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Certaines entreprises et administrations publiques font la chasse, dans leur effectif, au personnel ayant « acquis » des handicaps dus à l’âge. Cette pratique leur permet de respecter le seuil légal de 
6 % sans avoir à embaucher. Wenceslas Baudrillart a publié récemment cette « alerte » concernant l’emploi des personnes handicapées. Metis la reprend avec l’autorisation du journal Les Echos, que nous remercions.

 

handicap

 

Une (une !) semaine par an, en novembre, l’emploi des travailleurs handicapés s’inscrit dans l’actualité. Manifestations multiples, forums, discours sur la responsabilité sociétale et cette question retrouvera pour les 51 semaines suivantes sa somnolence. Et pourtant ! En 2008, le taux de chômage des travailleurs valides était de 8 %, celui des travailleurs handicapés de 10 %. Quand aujourd’hui ils sont respectivement de 9,4 et 22 %.

L’ancienneté au chômage des travailleurs handicapés dépasse deux ans et demi. Ce taux est en réalité très largement sous-évalué : découragés, les chômeurs handicapés disparaissent du marché du travail et s’inscrivent dans ce « halo » des disparus des radars administratifs.
Personne ne réagit vraiment devant cette discrimination inexplicable.

Alors que « société inclusive » et « vivre-ensemble » sont devenus les mantras les mieux partagés, personne ne réagit vraiment devant cette discrimination inexplicable en termes médicaux puisqu’il s’agit de personnes dont des commissions spécialisées ont reconnu qu’elles avaient à la fois un handicap et la capacité de travailler.

Tour de passe-passe


Comment en est-on arrivé là alors qu’en apparence le pourcentage de travailleurs handicapés, aussi bien dans les fonctions publiques que dans les entreprises, augmente lentement et se rapproche de l’obligation légale de 6 % de travailleurs handicapés dans les organisations de plus de 20 salariés ?

De 2008 jusqu’à 2015, les entreprises ayant massivement réduit leurs embauches ont naturellement recruté des travailleurs sans problèmes de santé. En revanche elles ont mené une politique vigoureuse de maintien dans l’emploi de leurs salariés qui « acquéraient » des handicaps au fil de leur vie active.

Cette politique qui a toutes les apparences de la vertu managériale et citoyenne l’est fréquemment. Mais pas toujours, et il faut dénoncer une pratique qui s’est largement étendue depuis une dizaine d’années : la chasse au handicap caché, celui qui n’a aucune conséquence professionnelle.

Il y a un véritable détournement de l’obligation d’emploi avec une stratégie méthodique : découvrir dans le personnel déjà employé ceux qui ont un handicap que personne n’avait jusqu’alors détecté parce qu’il n’a aucune conséquence sur la vie professionnelle.

Cette stratégie va loin. Certaines entreprises sont allées jusqu’à attribuer des primes occultes (1000 euros parfois) à toute personne apportant sa RQTH, cette reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé qui permet de figurer dans l’effectif légal de 6 %, des cabinets spécialisés apportant dans cette recherche un concours lucratif.

Esprit fondateur


Il est temps de revenir à l’esprit fondateur de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés. Notre proposition est simple : seules doivent être comptabilisées dans les 6 % de l’effectif au titre de l’obligation d’emploi les personnes dont le handicap médical entraîne une réduction de leurs capacités professionnelles effectives ou requiert des besoins d’adaptation spécifique.

Le maçon en fauteuil roulant et l’informaticien en fauteuil roulant ont le même handicap, mais sans les mêmes conséquences sur leur vie professionnelle. L’un pourra continuer d’exercer son métier avec la même efficacité, l’autre devra se reconvertir complètement.

L’informaticien qui a des douleurs lombaires est parfaitement efficace avec un siège ergonomique, l’informaticien tétraplégique qui a besoin de 2 heures de soins pendant la journée a évidemment une productivité moindre. Le non ou mal voyant en espace de travail collaboratif aura besoin de logiciels spécifiques pour la lecture orale de ses messages de même que le sourd aura besoin de logiciels spécifiques pour traduire en messages écrits certains échanges oraux.


L’avis de la médecine du travail


Cette condition doit s’apprécier dans le polygone : nature médicale du handicap-métier-niveau de qualification de la personne-emploi occupé ou à occuper-poste de travail. Les Maisons départementales des personnes handicapées ne peuvent évidemment pas porter elles-mêmes cette appréciation. 

 

Mais cette compétence existe, aisément mobilisable : le médecin du travail. Il voit les salariés de l’entreprise, il voit ceux qui sont recrutés, il connaît l’entreprise, ses postes de travail, ses équipements. Il est à même de se prononcer sur cette combinaison métier-niveau de formation-équipements-handicap médical-impact professionnel.

La prise en compte du travailleur atteint d’un handicap dans les 6 % de l’obligation d’emploi doit passer par cette appréciation du médecin du travail. L’obligation d’emploi servira alors effectivement à ceux qui en ont besoin.

 

Pour en savoir plus :


– Wenceslas Baudrillart est le président de l’entreprise adaptée A.I.A, membre du Conseil national des personnes handicapées et du Comité national du FIPHFP et membre du Comité de rédaction de Metis Europe.

– Cet article a initialement été publié par Les Echos, le 21 novembre 2017 

 

Pour aller plus loin :


 « Emploi des handicapés : l’urgence d’une réforme en profondeur« , Les Echos, 09/2015 
– « Sophie Cluzel : Handicap : « Nous devons changer le regard du chef d’entreprise »« , Les Echos, 11/2017 
– « Handicap : cinq chiffres qui illustrent le défi de l’emploi« , Les Echos, 11/2017 

 

 

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Universitaire spécialisé en finances publiques (et en histoire des idées politiques), je suis appelé au ministère du Travail en 1974 pour y créer un département d’études permettant d’adapter le budget à l’explosion du chômage. Très vite oubliées les joies subtiles du droit budgétaire et du droit fiscal, ma vie professionnelle se concentre sur les multiples volets des politiques d’emploi et de soutien aux chômeurs. Etudes micro et macro économiques, enquêtes de terrain, adaptation des directions départementales du travail à leurs nouvelles tâches deviennent l’ordinaire de ma vie professionnelle. En parallèle une vie militante au sein d’un PS renaissant à la fois en section et dans les multiples groupes de travail sur les sujets sociaux. Je deviens en 1981 conseiller social de Lionel Jospin et j’entre en 1982 à l’Industrie au cabinet de Laurent Fabius puis d’Edith Cresson pour m’occuper de restructurations, en 1985 retour comme directeur-adjoint du cabinet de Michel Delebarre. 1986, les électeurs donnent un congé provisoire aux gouvernants socialistes et je change de monde : DRH dans le groupe Thomson, un des disparus de la désindustrialisation française mais aussi un de ses magnifiques survivants avec Thales, puis Pdg d’une société de conseil et de formation et enfin consultant indépendant. Entre-temps un retour à la vie administrative comme conseiller social à Matignon avec Edith Cresson. En parallèle de la vie professionnelle, depuis 1980, une activité associative centrée sur l’emploi des travailleurs handicapés qui devient ma vie quotidienne à ma retraite avec la direction effective d’une entreprise adaptée que j’ai créée en 1992.