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Le Défenseur des droits, dans un rapport sur « L’emploi des femmes en situation de handicap », tente de faire apparaître un nouveau concept venu tout droit des USA l’ « intersectionnalité ».

 

femme handicap

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, une remarque sur l’institution du Défenseur des droits. Sa création par une révision constitutionnelle de 2008 et sa mise en place par une loi organique de 2011 qui lui faisait absorber toutes les autorités administratives indépendantes de recours non juridictionnel contre les décisions ou les comportements administratifs, à l’exception du Contrôleur général des lieux de privation de libertés, avait fait craindre à beaucoup – et pas seulement à la Présidente de la Halde ou à la Défenseure des enfants – une réduction des capacités d’action de ces diverses institutions. L’expérience montre finalement qu’il n’en est rien et qu’au contraire elle a permis une intensification des actions contre des excès (d’actions ou d’inactions) des administrations. Sans doute le dynamisme du Défenseur actuel, choix inattendu du Président de la République, n’y est pas pour rien. Mais la mutualisation des moyens venus de ces diverses institutions a permis de développer, au-delà de la réponse à des demandes individuelles, une capacité d’études synthétiques tout à fait utile. Ce rapport sur « L’emploi des femmes en situation de handicap » en est un bel exemple.

Voilà deux rapports que le Défenseur des droits consacre aux handicaps puisque celui sur les femmes a été immédiatement suivi d’une publication sur « L’effet direct des stipulations de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH) ». C’est qu’en effet les saisines du Défenseur ayant pour sujet les discriminations liées au handicap sont parmi les plus nombreuses qui lui parviennent. Celles relatives aux discriminations sexuées comptant aussi parmi les saisines majeures, les services du Défenseur ont estimé devoir inscrire ce thème comme prioritaire dans leur rapport.

D’où vient alors le sentiment d’insatisfaction que l’on ressent à la fin de la lecture d’un texte dense et nourri de nombreuses données chiffrées, souvent d’un accès malaisé ? Il y a d’abord le recours à un concept qui commence à être familier aux chercheurs en sciences sociales européens, mais qui -sauf erreur de ma part parce que mes capacités de lecture de la littérature administrative sont dramatiquement limitées – est une première dans un rapport administratif. Ce concept est celui « d’approche intersectionnelle ». Il arrive naturellement des Etats-Unis où il a été élaboré par une des juristes les plus engagées dans les travaux et les actions du black feminism et il est résumé par elle dans la formulation suivante : « L’intersectionnalité étudie les formes de domination et de discrimination non pas séparément, mais dans les liens qui se nouent entre elles, en partant du principe que le racisme, le sexisme, l’homophobie ou encore les rapports de domination entre catégories sociales ne peuvent pas être entièrement expliqués s’ils sont étudiés séparément les uns des autres.

 

L’intersectionnalité entreprend donc d’étudier les intersections entre ces différents phénomènes ». La question qui saute aux yeux est évidemment d’évaluer ce qui distingue « intersectionnalité » dans le handicap de « cumuls » de handicaps et il faut bien reconnaître en fin de lecture de ce rapport que les auteurs ont une vraie difficulté à faire apparaître une lecture innovante en s’appuyant sur cette notion.

En effet qu’observe-t-on ? Le rapport fait un rappel général de la situation des personnes en situation de handicap à partir de la construction des trajectoires professionnelles des jeunes handicapés au stade de la formation initiale et les auteurs ne peuvent que noter le parallélisme à peu près total entre l’influence du genre sur les orientations de formation entre valides et handicapés : les stéréotypes de genre s’appliquent de la même manière. Les filières « masculines » restent genrées de la même manière pour les jeunes femmes handicapées et les filières « féminines » restent genrées de la même manière pour les jeunes hommes handicapés.

Là où apparaît une distinction hommes-femmes, c’est dans l’accès aux systèmes de reconnaissance administrative du handicap. Alors que les femmes sont majoritaires dans la population se déclarant handicapée, ce sont les hommes qui sont majoritaires dans la population bénéficiant d’une reconnaissance administrative de leur handicap. On ne dispose pas aujourd’hui d’explication claire de ce phénomène. Il faut probablement le rapprocher de l’écart entre taux d’activité aux âges actifs avec 7 points d’écart entre femmes et hommes. La femme au foyer reste une réalité sociale forte, comme on s’en rend bien compte en ce moment, qui concerne aussi bien femmes valides que femmes handicapées.

S’agissant des personnes bénéficiant d’une reconnaissance administrative de leur handicap et en particulier de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, on retrouve des écarts de même sens, mais dans des proportions moindres. Le taux d’activité est plus faible de 4 points (43 contre 47) et le taux d’emploi aussi, mais de manière nettement moins marquée (36 contre 38).

Les explications que l’on doit construire faute de travaux spécifiques dans ce domaine sont multiples :
– En dehors des handicaps de naissance, le handicap survient plus précocement dans la vie des femmes que dans celle des hommes, du fait en particulier de la prévalence des cancers féminins.
– L’âge moyen des femmes handicapées est donc moins élevé que celui des hommes handicapés. Leur possibilité de reprise d’emploi après la rémission est donc plus aisée du fait de cet écart d’âge.
– Le niveau scolaire des femmes handicapées est, même s’il est sensiblement moins élevé que celui des femmes valides, plus élevé que celui des hommes handicapés, leur assurant un accès plus facile au marché du travail.
– Une situation d’inactivité est mieux acceptée socialement, aussi bien dans la population générale que dans les services spécialisés de l’emploi, pour les femmes que pour les hommes.
– La prise en charge de la gestion domestique est plus lourde pour une femme handicapée que pour une femme valide, rendant plus difficile l’accès à l’emploi.

Pour le reste de son analyse de l’accès à l’emploi des femmes handicapées, les auteurs doivent bien reconnaître que globalement ce sont les mêmes facteurs qui expliquent les difficultés d’accès à l’emploi pour les femmes handicapées que pour les hommes handicapés. Un âge moyen relativement élevé, un niveau de qualification relativement faible, des difficultés de présentéisme ou d’efficience professionnelle et, au-delà de ces facteurs objectifs, une perception sociale du handicap qui reste globalement discriminante, voilà le sort commun aux personnes handicapées de tous genres.

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Universitaire spécialisé en finances publiques (et en histoire des idées politiques), je suis appelé au ministère du Travail en 1974 pour y créer un département d’études permettant d’adapter le budget à l’explosion du chômage. Très vite oubliées les joies subtiles du droit budgétaire et du droit fiscal, ma vie professionnelle se concentre sur les multiples volets des politiques d’emploi et de soutien aux chômeurs. Etudes micro et macro économiques, enquêtes de terrain, adaptation des directions départementales du travail à leurs nouvelles tâches deviennent l’ordinaire de ma vie professionnelle. En parallèle une vie militante au sein d’un PS renaissant à la fois en section et dans les multiples groupes de travail sur les sujets sociaux. Je deviens en 1981 conseiller social de Lionel Jospin et j’entre en 1982 à l’Industrie au cabinet de Laurent Fabius puis d’Edith Cresson pour m’occuper de restructurations, en 1985 retour comme directeur-adjoint du cabinet de Michel Delebarre. 1986, les électeurs donnent un congé provisoire aux gouvernants socialistes et je change de monde : DRH dans le groupe Thomson, un des disparus de la désindustrialisation française mais aussi un de ses magnifiques survivants avec Thales, puis Pdg d’une société de conseil et de formation et enfin consultant indépendant. Entre-temps un retour à la vie administrative comme conseiller social à Matignon avec Edith Cresson. En parallèle de la vie professionnelle, depuis 1980, une activité associative centrée sur l’emploi des travailleurs handicapés qui devient ma vie quotidienne à ma retraite avec la direction effective d’une entreprise adaptée que j’ai créée en 1992.