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par Steve Jefferys, traduit de l’anglais pas Eva Quéméré

Les législatives britanniques de 2017 sont maintenant terminées. Le 18 avril, alors que les conservateurs avaient une avance de vingt points dans les sondages, Theresa May avait appelé à la tenue d’élections législatives anticipées afin de renforcer sa position lors des prochaines négociations sur le Brexit. Steve Jefferys, membre du Comité de rédaction de Metis, réagit et rappelle le programme du Labour concernant le travail :

 

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Ayant, quelque peu, soutenu le « Remain » en tant que membre du gouvernement conservateur lors du référendum de juin 2016, elle affirme aujourd’hui avoir besoin d’un nouveau mandat pour conduire le « Brexit britannique ». Mais, bien entendu, elle voyait en cette élection d’autres objectifs :

1- Sécuriser sa propre position au sein du parti conservateur pour au moins les cinq prochaines années – contre les conservateurs pro-Brexit qui ont estimé avoir été privés du premier mandat en juin dernier ; et
2- assurer une majorité conservatrice de poids vis-à-vis d’une opposition travailliste faible et divisée.

Mais le paysage politique a, depuis, bien changé et May n’est pas parvenue à atteindre ses objectifs.

Les Conservateurs ont cédé 17 sièges au Labour et 2 aux Libéraux-Démocrates. Ils disposent maintenant de 318 sièges au Parlement, 13 de moins que dans l’assemblée sortante tandis que les travaillistes ont gagné 262 circonscriptions, 32 de plus qu’avant les élections. Pour s’assurer une majorité, May a besoin de former un gouvernement minoritaire soutenu par le parti protestant unioniste d’Irlande du Nord. Mais on peut être certain que pendant cette période de négociations sur le Brexit (qui devrait durer jusqu’en mars 2019), il y aura un nouveau leader conservateur ou de nouvelles élections législatives…peut-être même les deux.

 

Ces élections ont marqué une remontée électorale incroyable pour le Parti travailliste de Corbyn dont la part du scrutin est de 40% (plus 9% par rapport à 2015) avec 12,9 millions de votes. Seulement un demi-million de voix en moins que lors de la victoire électorale de Tony Blair en 1997. Pour la première fois, j’ai trouvé des files d’attente devant les bureaux de vote. Grâce notamment aux jeunes qui se sont mobilisés pour voter Corbyn, le taux de participation a été très élevé : 72% (contre 43% en 2015).

 

Mais que s’est-il passé ?

 

Trois développements imprévisibles se sont produits. Deux attaques terroristes majeures ont produits des récits contradictoires ; le focus du parti conservateur sur l’autorité de la nouvelle Première ministre est devenu problématique ; Jeremy Corbyn et le manifeste du parti travailliste sont devenus bien plus populaires qu’on n’aurait pu l’imaginer.

Les attaques terroristes jouent généralement en faveur de « l’ordre public » défendu par les politiques de droite. May, en tant que Première ministre, a ainsi bénéficié d’un important « coup de pub ». Ainsi 55 % de l’opinion aurait dû croire qu’elle serait une personne de confiance concernant la sécurité – 33 % pour Corbyn. Toutefois, les critiques des travaillistes vis-à-vis de l’austérité concernant le secteur public et sur les baisses d’effectifs dans les services d’intervention avec la suppression de 20 000 postes de police depuis 2010, ainsi que l’engagement du Parti travailliste de créer 10 000 postes de policiers et 3 000 de pompiers, l’ont contré.

Voulant faire oublier ce triste record, la stratégie conservatrice a été de se concentrer essentiellement sur les négociations du Brexit. La « forte et stable » Theresa May faisait alors face au « faible », « vieux » et « dépassé » Jeremy Corbyn. Mais le refus de May de débattre avec Corbyn, ajouté à deux énormes erreurs stratégiques – le paiement individuel des soins médicaux pour les personnes âgées et la promesse faite aux plus riches qu’ils n’auront pas à payer davantage d’impôts – l’ont fait paraître comme moins confiante et moins juste que ce que ses communicants auraient souhaité.

La campagne électorale des travaillistes a été, par contraste, un grand succès. Corbyn avait pourtant été accusé par les parlementaires travaillistes de centre-droit – au lendemain du référendum du 23 juin 2016 – d’être incompétent, trop à gauche, et de ne pas avoir assez fait compagne pour le « Remain » (bien que 63 % des électeurs travaillistes aient voté pour, contre 42 % des conservateurs). Bien qu’il ait remporté avec une marge bien plus importante la deuxième élection du parti, beaucoup de travaillistes blairistes ont poursuivi les critiques publiques à son encontre, dans le but de le voir démissionner. Ces attaques ont même continué après l’annonce des législatives.

Mais Corbyn a répondu de façon calme et inclusive. Il a ainsi passé trois semaines à arpenter le pays en mobilisant les sympathisants travaillistes autour des valeurs de redistribution sociale résumées dans son slogan « For the Many not the Few » (« Dans l’intérêt du plus grand nombre, et non d’une minorité »). Il a ensuite pu atteindre un public bien plus large grâce à l’activation de la loi électorale d’égalité de temps de parole à la télévision. La diabolisation que lui et les travaillistes ont subie de la part de 90 % des journaux britanniques et de Sky News a commencé à être inefficaces. Les différences politiques, plutôt que les négociations du Brexit, sont alors passées au premier plan.

Mais le manifeste des travaillistes a aussi beaucoup joué. Son principal argument était en effet très populaire : on pourrait en finir avec l’austérité en augmentant l’impôt sur le revenu des plus riches et en revenant sur les allègements fiscaux offerts aux entreprises par les conservateurs. Les travaillistes ont ainsi promis de réintroduire les 50 % de taux d’imposition sur les plus hauts revenus (au-dessus de 123 000 Livres) et de rehausser le taux à 45 % pour ceux gagnant 80 000 Livres et plus. Ils se sont aussi engagés à renationaliser les neuf compagnies des eaux britanniques, les opérateurs ferroviaires, et ont également promis le retour du Royal Mail dans le giron public.

Le contenu des manifestes travaillistes et conservateurs portant sur le travail illustre bien la différence entre ces deux partis. Celui des travaillistes est très détaillé. La série de mesures qu’il propose se base sur quatre volets : le secteur public, une législation générale pour favoriser le rôle des syndicats, la réglementation du travail et l’extension des droits des travailleurs pour améliorer leurs conditions de travail. Cela consisterait en :
1)
• La fin du plafonnement des salaires dans le secteur public
• Un différentiel de salaires maximum de 1 à 20 dans le secteur public
• Utiliser les marchés publics pour imposer de hauts standards sociaux, notamment en n’accordant leur bénéfice aux seules entreprises qui reconnaissent les syndicats
2)

• Abroger la loi sur les syndicats et déployer des négociations collectives sectorielles afin que les secteurs puissent négocier des accords complets
• Garantir aux syndicats le droit d’accéder aux lieux de travail
• Appliquer pour tous les travailleurs le droit à la représentation syndicale au travail
3)

• En finir avec les « contrats zéro-heure » afin de garantir aux salariés un nombre fixe d’heures de travail chaque semaine
• Ajouter quatre nouveaux jours de congé chaque année
• Augmenter le salaire de 5,7 millions de personnes en élevant le salaire minimum à 10 Livres de l’heure d’ici à 2020
• Interdire les stages non rémunérés
• Réglementer le travail indépendant fictif en ôtant la charge de la preuve à l’auto-entrepreneur qui sera alors considéré comme un salarié – à moins que l’employeur ne prouve le contraire (cas des chauffeurs Uber)
• Etendre les droits des salariés à tous les travailleurs – y compris le « salaire parental partagé »
4)

• Supprimer les frais de procédures aux Prud’hommes afin que chacun retrouve un accès à la justice
• Accorder les mêmes droits à tous les « travailleurs », et ce dès le premier jour de travail, qu’ils soient en temps partiel ou à temps plein, à durée indéterminée ou non.

 

Le manifeste conservateur, par contraste, assure que « le capitalisme et le libre échange restent le meilleur moyen d’assurer la prospérité et la sécurité économique en sortant des millions de personnes de la pauvreté dans le monde. » Voici ce qu’il propose concernant le droit du travail :

• Augmenter le salaire minimum décent à 60 % du revenu médian d’ici à 2020
• S’assurer que les personnes travaillant dans la « Gig economy » soient suffisamment protégées
• Modifier la loi pour s’assurer que les sociétés cotées désignent un administrateur salarié, créent un conseil consultatif officiel des employés ou assignent à un administrateur non-exécutif désigné une responsabilité spécifique pour la représentation des employés
• Accorder le droit aux employés de demander des informations relatives à l’orientation future de leur entreprise
• Prendre des mesures pour réduire les inégalités de salaire entre les hommes et les femmes.

En raison du Brexit, le manifeste des conservateurs est délibérément ambigu. Il stipule :
« Le droit des travailleurs conféré aux Britanniques en vertu de leur appartenance à l’UE se maintiendra. » La Grande loi d’abrogation assurera « le droit des travailleurs et la protection dont bénéficient les consommateurs et l’environnement grâce au droit européen ». Mais il ajoute « Une fois que les lois européennes seront retranscrites dans le droit national, le parlement sera en mesure de revoir la législation en amendant, abrogeant, ou en améliorant toute loi européenne qu’il lui semblera nécessaire ». En d’autres termes, les conservateurs ne promettent pas de maintenir indéfiniment le droit des travailleurs et la protection de l’environnement.

 

L’un des résultats les plus positifs de ces élections législatives est l’engagement de dizaines de milliers de jeunes dans la campagne de Corbyn et des travaillistes. Toutes les enquêtes d’opinion s’accordent sur le fait que les politiques de redistribution des travaillistes sont bien perçues chez les jeunes qui ont donc massivement voté Corbyn. Le jour de l’élection, marchant dans les quartiers ouvriers du nord de Londres avec un autocollant du Labour sur mon revers de veste, un groupe d’adolescents a demandé à mon groupe si nous étions « Corbynistes ». Ils ont voté travailliste « seulement pour Corbyn ! ».

Il y a donc de l’espoir. Et les Blairistes (travaillistes de centre-droit) ont été stupéfaits par la volonté des électeurs d’aller vers la renationalisation et la redistribution.

 

Mais il y a aussi des points d’ombre. Premièrement le fait que les travaillistes aient débuté loin derrière les conservateurs aurait pu être évité. En effet, en refusant d’œuvrer avec le leader élu du parti travailliste, de nombreux députés ont saboté ce qui aurait pu être une réelle opportunité de réorienter le Royaume-Uni d’un capitalisme à l’américaine vers une forme plus sociale, plus proche du modèle européen. Enfin, et malheureusement, les attaques terroristes ont créé un fort sentiment d’insécurité et fait ressurgir la xénophobie et le racisme.

La poursuite avec un gouvernement conservateur de droite, dans un monde de plus en plus incertain, rendra plus difficile la voie à suivre pour la démocratie économique et sociale, mais aussi pour une Europe forte et cohérente.

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