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Depuis les années 1980, la problématique des vulnérabilités n’a cessé de monter en puissance dans des sphères aussi différentes que les politiques publiques, la santé, l’environnement, la gestion des risques, mais aussi l’entreprise, le management, la finance. Le lien étroit et fort entre les vulnérabilités et leurs contextes et environnement doit interpeller la gestion des ressources humaines dans les entreprises. Voici le résumé du dernier manifeste d’Entreprise&Société consacré aux vulnérabilités dans le travail.

 

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La vulnérabilité comme potentialité à être blessé


Elle est potentielle, possible, mais non certaine ; structurelle, nous sommes tous vulnérables ; relationnelle, parler de vulnérabilité en soi n’a pas de sens dans la mesure où des individus singuliers sont vulnérables dans certaines conditions (variables et inégalement distribuées selon les individus) et dans celles-ci seulement ; elle est spécifique, elle ne frappe pas tous les individus de la même façon, et enfin, elle est réversible, il est possible d’agir sur les facteurs et le contexte pour l’endiguer. Selon l’historienne Axelle Brodiez-Dolino, qui a dirigé un dossier consacré à la vulnérabilité pour La Vie des Idées, il « convient de ne pas se tromper de combat : c’est d’abord la société qui vulnérabilise les individus et non l’inverse ».


Vulnérabilité et condition humaine


Parce qu’elle désigne le fait d’être exposé à ce qui ne dépend pas de soi, qui est hors de notre contrôle et de notre maîtrise, la vulnérabilité est le lot de chacun(e) d’entre nous dès lors que nous nous ouvrons au monde et aux autres. La vulnérabilité nous rapproche les uns des autres alors que la force nous éloigne. Elle est source d’humanité, de lien, de créativité.

 

C’est ce que nous disent philosophes et artistes comme Paul Ricœur pour qui « l’homme capable » ne peut l’être que s’il est un homme sensible, qui éprouve et qui sent autant qu’il agit, qu’il parle, qu’il raconte et qu’il est imputable. Ou encore le scénariste Jean-Claude Carrière : « Un personnage ne peut nous toucher que lorsque nous avons trouvé en lui sa vulnérabilité ». De même, pour le sociologue Robert Goodin, l’invulnérabilité absolue est un idéal impossible à atteindre, car elle renvoie à une condition d’autosuffisance ou d’autarcie que nul être humain ne peut atteindre.

 

La vulnérabilité est un concept qui s’applique particulièrement bien à la société contemporaine caractérisée notamment par l’individualisation, le manque de visibilité, la précarité, ainsi que par des besoins qui semblent inextinguibles de protection et de sécurisation.


Les vulnérabilités dans le monde du travail et dans l’entreprise

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La relation au travail est devenue à la fois plus fragile et plus personnalisée. Les individus sont plus sollicités dans ce qu’ils ont de singulier et moins dans ce qu’ils ont en commun. Chacun est (doit être) responsable de sa trajectoire. On lui demande toujours plus de faire preuve d’autonomie, de réactivité et de prise d’initiative tout en exigeant de lui un reporting constant. Autant d’évolutions qui creusent les écarts entre ceux qui semblent avoir tous les atouts pour s’en sortir avec brio et ceux qui en sont démunis ; entre les moments où un individu peut se sentir au mieux et ceux dans lesquels il doute. Autant d’évolutions et de ruptures qui favorisent les vulnérabilités. Elles deviennent un enjeu essentiel dans le travail comme dans la société, et concernent un grand nombre d’acteurs.

 

La vulnérabilité dans le travail, blessure potentielle… mais ressource réelle


Il s’agit de prendre en considération la vulnérabilité. On ne peut pas être tout le temps fort. Il convient de ne pas nier la vulnérabilité, ni chez soi ni chez les autres. Ni de tomber dans la surpuissance qui entraîne des comportements inefficaces ou inappropriés et n’aide pas son environnement à grandir. Fort heureusement à nos yeux, c’est un sujet dont s’emparent de plus en plus facilement les entreprises.

Exploiter ses conséquences positives. La vulnérabilité est aussi créatrice de valeur. Connaître ses vulnérabilités est une ressource dans la vie en général et dans le travail. Cela permet notamment de savoir ce que l’on peut apporter, dans quelles conditions et là où il convient de s’arrêter. Cela permet de gagner en confiance et donner le meilleur de soi dans un collectif de travail.

Connaître les vulnérabilités de ses équipes apporte au management de l’aide dans la répartition des tâches, ce qui favorise la cohésion entre les personnes et la créativité des unes et des autres.

D’une manière générale, connaître et agir en fonction de ses vulnérabilités favorise l’empathie, le management humain, la confiance, l’intelligence.

La combattre quand elle est handicapante pour l’individu et donc pour l’organisation. Il convient alors d’accompagner les personnes qui souffrent, mais aussi de laisser s’exprimer les conflits, ouvrir les controverses. Créer des collectifs de travail vivants pour parler du travail et de son organisation. Relativiser les pratiques sources de vulnérabilités : la culture du chiffre, les contrôles et reportings, la quête de l’hyper performance, etc.


Agir sur les vulnérabilités

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On le voit, l’importance de savoir faire avec les vulnérabilités est primordiale tant la vulnérabilité est potentiellement présente partout et en permanence. Agir rend vulnérable. Ne pas agir rend vulnérable. La question est de savoir quelle action entreprendre pour se déplacer d’une vulnérabilité à une autre sans perdre ses moyens ou sans faire perdre ses moyens au collectif. Le tableau ci-dessous résume les différentes stratégies en distinguant les postures visant à faire avec les – ou ses – vulnérabilités, des autres qui sont sources de souffrance au travail ou d’inefficacité.

 

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Manifeste. Les vulnérabilités au travail, les comprendre pour faire avec


Quatre pistes pour faire avec les vulnérabilités dans le travail pour que l’individu et le collectif gagnent en qualité et en performance.


1. Faire la part des responsabilités entre l’organisation et la personne


Au regard des enjeux liés aux vulnérabilités, le professionnalisme prend une dimension supérieure. Aux indispensables compétences techniques et relationnelles, s’ajoutent la capacité d’analyse des situations, des règles du jeu dans l’exercice du travail et une bonne intelligence de ce qui relève des responsabilités de l’institution et de ce qui relève des responsabilités de la personne. En effet, l’individu est lui aussi acteur de sa propre compétence et de sa capacité d’analyse. Il existe une part non répressible de responsabilité de chacun qui ne peut être étranger au mode de résolution ou d’exploitation de ses vulnérabilités. L’individu est responsable du pilotage de sa vulnérabilité, mais il ne peut l’être qu’avec le concours de son employeur.


2. Améliorer les capacités d’adaptation


La capacité à gérer une situation est liée à la possession des moyens dont on dispose pour y faire face.

Au niveau institutionnel, il ne s’agit pas seulement de communiquer aux équipes toutes les informations qu’il est possible de leur communiquer, mais de mettre en place les conditions de leur bonne appropriation. Une communication n’a d’efficacité que si les managers contribuent à la bonne intelligence des enjeux évoqués.

Au niveau individuel, il s’agit pour les acteurs de se doter des moyens pour appréhender, s’adapter et se préparer aux situations présentes et à venir. Ce registre peut être amélioré notamment par une meilleure prise en compte de la réforme issue de la loi de 2014 et des évolutions qu’elle apporte dans le pilotage de l’employabilité avec, notamment, l’entretien professionnel biennal et le droit au Conseil en évolution professionnelle.


3. Positiver la vulnérabilité


La vulnérabilité en tant que potentialité de blessure porte le risque d’avoir à subir les conséquences d’une situation non maîtrisée. Il est de l’intérêt de l’entreprise de savoir bien intégrer sa responsabilité dans le domaine à l’égard de ses personnels. Une mauvaise maîtrise de sa vulnérabilité n’est pas une faute. À ce titre elle ne doit pas être sanctionnée. Mais au contraire, il s’agit d’aider le salarié pour qu’il retrouve des conditions favorables dans l’exercice de son emploi et, au-delà de sa dimension sociale, un puissant facteur de la performance individuelle et collective. Parce que, se retrouvant dans une situation améliorée, le salarié pourra alors positiver sa vulnérabilité.


4. Faire de la vulnérabilité une ressource


La gestion des vulnérabilités est une composante incontournable de la gestion des ressources humaines : mobilités, promotions, formations, management des collectifs, etc. D’une manière ou d’une autre, elle est toujours présente dans les politiques de GRH.

Il est de l’intérêt de l’employeur de rendre explicite cette présence. Ainsi les parcours professionnels méritent de s’adapter aux personnes, à leur situation à l’instant t, à leurs appétences, à leur personnalité, à la posture que ces personnes sont capables d’endosser à un moment ou un autre. Et non pas se calquer uniquement à leurs statuts, à leur antériorité ou à des trajectoires décidées de manière un peu automatique en conformité à des référentiels. Une même situation pourra être vécue par certains comme une formidable opportunité et un coup d’accélérateur à leur carrière quand elle déclenchera inhibition ou stress insupportable chez d’autres. La prise en compte de la vulnérabilité permet d’être davantage opérationnel dans l’observation de ce qui est devenu un slogan « la bonne personne au bon endroit ».

 

Pour en savoir plus :

Entreprise&Société a pour mission d’observer en quoi les mutations de la société ont ou auront un impact sur la vie des entreprises et de leur corps social et de proposer aux organisations des pistes d’action pour « faire avec » ou, mieux, profiter de ces mutations.

 

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J’aime le débat, la délibération informée, folâtrer sur « la toile », lire et apprécier la vie.

J’ai effectué la plus grande partie de mon parcours professionnel dans le Conseil et le marketing de solutions de haute technologie en France et aux États-Unis. J’ai notamment été directeur du marketing d’Oracle Europe et Vice-Président Europe de BroadVision. J’ai rejoint le Groupe Alpha en 2003 et j’ai intégré son Comité Exécutif tout en assumant la direction générale de sa filiale la plus importante (600 consultants) de 2007 à 2011. Depuis 2012, j’exerce mes activités de conseil dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) au sein du cabinet que j’ai créé, Management & RSE. Je suis aussi administrateur du think tank Terra Nova dont j’anime le pôle Entreprise, Travail & Emploi. Je fais partie du corps enseignant du Master Ressources Humaines & Responsabilité Sociale de l’Entreprise de l’IAE de Paris, au sein de l’Université Paris 1 Sorbonne et je dirige l'Executive Master Trajectoires Dirigeants de Sciences Po Paris.