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Début 2018, la Finlande adopte une très profonde réforme de l’éducation et de la formation professionnelle qui rappelle les deux réformes françaises parallèles : celle de la formation professionnelle continue et de l’apprentissage (Loi de 2018 « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel ») et la réforme de la formation professionnelle initiale mise en œuvre par le ministère de l’Education nationale. Un petit air de ressemblance pour ces réformes, encore que la Finlande soit allée plus loin dans l’innovation.

Le CEDEFOP vient de publier une étude détaillée de la situation en Finlande « Vocational education and training in Finland. Short description », un peu plus d’un an après une grande réforme de l’ensemble du système de janvier 2018 qui a précédé de peu la réforme française. Adoptée au printemps 2017, la nouvelle loi sur l’enseignement et la formation professionnels (EFP) est entrée en vigueur le 1er janvier 2018 ; il s’agissait selon le gouvernement finlandais de la plus importante réforme depuis 20 ans. Elle faisait suite à une réforme draconienne du Code du travail prise en 2016 avec l’objectif principal de favoriser la compétitivité des entreprises. De fait, les dispositions de cette loi poussent très loin les tendances identifiées ci-dessus : les systèmes d‘EFP initiale et continue sont intégrés au sein d’un système unique piloté par le Ministère de l’éducation et de la culture (MEC), basé sur l’approche par compétences, la logique de la demande, et doté de modalités de financement identiques donnant une large place à la performance. Un an après, il est trop tôt pour dresser un bilan de cette loi, mais on peut en resituer les objectifs par rapport aux avancées et aux limites des développements récents dans les autres pays.

Réduire le nombre de certifications

On compte 145 opérateurs d’EFP parmi lesquels 70% sont privés, émanations des secteurs de l’industrie ou des services ou directement d’entreprises, 24% gérés par des municipalités et le reste par diverses associations ou fondations. Leur nombre a été réduit drastiquement suite à des regroupements ou fusions encouragés par les pouvoirs publics. Ces institutions couvrent un ensemble de services relatifs à la formation professionnelle, initiale et continue, auprès des jeunes et des adultes, en étroite coopération avec le marché de l’emploi et au service principalement des PME. Le MEC a le rôle de s’assurer de la qualité et de la fiabilité des institutions, et de leur délivrer sur ces bases un agrément unique permettant de dispenser les formations, organiser les évaluations et délivrer les certifications. Dès lors, chaque institution dispose d’une grande liberté de manœuvre dans l’organisation des services et le choix des méthodes en fonction des besoins de secteurs et de régions où elles opèrent. La loi impose cependant des exercices réguliers d’auto-évaluation ou d’évaluation externe, notamment par le biais du Centre finlandais d’évaluation de l’éducation. La loi de 2018 renforce encore l’importance attachée à la gestion de la qualité à tous les niveaux. Le feed-back des apprenants au début et à la fin de leur formation sont des éléments essentiels de l’assurance qualité.

Le nombre de certifications professionnelles, actuellement d’environ 160 (depuis 2019, on en compte 43 accessibles en FPI au niveau 4 du cadre européen de certifications -CEC-, 65 accessibles en FPC au niveau 4 du CEC, et 56 certifications de spécialité au niveau 4 du CEC accessibles également en FPC), sera réduit progressivement et les qualifications seront élargies. En application du système de crédits (ECVET) chaque certification est dotée de points : 180 pour les premières, 120, 150 ou 180 pour les deuxièmes selon le degré de complexité, et 160, 180 ou 210 pour les troisièmes ; 60 points correspondant environ à un an de formation. Les référentiels de compétences et d’évaluation sont établis sous l’autorité de l’Agence nationale d’éducation, en coopération avec les partenaires sociaux. Tous les programmes de FPI font une large place aux compétences -clef et incluent des unités communes nommées : « communication et interaction, mathématiques et sciences, et citoyenneté et vie au travail ».

Rendre la main aux apprenants

La durée des formations dépend du plan de développement personnel des compétences (PDPC) établi pour chaque apprenant – et avec lui – par un formateur ou un conseiller d’orientation. Il concerne une qualification complète ou partielle selon les choix de l’apprenant ; le plan tient compte des compétences déjà acquises et qui donnent lieu à une évaluation au début du programme ; en particulier, la part de formation en situation de travail varie selon les plans individuels. La certification est donnée à la fin de la formation sans examen, dès lors que les modules de formation constitutifs du plan de développement personnel ont été complétés et les compétences acquises démontrées dans le cadre d’un véritable environnement de travail. Toutes les certifications professionnelles ouvrent le droit à la poursuite d’études dans l’enseignement supérieur, mais sous condition d’un examen d’entrée organisé par l’établissement d’accueil.

La loi finlandaise de 2018 a institué l’obligation pour tous les programmes de FP d’assurer une certaine part de la formation en situation de travail au sein des PDPC, soit dans le cadre de périodes organisées par accord avec l’entreprise, soit dans le cadre de contrats d’apprentissage (entre l’employeur et l’apprenti). A noter qu’elle a aussi accru la flexibilité des approches pédagogiques et la latitude accordée aux employeurs en ne faisant plus référence à la distinction classique entre théorie et pratique, au profit de la distinction entre « apprentissage sur le lieu de travail » et « apprentissage dans d’autres environnements ». Dans ce contexte, l’apprentissage se développe alors qu’il ne tenait jusqu’ici qu’une place limitée dans la FPI avec 9% des stagiaires en 2017; cette place était d’ores et déjà beaucoup plus grande en formation continue, avec près du tiers dans les formations de niveau 3 et 62% dans celles de niveau 4. Les apprentissages vont s’appuyer plus largement sur des outils informatisés et en particulier des simulateurs, mais aussi sur des périodes plus longues sur le lieu de travail, le tout dans le cadre d’approches pédagogiques centrées sur l’apprenant.

Traditionnellement, de même que pour l’ensemble des dépenses d’éducation, le financement de la formation professionnelle est public (le financement privé ne représente que 2,6% de l’ensemble de la dépense d’éducation) et assuré par l’impôt (30% de la part de l’État et 70% des municipalités) et les critères d’attribution sont les mêmes quel que soit le statut du centre, public ou privé. En outre des incitations financières sous forme de subventions ou de prêts sont disponibles auprès des stagiaires à temps plein comme pour les employés en congés formation, pour les dépenses d’hébergement et/ou de transport ainsi que pour les frais de scolarité quand il y en a. Les employeurs sont également encouragés à accueillir des apprentis ou des stagiaires par des compensations financières.

Avec la loi de 2018, les montants des financements publics attribués à l’apprentissage ont été relevés et alignés sur les montants concernant les autres modes de formation. Mais surtout, un nouveau système d’attribution des fonds auprès des opérateurs de formation a été introduit. Dans ce système, 50% de la somme est basé sur le nombre d’étudiants, 35% sur les taux de certification (ou d’obtention des unités) des apprenants, et 15% sur les taux d’insertion dans l’emploi ainsi que sur le feed-back donné par les nouveaux embauchés et par leurs employeurs. En outre des fonds pourront être attribués, dans la limite de 4% de l’ensemble, afin d’assurer la mise en œuvre d’actions jugées stratégiques par le Parlement. Ce nouveau système doit être introduit progressivement afin d’être opérationnel en 2022.

Une approche par les compétences

Jusque-là, l’approche par compétences a permis de simplifier le système de certification, d’élargir les qualifications et de mieux répondre à la demande en rendant les processus de formation plus individualisés et plus flexibles, et en intensifiant les relations avec le marché du travail. Elle autorise une moindre réglementation du système et favorise l’autonomie et la responsabilité des opérateurs. Elle suscite en outre des changements importants dans la qualification et le travail des formateurs. Selon l’index européen des compétences calculé par le CEDEFOP en 2016, la Finlande avait le deuxième meilleur résultat global au sein de l’UE avec un score de 72 derrière la République tchèque (75) et loin devant la France (48) ; mais la décomposition de l’index selon les trois dimensions principales (développement, activation, matching) marquait une moindre performance au niveau de l’activation (au sens de l’insertion dans l’emploi, de la baisse des sorties sans qualification et du fonctionnement du marché du travail) par rapport à la Suède, le Danemark ou les Pays-Bas. C’est peut-être à la remontée du score de la Finlande sur cet indice et/ou sur l’indice de mobilité verticale (voir ci-dessus) qu’on pourra juger de la réussite de la nouvelle stratégie.

France et Finlande : quelques leçons

Ainsi, bien que la France et la Finlande soient citées côte à côte par le CEDEFOP comme des modèles dans la mise en œuvre de l’éducation et de la formation tout au long de la vie, on voit bien qu’il y a des différences considérables entre les deux pays, et les scores comparés atteints par la France sur l’index européen des compétences en sont probablement une illustration (2e rang pour la Finlande et 20e pour la France !). Évidemment ces différences s’ancrent dans des histoires, des géographies et des cultures que tout sépare ; il suffit pour s’en convaincre de rappeler quelques traits de la situation de la Finlande, une population de 5,5 millions d’habitants (et une population active de 2,5 millions) plus homogène, de culture (majoritaire) protestante et vivant aux confins de l’empire russo-soviétique, une industrie centrée pendant longtemps sur quelques points forts le travail du bois et la téléphonie ; à cela s’ajoute un système éducatif le plus performant d’Europe selon les enquêtes de PISA.

La direction des réformes de la FP est cependant la même, celle d’un système favorisant la construction par chacun de son avenir professionnel grâce à l’éducation et la formation tout au long de la vie ; celle à laquelle le ministère de l’éducation nationale (MEN) contribue aux côtés du ministère de l’emploi, du travail et de la formation professionnelle (METFP) ainsi que le rappelait en juin 2019 Jean-Marie Huart, directeur général de l’enseignement scolaire au MEN – et aujourd’hui recteur de l’académie de Nancy-Metz) en disant « Nous sommes parfaitement en phase avec cette réforme (celle de la formation professionnelle) qui permet de faire un pas supplémentaire vers la continuité en matière d’apprentissage, d’orientation et de formation continue des adultes » et en indiquant ensuite la dynamique de création de CFA au sein de l’éducation nationale et en particulier au sein des GRETA, ainsi que le renforcement des dispositifs d’orientation dans les lycées (Le Quotidien de la formation, Centre Inffo, 12 juin 2019).

Mais afin de concrétiser ces objectifs il convient cependant de s’assurer que les individus peuvent s’approprier aisément les dispositifs mis en œuvre. Face aux 160 certifications professionnelles finlandaises, les quelques milliers de diplômes titres ou certificats professionnels inscrits au répertoire national français constituent à l’évidence un obstacle à la lisibilité du système et la mise en œuvre des parcours individuels. On a vu par ailleurs que la stagnation des développements de la VAE en France résulte en partie de la lourdeur et des exigences des procédures en place (« Retour sur la VAE en France et en Europe » Metis Novembre 2017). C’est pourquoi on se demande comment l’application informatique promise par Muriel Pénicaud aux détenteurs d’un compte personnel de formation (CPF) va leur permettre de se repérer simplement dans le maquis des certifications professionnelles et l’éparpillement des centres de formation et de trouver les conseils éclairés propres à faciliter leurs choix ; et on se demande aussi pourquoi l’usage du CPF ne serait pas ouvert à tout type de formations.

Pour en savoir plus

Voir la vidéo du CEDEFOP « Vocational education (VET) and training in Finland, septembre 2019

 

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Ingénieur École Centrale promotion 1968. DEA de statistiques en 1969 et de sociologie en 1978. Une première carrière dans le secteur privé jusqu’en 1981, études urbaines au sein de l’Atelier parisien d’urbanisme, modèles d’optimisation production/vente dans la pétrochimie, études marketing, recherche DGRST sur le tourisme social en 1980.

Une deuxième carrière au sein de l’éducation nationale jusqu’en 1994 avec diverses missions sur l’enseignement technique et la formation professionnelle ; participation active à la création des baccalauréats professionnels ; chargé de mission au sein de la mission interministérielle pour l’Europe centrale et orientale (MICECO).

Une troisième carrière au sein de la Fondation européenne pour la formation à Turin ; responsable de dossiers concernant l’adhésion des nouveaux pays membres de l’Union européenne puis de la coopération avec les pays des Balkans et ceux du pourtour méditerranéen.

Diverses missions depuis 2010 sur les politiques de formation professionnelle au Laos et dans les pays du Maghreb dans le contexte des programmes d’aide de l’Union européenne, de l’UNESCO et de l’Agence Française de Développement.

Un livre Voyages dans les Balkans en 2009.

Cyclotourisme en forêt d’Othe et en montagne ; clarinette classique et jazz ; organisateur de fêtes musicales.