur la question des moyens attribués à l’école. Avec plus de 6 % du PIB consacrés aux dépenses d’éducation, la France se situe à un niveau parmi les plus élevés en Europe. Pour autant, l’analyse des performances médiocres de son système éducatif a montré le besoin – rappelé récemment pas l’ensemble des candidats à la primaire de la gauche – de revaloriser les salaires des enseignants, d’augmenter le ratio professeurs/classes, de créer des postes dans le primaire, d’améliorer encore la formation des maîtres ou de renforcer la scolarisation à 3 ans. Dès lors, la question se pose du redéploiement des ressources du lycée vers le collège, le primaire et la maternelle comme le suggère Philippe Meirieu.

 

On pourrait également évoquer le nécessaire redéploiement des ressources au niveau de l’enseignement supérieur entre d’un côté les universités et de l’autre le système des classes préparatoires et des grandes écoles, ce dernier bénéficiant de moyens par élève bien supérieurs, alors qu’on y retrouve les étudiants des milieux socialement les plus favorisés et dans une proportion qui ne fait que croître dans les écoles les plus prestigieuses tandis que l’accueil des élèves d’origine sociale moins favorisée s’y est considérablement raréfié depuis. Cette question est étroitement liée à celle des inégalités à l’école primaire et au collège, mais c’est une autre histoire !

 

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Au cœur : la conception du métier d’enseignant
Ainsi, l’enquête PISA 2015 confirme et amplifie les opinions des experts. Comme le déplorait la ministre en commentant les résultats de PISA 2015, la France est « le pays du grand écart avec une école efficace pour une grande majorité de ses élèves, mais qui ne parvient pas à faire réussir 20 à 30 % d’entre eux ; et elle est aussi le pays de la reproduction sociale ». De fait, elle détient bien le bonnet d’âne sur la question de l’inégalité des chances. Le système éducatif et la société dans son ensemble continuent d’exprimer leur « préférence pour l’inégalité » telle que François Dubet l’analysait dans son livre éponyme (voir la fiche de lecture de Metis consacrée à ce livre). Les inégalités scolaires sont plus grandes encore que les inégalités sociales, l’école en rajoute. On pourrait sur ce sujet convoquer les récents avis de la Cour des comptes consacrés à la politique des zones prioritaires lancée par Alain Savary en 1983 qui montrent que derrière les grandes proclamations politiques, les moyens accordés aux établissements situés dans les ZEP étaient inférieurs à ceux accordés aux établissements plus favorisés des centres villes. Tandis que plusieurs pays ont pris les problèmes d’inégalités à bras-le-corps depuis des années et que certains ont déjà engrangé des résultats substantiels, la situation continue à s’aggraver en France.

 

Contrairement à nombre des pays qui ont vécu un choc PISA, il n’y a encore rien eu de tel en France. Un choc PISA signifie, comme ce fut le cas en Allemagne en 2000, ou plus tard en Pologne ou en Suède, un diagnostic partagé par toutes les parties prenantes, un large accord entre elles sur les mesures à adopter et une mobilisation générale pour leur mise en œuvre. Malgré les affirmations de la ministre, on a bien vu qu’on est encore loin du vaste consensus indispensable pour la réussite des réformes nécessaires, d’autant que certaines d’entre elles ne sont pas encore engagées ni même identifiées. Au-delà des résistances traditionnelles des nostalgiques de l’école républicaine de papa et des oppositions politiques qui traduisent les réactions négatives de divers lobbies, il y a évidemment les difficultés légitimes des parents d’élèves à accepter des expérimentations qui risquent de nuire à la bonne scolarisation de leurs enfants, ce qui les amène souvent à abandonner l’école publique pour se diriger vers le privé.

 

Mais la question centrale reste probablement celle des enseignants dont on a vu à l’exposé des réformes en cours dans d’autres pays qu’ils en sont à la fois les cibles principales et les acteurs majeurs. On a observé en France leurs résistances au changement à propos de la réforme des rythmes scolaires au moment de la réintroduction en 2013 de la semaine de quatre jours et demi à l’école primaire, alors que trois ou quatre ans auparavant ils s’étaient opposés à sa suppression, ou encore plus récemment à propos de la réforme du collège. Au-delà de cette résistance bien entretenue par les syndicats enseignants, il y a sans doute aussi le modèle français de la profession enseignante qui diffère grandement de celui en vigueur dans la plupart des pays. Comme l’écrivait Eric Maurin en 2007 dans La Nouvelle question scolaire ; les bénéfices de la démocratisation :

 

« La France semble bien être le seul grand pays du monde développé où les enseignants qui entrent dans la carrière sont avant tout et principalement de bons élèves dans leur discipline »

 

et il ajoutait :

 

« Ce modèle était sans doute adapté au système sélectif de l’immédiat après-guerre ; il ne l’est évidemment pas au collège unique. Pire, il crée un véritable déphasage entre la formation et la pratique et arme d’inévitables sentiments de déception, voire de déclassement. Dans ces conditions, comment s’étonner de trouver les enseignants français si réceptifs à l’idée selon laquelle tout le monde ne peut pas assimiler le même enseignement secondaire ? »

 

Plus récemment, dans Comprendre Le malheur français (voir dans Metis la note de lecture), Marcel Gauchet mettait en cause « l’extrême individualisme (qui constitue) une des marques de la culture française des rapports sociaux » et il ajoutait : « Prenez un enseignant français moyen. Sa terreur est que ses collègues se mêlent de ce qui se passe dans sa classe. Or cela peut être très dommageable, spécialement dans les établissements difficiles où l’intérêt de chacun serait de mettre les problèmes sur la table plutôt que de les taire, afin de les affronter ensemble ». On voit bien à quel point la question des enseignants est cruciale et que les mesures déjà prises sont encore très loin de leur avoir consacré l’importance qu’elle mérite. Mais comme le disait la ministre dans son introduction aux résultats de PISA 2015 : « la refondation de l’école est loin d’être achevée. La politique éducative a besoin de temps long. » Et c’est bien le problème : comment concilier cette refondation lente avec l’état d’urgence proclamée au début de l’article ?

 

Annexe : quelques données extraites des rapports PISA 2012 et PISA 2015

 

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Ingénieur École Centrale promotion 1968. DEA de statistiques en 1969 et de sociologie en 1978. Une première carrière dans le secteur privé jusqu’en 1981, études urbaines au sein de l’Atelier parisien d’urbanisme, modèles d’optimisation production/vente dans la pétrochimie, études marketing, recherche DGRST sur le tourisme social en 1980.

Une deuxième carrière au sein de l’éducation nationale jusqu’en 1994 avec diverses missions sur l’enseignement technique et la formation professionnelle ; participation active à la création des baccalauréats professionnels ; chargé de mission au sein de la mission interministérielle pour l’Europe centrale et orientale (MICECO).

Une troisième carrière au sein de la Fondation européenne pour la formation à Turin ; responsable de dossiers concernant l’adhésion des nouveaux pays membres de l’Union européenne puis de la coopération avec les pays des Balkans et ceux du pourtour méditerranéen.

Diverses missions depuis 2010 sur les politiques de formation professionnelle au Laos et dans les pays du Maghreb dans le contexte des programmes d’aide de l’Union européenne, de l’UNESCO et de l’Agence Française de Développement.

Un livre Voyages dans les Balkans en 2009.

Cyclotourisme en forêt d’Othe et en montagne ; clarinette classique et jazz ; organisateur de fêtes musicales.