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La crise sanitaire (les jeunes « confinés » pour sauver les vieux surnuméraires…), l’impact de la pandémie sur le cours des études et les boulots des étudiants, la précarité des conditions des jeunes : est-ce qu’il faut parler de « génération sacrifiée » ? Tom Chevalier et Patricia Loncle qui ont rassemblé un livre collectif ne le pensent pas.

Le livre Une Jeunesse sacrifiée ? (puf, 2021) rassemble des contributions bien utiles pour penser la jeunesse sans penser guerre des générations. La « jeunesse » est devenue une catégorie sociologique dès lors que la période entre la fin des études (ou leur prolongement) et « l’entrée dans la vie active » s’est distendue. C’est aussi la période où les politiques publiques se sont « âgisées » (comme on dit « racisées ») en inventant au fil du temps des contrats jeunes, ou d’avenir, ou d’utilité collective, ou d’engagement (le dernier en date) qui se ressemblent plus ou moins, sont efficaces (plus ou moins) et font passer le temps de cette transition difficile en la consacrant comme une transition. Lost in transition. La jeunesse, ça passe, mais appartenir à telle ou telle génération c’est autre chose : les marques peuvent en perdurer longtemps.

De là la question que se pose l’auteur du premier chapitre, Camille Peugny : les inégalités entre générations ne font-elles pas oublier les inégalités au sein d’une même génération ? Il insiste sur l’extrême diversité entre les membres d’une génération, et plus encore sur la faible mobilité au sein de la société française. Ce qui signifie que les inégalités se reproduisent et que peu de choses ont changé depuis le livre de Bourdieu et Passeron, La Reproduction en 1970. Ce que l’on résume souvent de manière comparée : il faut en France 6 générations pour qu’un individu de milieu modeste parvienne à une situation à revenu moyen alors que dans les pays scandinaves, 2 ou 3 générations suffisent, la moyenne des pays de l’OCDE étant à 4.

Cette reproduction des inégalités sociales trouve largement ses sources dans le système scolaire. Nicolas Charles montre comment l’on a pris la massification pour une démocratisation, confondant ainsi les deux notions : parce que l’on a massifié l’enseignement sans augmenter les ressources (cf. la situation souvent dégradée de l’enseignement supérieur) et parce que l’on est resté sur la coupure grandes écoles/universités particulière au système français. C’est ainsi qu’avec l’augmentation considérable du nombre de bacheliers, du nombre de diplômés de l’enseignement supérieur (46 % d’une génération aujourd’hui), on a produit l’effet inverse de celui recherché : « démocratie sélective » d’un côté à raison de la séparation radicale entre les filières professionnelles méprisées et les filières générales, déclassement des jeunes diplômés d’un autre côté parce que la structure de qualification des emplois n’évolue pas si vite que cela (un point qu’à mon avis les auteurs ne développent pas suffisamment). La focalisation excessive sur le diplôme génère cette « démocratie sélective » décrite par de très nombreux auteurs (Dubet, Durru-Bella…) et l’on a massifié l’enseignement dans une société d’emprise scolaire (cf. dans Metis l’analyse de Paul Santelmann à propos des difficultés de recrutement) sans parvenir à faire monter en compétence l’ensemble de la population active, quel que soit son âge.

La jeunesse est en quelque sorte coincée entre la machine à distiller de l’enseignement initial et les difficultés à progresser, bouger, changer de métier dans le cadre de la formation tout au long de la vie. Les responsables publics inventent alors des politiques jeunes qui ont toutes pour caractéristiques de ne pas considérer les jeunes comme des adultes autonomes. C’est ce qu’avait très bien documenté et analysé Tom Chevalier dans son livre La Jeunesse dans tous ses États (voir la note de lecture dans Metis) qui comparait les politiques et surtout les conceptions de la jeunesse dans les différents pays européens en partant de la notion de « citoyenneté socio-économique ». La France s’inscrit dans une tradition « familialiste » à l’inverse de pays qui considèrent d’abord l’autonomisation par rapport à la famille et l’indépendance financière du jeune.

Le manque d’autonomie et l’inexpérience administrative font que les jeunes sont parmi les premiers candidats au « non recours » : il y a des politiques, des dispositifs faits pour eux, mais qu’ils ne connaissent pas et n’utilisent pas. C’est le thème de l’un des chapitres tandis que des portraits tout à fait révélateurs illustrent la colère, la frustration, ou au contraire la participation à des activités civiques ou la « lifestyle politics » (la politique par le mode de vie) de plus en plus répandue.

Il y aurait beaucoup à dire à partir de ces travaux et de ce cadre de réflexion sur le dernier « contrat d’engagement » qui vient d’être annoncé : ni RSA jeunes ni Garantie Jeunes universelle. On lui a inventé un nouveau nom alors que les jeunes commençaient tout juste de se familiariser avec la Garantie jeunes (créée en 2014) et bien accompagnée par les Missions locales. Voir le documentaire LCP « Entendez-vous dans nos campagnes » qui donne à voir ce que signifie « accompagner » et qui montre combien l’accompagnement compte autant que les maigres 500 euros mensuels et est bien loin de se résumer à de la formation. 

Pour en savoir plus

  • Tom Chevalier, Patricia Loncle, Une jeunesse sacrifiée, PUF, 2021
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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.