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À l’heure où le gouvernement envisage de relancer vigoureusement l’apprentissage pour les jeunes, il est important de regarder de près l’image de ce mode de formation et de bien comprendre les réticences et les espoirs qu’il suscite. Plus généralement, c’est l’ensemble de la formation professionnelle initiale qui mérite d’être ausculté. L’occasion en est donnée grâce à un nouveau rapport du Cedefop basé sur un inventaire réalisé dans toute l’Europe et consacré à l’image, la qualité et l’efficacité des systèmes de formation professionnelle initiale (FPI). Comme on va le voir, le jugement des Européens à l’égard de leur FPI est assez largement positif dans tous les pays. La France fait exception avec des opinions beaucoup plus nuancées, voire négatives.

 

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La première étude d’opinion sur la formation professionnelle initiale en Europe

 

Le rapport est basé sur une enquête conduite en 2016 dans 28 pays auprès de 35 646 personnes âgées de plus de 15 ans. Elle explorait le degré de connaissance des systèmes de formation professionnelle, leur attractivité et leur facilité d’accès, la satisfaction de leurs usagers et leur efficacité. Parmi les enquêtés, 60 % avaient suivi leur scolarité dans une filière de formation générale entre 16 et 18 ans et 40 % dans une filière professionnelle (même répartition en France et pour la moyenne européenne). Bien que quelques questions concernent la formation continue, l’essentiel était consacré à la formation professionnelle initiale (FPI) au niveau secondaire supérieur (en France : CAP, BEP, Bac pro) et (malheureusement) sans faire la distinction entre les différentes voies : scolarité classique, apprentissage ou alternance.

 

En moyenne européenne, l’image de la FPI est largement positive, mais les différences sont très marquées selon les pays. À la question de savoir si la FPI au niveau secondaire supérieur a une image positive ou négative pour les 16-18 ans, le positif l’emporte partout (68 % positive contre 23 % négative pour la moyenne européenne et jusqu’à 84 % contre 14 % en Finlande et 89 % contre 7 % à Malte), mais la différence est beaucoup moins marquée en Hongrie (49 % contre 43 %), en France (51 % contre 44 %) et aux Pays-Bas (53 % contre 41 %). Par ailleurs, les filières d’enseignement général ont une image encore meilleure que celles de la FPI ; mais d’importantes minorités ne partagent pas ce point de vue en Bulgarie (35 %), en République tchèque (30 %), en Autriche (25 %) en Allemagne (23 %) ou en Pologne (20 %), à l’opposé de la Suède, du Danemark, de l’Irlande et du Luxembourg où l’idée d’une meilleure image pour la FPI recueille moins de 10 %. Avec 14 %, la France se situe un peu en dessous de la moyenne européenne (16 %).

 

Les différences sont également sensibles relativement à l’idée que les élèves les moins bien notés sont dirigés vers la FPI. Tandis que cette opinion est très majoritaire en Belgique (90 %), en Suède (88 %), en France (85 %) ou au Danemark (84 %), elle rencontre un niveau d’adhésion beaucoup plus faible en Bulgarie, Slovaquie, Lettonie, et en Lituanie où elle ne dépasse pas les deux tiers des suffrages.

 

En général, l’opinion prévaut que la FPI répond bien aux besoins du marché du travail et permet l’accès à des emplois de bonne qualité. C’est ainsi que dans six pays (Allemagne, Malte, l’Autriche, Chypre, Pologne et Irlande) plus de la moitié des enquêtés adhèrent pleinement aux quatre propositions suivantes : (1) la FPI apporte les compétences demandées par les entreprises ; (2) elle conduit plus rapidement à l’emploi ; elle mène à des emplois (3) bien considérés et (4) bien payés. À l’opposé, ils sont moins d’un quart aux Pays-Bas (24 %) et en France (22 %), qui ferme la marche. Le score de la France s’explique surtout par un accord limité avec le troisième critère (emplois bien considérés) et un désaccord marqué avec la quatrième (emplois bien payés). L’examen de ces données en relation avec celles concernant l’image générale de la FPI montre une bonne corrélation entre elles, ce qui représente bien le rôle majeur de l’impact sur le marché du travail dans le jugement porté sur la FPI.

 

Par ailleurs, nombreux sont les pays où l’on pense que le gouvernement devrait donner la priorité en matière des finances publiques à la FPI plutôt qu’à l’éducation générale (EG) ; il s’agit des pays d’Europe centrale et de la France (64 %), tandis que le Royaume-Uni et l’Irlande expriment le choix de l’éducation générale et que l’Allemagne les met à égalité. Parallèlement, la question posée aux enquêtés de savoir s’ils recommanderaient la FPI à des jeunes révèle un consensus en faveur de ce choix (40 % pour la moyenne européenne en faveur de la FPI contre 27 % pour l’EG, et 28 % exprimant que tout dépend du jeune à qui le conseil est destiné ; pour la France, respectivement 51 %, 18 % et 25 %). En outre ces deux variables sont très bien corrélées. En revanche, il est étonnant de noter l’absence de corrélation entre la disposition à recommander la FPI et l’image qu’offre cette dernière au plan national ; disposition où la France voisine la Hongrie, la Slovénie et la Croatie. À noter qu’en général, les 15-24 ans, ceux qui sont encore en cours d’études, les cadres et les plus aisés (plus de 4000 euros de revenus) recommanderaient plutôt l’éducation générale.

 

Analysant les raisons des opinions émises à propos de la FPI, l’enquête interrogeait les enquêtés sur la facilité pour les étudiants en cours de FPI de rejoindre l’éducation générale, ou encore celle de poursuivre des études supérieures après un cursus de FPI. Là encore, les différences sont marquées entre des pays comme la Pologne, la Bulgarie ou la Finlande où les réponses expriment une large adhésion à ces idées (et sensiblement plus pour la poursuite dans l’enseignement supérieur). À l’opposé, l’opinion qu’il est difficile de rejoindre l’EG en cours de FPI prévaut largement en Belgique, en France, au Portugal, et aux Pays-Bas, tandis que l’idée qu’il est difficile de poursuivre des études supérieures est majoritaire en Belgique, en Suède, en France et au Luxembourg, et également très partagée au Danemark, en Autriche et aux Pays-Bas.

 

Les différences sont également manifestes en ce qui concerne l’efficacité interne de la FPI. Au total, si l’on prend en compte l’ensemble des quatre critères de jugement figurant dans l’enquête (l’acquisition de compétences générales, les compétences professionnelles, la qualité des enseignements et les équipements), l’index de satisfaction va de 61 % en Italie jusqu’à 84 % en Finlande en passant par 64 % en France, 65 % aux Pays-Bas, 71 % en Suède, 72 % pour la moyenne européenne ainsi qu’en Autriche et au Danemark, 78 % en Allemagne et 79 % au Royaume-Uni. À noter que Malte, Chypre et les pays d’Europe centrale se situent tous dans le haut du tableau à l’exception de la Croatie, tandis que les pays baltes voisinent avec l’Espagne, le Portugal, la Grèce, la France et l’Italie dans la partie basse.

 

Quant à la question de savoir si la FPI joue un rôle important dans la réduction du chômage, la différentiation est forte entre les pays scandinaves qui expriment cette idée avec un score de plus de 90 % ainsi que l’Estonie, la Pologne, la Hongrie, l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Irlande entre 85 % et 90 %, tandis qu’en bas de l’échelle on trouve la Grèce et la France à moins de 70 %, puis la Slovénie, la Bulgarie, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Croatie entre 70 % et 75 %, la moyenne européenne se situant à 80 %.

 

Quelques leçons

 

Au total, l’image de la FPI est en France la moins positive de tous les pays européens, à égalité avec les Pays-Bas. Ce jugement est à relier à l’opinion que le système français de FPI est surtout destiné à accueillir les élèves les moins bien notés au collège afin de les amener à répondre aux besoins de qualification des entreprises aux niveaux V et IV. Mais il peine à développer les compétences requises et sa capacité à réduire le chômage semble limitée contrairement aux Pays-Bas. On retrouve là des constatations faites à partir d’une batterie d’indicateurs mobilisés par le Cedefop qui soulignaient l’efficacité limitée de la FPI française sur le marché du travail et en particulier le fait que, contrairement à la plupart des pays, la FPI donnait moins facilement accès à l’emploi que les filières générales en fin d’études secondaires (voir « Formation professionnelle : les performances françaises par rapport aux pays d’Europe » Metis, 27 mars 2017).

 

Selon les enquêtés, les raisons de cette situation tiennent à des facteurs internes – qualité des équipements, faible perméabilité avec l’éducation générale, accès limité à l’enseignement supérieur -, mais surtout à des facteurs externes, la considération insuffisante des emplois à ces niveaux et surtout la faiblesse des salaires correspondants, et enfin à l’absence de priorité donnée à la FPI par les pouvoirs publics. Mais dès lors que des fonds publics suffisants seraient consacrés à la FPI, les enquêtés se déclarent disposés à conseiller aux jeunes l’accès aux filières professionnelles.

 

Les comparaisons avec les autres pays sont éclairantes et en particulier avec les pays d’Europe centrale où, selon le baromètre du Cedefop, l’image de la FPI à la fin des années 1990 était exécrable, bien moins bonne que celle relevée au sein de l’Union européenne. Vingt ans après ils ont rejoint le peloton de l’Union européenne dont la France ferme la marche. Dans de nombreux pays, la réputation de la FPI reste médiocre, souvent associée aux élèves les moins bien notés. Mais certains, comme le Danemark, ont entrepris des réformes ambitieuses pour restaurer leur image (voir « Comment revaloriser la formation professionnelle ? L’exemple du Danemark », Metis, 28 novembre 2016). Dans d’autres pays, comme les Pays-Bas ou la Suède, la FPI joue un rôle majeur dans la réduction du chômage, contrairement à la France.

 

Il faut sans doute s’interroger sur les réformes introduites en France dans les années 1985, 1990 et qui ont conduit à la création du baccalauréat professionnel dans le cadre de l’objectif des 80 % d’une classe d’âge au niveau du bac. C’est ce que fait Jean-Pierre Le Goff (Malaise dans la démocratie. Une leçon de lucidité. Éditions Pluriel Stock. 2016, p 104-105) en écrivant que :

 

« [l’objectif des 80 %] a créé des effets pervers aboutissant à considérer que l’obtention du baccalauréat suivie des études à l’université constituait une sorte d’assurance et de voie royale pour trouver du travail, au détriment de l’apprentissage, des CAP et des BEP. Les jeunes qui ne parvenaient pas à suivre des études prolongées jusqu’au bac se sont retrouvés dans l’impasse. Les filières professionnelles ont été globalement dévalorisées au détriment d’un modèle uniforme de l’excellence qui, loin de parvenir à l’égalité des chances dont il se réclame, aboutit à une sélection par l’échec. L’idée démagogique d’un droit à la réussite pour tous a renforcé cette situation. L’enseignement professionnel est devenu une filière de relégation pour les jeunes en situation d’échec scolaire et cette situation a contribué un peu plus à dévaloriser cet enseignement dans l’opinion publique. »

 

On pourrait répondre que la création du bac pro avait le double objectif de répondre à des besoins de qualification de niveau supérieur à ceux du CAP et du BEP, particulièrement dans les industries de transformation, et en même temps de revaloriser la filière professionnelle en lui donnant un débouché au niveau du bac, même si la vocation du bac pro était très largement l’accès au marché du travail. C’est bien ce qui s’est passé dans un premier temps et les enquêtes ont bien montré la satisfaction des jeunes qui s’orientaient dans la filière professionnelle à l’idée qu’il ne s’agissait plus d’une impasse. Mais il est vrai que les choses ont changé et que de plus en plus de titulaires de bac pro viennent gonfler les effectifs des candidats à l’enseignement supérieur et plus tard de ceux qui échouent dès le premier cycle. Et Jean-Pierre Le Goff a bien raison de montrer l’étroite interdépendance entre la réforme des études supérieures et de l’accès à l’université, et la réforme et la revalorisation de la formation professionnelle initiale.

 

C’est là où l’on doit revenir à l’enquête du Cedefop et à l’opinion majoritaire en France que le gouvernement devrait accorder la priorité à la formation professionnelle, y compris en termes de financement et que, dans un tel contexte, les Français seraient disposés à la conseiller aux jeunes. Voilà un encouragement clair à l’intention de nos gouvernants qui s’apprêtent à relancer l’apprentissage. Tout n’est pas perdu !

 

Pour en savoir plus :
Cedefop European public opinion survey on vocational education and training (2017)

 

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Ingénieur École Centrale promotion 1968. DEA de statistiques en 1969 et de sociologie en 1978. Une première carrière dans le secteur privé jusqu’en 1981, études urbaines au sein de l’Atelier parisien d’urbanisme, modèles d’optimisation production/vente dans la pétrochimie, études marketing, recherche DGRST sur le tourisme social en 1980.

Une deuxième carrière au sein de l’éducation nationale jusqu’en 1994 avec diverses missions sur l’enseignement technique et la formation professionnelle ; participation active à la création des baccalauréats professionnels ; chargé de mission au sein de la mission interministérielle pour l’Europe centrale et orientale (MICECO).

Une troisième carrière au sein de la Fondation européenne pour la formation à Turin ; responsable de dossiers concernant l’adhésion des nouveaux pays membres de l’Union européenne puis de la coopération avec les pays des Balkans et ceux du pourtour méditerranéen.

Diverses missions depuis 2010 sur les politiques de formation professionnelle au Laos et dans les pays du Maghreb dans le contexte des programmes d’aide de l’Union européenne, de l’UNESCO et de l’Agence Française de Développement.

Un livre Voyages dans les Balkans en 2009.

Cyclotourisme en forêt d’Othe et en montagne ; clarinette classique et jazz ; organisateur de fêtes musicales.