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Il fallait bien qu’un jour ou l’autre, les syndicalistes réalisent qu’ils faisaient partie de la planète et que la mondialisation était un pléonasme. Après un long moment consacré à s’opposer à l’évidence : on était contre la mondialisation en soi, il fallut bien réaliser que le mal n’était pas qu’elle fût, mais que le fond du problème était la manière dont on la menait.

 

On est ainsi passé de la lutte contre la mondialisation à la revendication d’une alter-mondialisation. Le syndicalisme a mis beaucoup de temps à opérer ce passage, d’autant que l’impulsion est venue de l’extérieur. L’alter mondialisation est en effet née de la société civile, stimulée par les ONG et par les courants écologistes et gauchistes radicaux. Peu solubles entre eux, ils avaient en commun de doubler le syndicalisme dans l’exercice du contrepouvoir, sur le terrain précis où l’opinion avait une attente faite d’inquiétudes auxquelles personne ne répondait et notamment pas le syndicalisme. Le monopole de l’exercice du contre pouvoir que se prêtait le syndicalisme l’inclina moins, dans un premier temps, à s’approprier les questions portées par l’alter mondialisation, qu’à y voir une concurrence délibérée.

 

La nouvelle nature de contrepouvoir gagna en puissance et révéla d’autant l’impuissance syndicale, jusqu’à atteindre la conscience des militants et finalement les institutions syndicales elles mêmes. Cette conscience de la vulnérabilité acquise, qui amène au réflexe de se réunir, l’union étant supposée faire la force, ne résout pas tout pour autant. Le syndicalisme est en effet encore loin d’avoir intégré la nature de la revendication que porte le nouvel exercice du contre pouvoir concurrent pour être à même de se l’approprier. En l’instant, on peut lui prêter de faire le constat que la financiarisation de la prise de décision sur la planète est dangereuse pour ce qui à ses yeux n’a pas de prix, en l’occurence, la dignité de l’homme et la démocratie sans laquelle elle n’est qu’un leurre. Le syndicalisme n’en est pas encore à débusquer tous les mécanismes pervers dont la dite financiarisation se légitime, pour être à même de la mettre en question et ainsi retrouver l’exercice du contrepouvoir en réinterrogeant les « valeurs » perverses à travers lesquelles elle se légitime sur la planète. Le syndicalisme est ainsi dans une situation, qui serait celle de quiconque confronté à un postulat, reste bouche bée de toute question susceptible de lui être adressé. En effet, le postulat en question existe bien, et seuls les alter mondialistes l’ont déniché, ce qui fait leur succès.

 

Progressisme délirant et productivisme scientiste allaient débrider le marché

 

Ce fameux postulat est né de la fin de la guerre froide, quand les deux modèles qui antérieurement s’affrontaient, ont accouché de ce qu’ils avaient en commun en gommant ce qui les séparaient. Ils partageaient et le progressisme à tout crin, et un productivisme qui n’épargnait pas même la science, pour la tirer vers un scientisme dans lequel l’utilitarisme du court terme tenait lieu de recherche de la connaissance. Ne les séparaient que le marché et le non marché. Sur ce terrain, l’écroulement du mur de Berlin produisit son effet majeur. Le non marché s’est trouvé amalgamé à la tyrannie et en contrepoint, le marché à la démocratie, ce que l’Histoire confirmait par ailleurs. Ainsi propulsé au pinacle des valeurs de la nouvelle donne mondiale, progressisme délirant et productivisme scientiste allaient débrider le marché de toute limite, pour ne plus en faire que leur objet. Le marché a cessé dès lors d’être guidé par sa main invisible, pour ne plus être qu’en main du progressisme productiviste de toujours, désormais doté de la toute puissance des techno-sciences qui n’ont à se légitimer que d’elles mêmes.

 

Rien aujourd’hui ne s’oppose plus aux supposés progrès et à la mercantilisation qui fait la finance reine, en dehors des catastrophes que le postulat suscite lui même, de Tchernobyl, à Seveso, Enron, en manipulations génétiques du vivant et réchauffement de la planète. De catastrophes en catastrophes, le postulat auto-révèle ses nuisances, il secrète une apocalypse, c’est à dire un dévoilement dont le syndicalisme ne voit et ne combat que les symptômes, en échappant à la dénonciation des « valeurs » du postulat qui les légitiment. Une situation qui voue le contrepouvoir à l’échec perpétuel, d’autant que les décisionnaires en exercice anticipent beaucoup mieux que le syndicalisme les risques qu’ils encourent dans leur fuite en avant. Ils ont senti la force de l’inquiétude qui a désormais saisi les opinions publiques sur la planète mais n’ont pas pour autant changé de stratégie, même si celle qu’ils développent a toutes les apparence d’une prise en compte de l’inquiétude.

 

L’épicerie et le tout à l’argent ont besoin de l’éthique

 

Ainsi, face à cette saine peur qui a fait naître le principe de précaution, les décisionnaires n’occultent plus la dimension des effets des technosciences et du scientisme pour en légitimer la pratique. Ainsi de qualifier d’obscurantiste toute question adressée au postulat scientiste telle qu’elle ne serait jamais que la manifestation vieille comme le monde du refus du progrès et rien moins qu’une dénégation de la recherche et du développement des connaissances. L’épicerie et le tout à l’argent ont désormais de plus en plus besoin du portage de valeurs symboliques, pour leur donner sens. Mais même cela devient difficile, et il vaut mieux désormais avoir l’air d’épouser les inquiétudes et se faire les acteurs de la lutte contre les nuisances du postulat, pour continuer de le pérenniser sous des formes moins anxiogènes.

 

Aujourd’hui, plus responsable qu’un chef d’entreprise tu meures, on « charte » comme jamais, on implique même des ONG pour cautionner les bonnes intentions et un tant soi peu de contrôle de la conformité de ce que l’on fait à ce que l’on dit. On signe même des accords avec des organisations syndicales. Il y en a aujourd’hui 54 sur la planète, y compris avec des suivis affichés dans les dits accords. Lesquels suivis sont conçus de telle sorte qu’ils donnent toutes les apparences d’un contrôle syndical pour qu’il n’en soit pas un. Une forme de contrôle dont les syndicats se satisfont beaucoup trop bien pour ne pas en être discrédités un peu plus encore.

 

Alors que peut on attendre de la CSI qui vient de naître ?

 

Pierre Tartakowsky lui prête quatre défis à dépasser, tous relevant de dimensions organisationnelles et managériales. On peut craindre que ce soit là un peu juste pour satisfaire à l’efficacité de l’exercice du contre pouvoir syndical sur la planète. On a rarement vu un changement organisationnel et même managérial, générer a priori de lui même, la finalité d’une entreprise comme d’une institution. Mieux vaudrait commencer par produire une représentation effective de ce qui meut la mondialisation, pour comprendre la réalité des problèmes à résoudre, poser autrement les objectifs syndicaux et les revendications planétaires appropriées. Quelque chose d’un management du changement par les finalités plutôt que par les moyens qui dès lors ne serait sûrement plus, ni une affaire de l’exclusive militance traditionnelle, ni de structures syndicales telles qu’on les a connues depuis toujours.

 

Henri Vacquin

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