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Après la réforme du Code du travail, avant celle de l’assurance chômage, est venu comme annoncé le tour de la formation professionnelle. Cette fois le gouvernement ne procède pas par ordonnances, mais il appelle syndicats et patronat à négocier au sommet, en énonçant dans un « document d’orientation » les changements qu’il juge nécessaires. L’exécutif ne souhaite pas voir les choses traîner : il veut un accord pour fin janvier 2018, qu’il puisse reprendre dans la loi dès avril. Rendu public mi-novembre, ce document d’orientation n’annonce pas le grand soir qu’appellent depuis longtemps de leurs vœux les détracteurs d’un système si souvent décrié.

 

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Il ne descend pas tout droit du ciel élyséen : précédé de consultations informelles, le « document d’orientation » esquisse les termes d’un compromis capable d’emporter l’adhésion d’une majorité d’organisations. Soulevant des sujets à la fois sensibles et techniques, tout en se gardant d’entrer dans leur détail, il a parfois un caractère sibyllin qui ne facilite pas l’interprétation. Mais sur l’essentiel ses orientations sont claires.


Les attendus de la réforme : pour un système compétitif, libéral et juste… en même temps


Le document (10 pages) s’ouvre par un long préambule qui mérite attention. Pour réussir dans la concurrence mondiale, la révolution numérique et la transition écologique, la France ne doit pas se contenter « de réformer, une fois de plus, [son] système de formation professionnelle, mais le transformer », comme l’avait fait la loi Delors en 1971. Avec une triple ambition :

• Au nom de la compétitivité, Investir massivement dans les compétences des salariés : c’est la responsabilité des entreprises, à charge pour l’Etat de bâtir un cadre légal et financier propice.
• Au nom de la liberté professionnelle, mettre chacun en capacité de construire son parcours, État et partenaires sociaux s’en portant conjointement garants.
• Au nom de l’équité, protéger du chômage les plus vulnérables, une responsabilité qui revient en premier aux Régions.

La transformation attendue est donc à trois dimensions : macroéconomique, avec un développement massif des compétences, condition sine qua non de la compétitivité ; citoyenne, en plaçant le droit à la formation au fondement de la liberté professionnelle des personnes ; solidaire, en déployant dans la durée un vaste plan de formation contre le chômage de masse. Se confirme ainsi l’intérêt politique du sujet formation, capable de réconcilier – au moins sur le papier – productivité, liberté et justice – pour mener une politique qui ne soit pas « pour les riches », mais pour tous.

La mécanique de la réforme : équiper les personnes et développer les compétences

Les priorités étant posées, le texte entre dans le vif du sujet en appelant les partenaires sociaux à ouvrir cinq chantiers.


• Un droit personnel unique à la formation


En contrepartie de la contribution obligatoire qu’elle mettait à leur charge, la loi de 1971 laissait aux employeurs l’essentiel de l’initiative en faisant du « plan de formation » en entreprise le pivot du système. Elle posait, il est vrai en parallèle, le principe d’un congé individuel de formation (CIF), en appui aux projets de reconversion et de promotion sociale. Mais faute de dotation suffisante, il est resté l’apanage d’une petite minorité (40 à 50 000 salariés par an, en formation longue et diplômante). À compter des années 1990, l’idée progresse d’un pivot du système vers l’initiative individuelle, en écho au modèle de flexicurité qui entend faire de chaque actif l’acteur de son parcours. Un droit individuel à la formation (DIF) est introduit en 2003 ; subordonné à l’accord de l’employeur et sans financement propre, il connaît un maigre succès. Plus ambitieux, l’Accord national interprofessionnel (ANI) de 2013 lui substitue le compte personnel de formation (CPF), ouvert à concurrence de 25 H par an et sans accord préalable à tous les actifs, en le gageant sur une fraction (0,2 %) de la contribution patronale. En contrepartie, la contribution au plan de formation (0,9 %) disparaît à partir de 50 salariés. L’accord à venir devrait mener ce mouvement d’individuation à son terme, le gouvernement appelant les négociateurs à supprimer purement et simplement le CIF pour faire du CPF « l’unique droit personnel à la main des individus dans une logique […] d’autonomie sans intermédiaire obligatoire ». Plus de listes de formations éligibles, plus d’accord préalable de l’employeur : le CPF doit être un droit personnel laissé entièrement à l’initiative de chacun, appuyé sur une application numérique offrant en temps réel toute l’information nécessaire à ses titulaires.

Reste à lui garantir l’usage et l’efficacité les plus larges. Aux négociateurs de dire s’il faut continuer à le décompter en heures, ou trouver une autre unité de compte – le gouvernement ne parle pas d’argent, mais il y pense sûrement – mieux adaptée aux formations « non présentielles » ou en situation de travail. À eux de lui affecter un financement garanti, de le moduler selon la qualification et de ménager (comme c’est déjà le cas) des possibilités d’abondement de la part des entreprises ou des personnes. Et, last but not least, de dire comment concilier choix individuels, besoins de l’économie et qualité des formations, sans que le document n’avance ici de piste tangible, sinon celle d’une « contractualisation des parcours de formation », sans autre précision.

 

Rien non plus n’est dit du vide que va laisser l’absorption du CIF par le CPF (pardon pour les sigles !). Elle va pourtant conduire à supprimer la seule voie de « formation différée » qui ouvrait en France un accès au diplôme en cours de vie active à l’issue d’une formation longue (et donc coûteuse). Or notre pays se singularise en Europe par un nombre particulièrement faible de reprises d’étude à l’âge adulte. Des « CPF longs » pourraient y pourvoir pour une part, mais elle sera forcément limitée à financement constant. Et la réforme risque fort de mettre à mal le réseau des organismes gestionnaires du CIF (les FONGECIF), pourtant détenteurs d’un rare savoir-faire en matière d’accompagnement des projets personnels de formation.


• Des formations en masse contre le chômage de masse


Le gouvernement confirme dans ce même document son intention de lancer dès 2018 un Plan d’investissement compétences (PIC) inspiré des deux vastes programmes de formation lancés en 2009 et 2015, avec cette fois une ambition « systémique et pluriannuelle ». Un million de chômeurs de longue durée et un million de jeunes sans qualification seraient ainsi formés au cours du quinquennat, en plus des entrées habituelles en formation. Sans rien dire de sa propre contribution, l’exécutif suggère aux partenaires sociaux de doubler à cet effet la dotation du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) qu’ils ont mis en place en 2009, en lui affectant au moins 0,3 % de la contribution patronale (soit 1,5 milliard d’euros).

Un plan qui n’innove donc pas radicalement, mais amplifie la réforme engagée en 2009 : réaffecter à « ceux qui en ont le plus besoin » une fraction des fonds collectés auprès des employeurs, longtemps réservés aux salariés en place. Cette fois, semble-t-il, en la réservant aux chômeurs, aux dépens de cette autre cible du FPSPP qu’étaient jusqu’ici les salariés menacés dans leur emploi.

Le texte gouvernemental ajoute qu’il ne s’agit pas seulement de savoir combien (de personnes et de millions d’euros), mais aussi de savoir comment : la réussite du PIC dépend de la façon dont seront identifiés les besoins en compétences des entreprises et les formations de qualité capables d’y répondre. D’où l’appel à une « GPEC [Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences] de branche, déclinable au niveau territorial, capable d’apporter une information de qualité aux acheteurs de formation », ainsi qu’à une intervention mieux coordonnée des observatoires prospectifs des métiers et des qualifications mis en place par lesdites branches.

Rien, en revanche, sur la gouvernance territoriale de ce « PIC ». La mise sur pied de politiques territoriales de formation n’est pourtant pas simple affaire d’outils ni de méthode. Elle suppose de coordonner les contributions d’acteurs multiples (partenaires sociaux, branches, entreprises, service public de l’emploi, et bien sûr conseil régional). Les « bricolages » sont nombreux sur le terrain, et riches en initiatives. Il est dommage que le projet du gouvernement laisse toujours les acteurs se débrouiller seuls, sans désigner de chef de file ni dessiner un cadre de coopération de référence.

• Un investissement massif des entreprises


Compétitivité oblige : il incombe aux employeurs de développer les compétences de leurs salariés, ce à quoi d’ailleurs la loi les oblige (obligation d’adaptation à l’évolution des emplois), indépendamment de toute obligation financière. Rien de nouveau sur le fond, mais le document ouvre plusieurs pistes : simplifier la mise en œuvre du plan de formation dans les entreprises, l’ouvrir à des modalités de formation plus souples (non présentielles, digitales, hors temps de travail, en situation de travail…) ; inciter les employeurs – principalement les TPE-PME – à anticiper les besoins en compétences et accompagner les transitions (on aura reconnu la GPEC) en s’appuyant sur des organismes mutualisateurs (les OPCA) appelés à améliorer leur offre, aussi bien comme financeurs que comme prestataires de conseils. Prudemment, l’exécutif y ajoute, entre les lignes, l’éventualité de rendre le plan de formation négociable avec les élus du personnel ou les délégués syndicaux : une ligne rouge jusqu’ici pour le patronat.


• Piloter l’alternance par la demande et non par l’offre


En dépit de 40 ans de plans gouvernementaux et d’initiatives paritaires pour développer les formations en alternance à l’entrée dans la vie active, contrats d’apprentissage et de professionnalisation plafonnent aux alentours de 300 000 entrées par an, la coexistence de deux contrats étant souvent dénoncée comme un obstacle. De fait, l’apprentissage relève toujours du système éducatif, avec un appareil de formation (les CFA, Centres de Formation des Apprentis) et un financement (la taxe d’apprentissage) spécifiques placés sous la responsabilité des régions, tandis que le contrat de professionnalisation est à la main du régime paritaire de formation (toujours via les OPCA) et fait appel à l’offre de formation du marché.

Pour autant le gouvernement ne reprend pas à son compte l’idée, souvent agitée, d’une fusion des deux contrats ; il se contente de suggérer la fusion de leur mode de prise en charge, qui étendrait de fait à l’apprentissage celui du contrat de pro, à savoir un financement « au contrat ». Au lieu que les régions financent les CFA au prorata des élèves inscrits, section par section, elles prendraient en charge, un par un, les nouveaux contrats d’apprentis, comme le font les OPCA pour le contrat de pro. À moins que ces derniers (qui collectent aussi depuis 2014 la taxe d’apprentissage) ne prennent directement la main sur le financement de l’apprentissage ? Une véritable « révolution copernicienne », à en croire le document, qui ferait « tourner le système autour des entreprises et des jeunes » plutôt que l’inverse. La formation en alternance serait ainsi pilotée par la demande (des employeurs, des jeunes et de leurs familles) et non plus l’offre (régions et CFA d’un côté, organismes de formation de l’autre). Une façon de dégager l’apprentissage de sa logique scolaire pour le rapprocher de la formation continue : redoutable défi pour des structures éducatives « en dur » comme le sont la plupart des CFA, assis jusqu’ici sur des financements pérennes.

En complément, le texte suggère une péréquation des ressources collectées au profit des branches ou l’alternance est la moins développée, ainsi qu’une meilleure information sur les débouchés et les taux d’insertion offerts par les filières en alternance.


• Réformer aussi « l’écosystème » de la formation : certifications, qualité, accompagnement


Il ne suffit pas de poser des droits individuels ni de ménager procédures et financements : encore faut-il construire un environnement propice à l’exercice éclairé des diverses responsabilités. C’est ce à quoi s’attaque la dernière partie du document, qui appelle d’abord les négociateurs à définir « un cadre de qualifications clair et simple » mettant les acteurs (salariés, chômeurs, employeurs) en capacité d’apprécier la valeur des qualifications acquises.

 

Le document se montre ici sévère : pléthorique (10 000 certifications recensées) et long à réagir, le Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) mis en place en 2009 répond mal à cet impératif de transparence. Conçue pour faciliter l’acquisition graduelle de compétences (notamment par la VAE), la subdivision croissante des certifications en « blocs de compétence » suit des voies différentes selon le certificateur, ce qui ajoute de l’opacité au système. Aux négociateurs d’assurer aux certifications une « modularité opérationnelle et souple » et de faire du RNCP un outil « sélectif et de qualité » (préconisations bien générales au demeurant).

À la différence de la formation initiale, la formation continue est délivrée sur un marché libre à l’entrée, à la fois atomisé et dominé par quelques grands acteurs, publics ou privés. D’où cette interrogation récurrente : comment s’assurer de la qualité du bien public que constitue la formation quand elle est produite sur un marché concurrentiel ? Les ANI précédents s’en sont préoccupés, particulièrement le dernier qui a débouché en 2015 sur la définition de critères partagés permettant aux financeurs d’évaluer (et de labelliser) les formations offertes. Laissant désormais aux personnes le libre choix de leur formation, le CPF appelle une étape supplémentaire. La principale suggestion du gouvernement est ici de confier la certification des prestataires au COFRAC, instance nationale unique d’accréditation. Il demande par ailleurs aux négociateurs de réfléchir aux modalités de « contractualisation des parcours de formation ». Autrement dit, de prendre acte du fait que la formation n’est aujourd’hui, avec l’orientation, l’accompagnement, la validation, la certification, le suivi dans l’emploi… qu’un outil parmi d’autres au service de la sécurisation des parcours. Plus classiquement, il appelle aussi, mais sans en dire plus, à renforcer contrôle et sanction des prestataires.

Enfin, pour être effective, la liberté professionnelle garantie par le CPF suppose la « mise en capacité » des personnes : l’accompagnement individuel des parcours de formation devient une clé de voûte du système. La préoccupation n’est pas nouvelle : l’ANI sur l’emploi de 2013 a mis en place le Conseil en évolution professionnelle (CEP), service d’accompagnement unique offert à l’ensemble des actifs par les cinq grands opérateurs que sont Pôle Emploi (demandeurs d’emploi), le réseau des FONGECIF (salariés), l’APEC (cadres), les missions locales (jeunes) et Cap Emploi (travailleurs handicapés). Jugeant le dispositif trop complexe et sous-financé, le gouvernement appelle les négociateurs à le simplifier et l’élargir, le cas échéant en « incitant les opérateurs au résultat ». Il les invite également, et ce n’est pas une mince affaire, à tracer les contours d’un droit des actifs à l’accompagnement.

Au total, le gouvernement Philippe trace dans son document les axes d’une réforme significative, avec pour points saillants la consécration du CPF comme droit personnel unique à la formation, la généralisation du financement de l’alternance « au contrat » et l’instauration d’une accréditation nationale des organismes de formation. Et pour fil rouge la consolidation d’un dispositif cohérent de sécurisation des parcours professionnels. C’est bien, dans la lignée des accords précédents, la reconfiguration du système autour d’un droit personnel pivot, accompagné d’un effort d’équipement du marché (information, GPEC, certifications, qualité…) qui se poursuit. De là à parler comme le texte de « transformation », il y a un pas qu’on hésite à franchir, au moins en première lecture, d’autant qu’il s’en tient sur bien des aspects à des déclarations d’intention, et reste dangereusement flou sur l’épineuse question des moyens. Les partenaires ont du pain sur la planche, et bien peu de temps pour conclure.

S’il faut avoir à ce stade un regret, c’est celui de voir encore s’éloigner la perspective de l’éducation permanente – ou si l’on préfère, de la formation différée, à laquelle concourait le CIF – au nom d’une urgence, celle du retour à l’emploi. Comme si pour être efficace la formation devait concentrer ses forces sur la réponse de court terme aux besoins supposés de l’économie, alors même qu’on la place par ailleurs avec force – et à très juste raison – au fondement de la liberté professionnelle des personnes. Une contradiction aussi vieille sans doute que la formation elle-même, mais qui trouve ici une réponse un peu courte, et passablement biaisée. Du chemin reste à faire pour tenir les deux bouts.

 

Pour en savoir plus :
Document d’orientation pour la réforme de la formation professionnelle, ministère du travail, novembre 2017

La dépense pour la formation professionnelle et l’apprentissage en 2014, DARES Résultats n° 41, juin 2017

Formation professionnelle : annexe au projet de loi de finances 2017

 

 

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J’aime le débat, la délibération informée, folâtrer sur « la toile », lire et apprécier la vie.

J’ai effectué la plus grande partie de mon parcours professionnel dans le Conseil et le marketing de solutions de haute technologie en France et aux États-Unis. J’ai notamment été directeur du marketing d’Oracle Europe et Vice-Président Europe de BroadVision. J’ai rejoint le Groupe Alpha en 2003 et j’ai intégré son Comité Exécutif tout en assumant la direction générale de sa filiale la plus importante (600 consultants) de 2007 à 2011. Depuis 2012, j’exerce mes activités de conseil dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) au sein du cabinet que j’ai créé, Management & RSE. Je suis aussi administrateur du think tank Terra Nova dont j’anime le pôle Entreprise, Travail & Emploi. Je fais partie du corps enseignant du Master Ressources Humaines & Responsabilité Sociale de l’Entreprise de l’IAE de Paris, au sein de l’Université Paris 1 Sorbonne et je dirige l'Executive Master Trajectoires Dirigeants de Sciences Po Paris.