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Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, nombre de pays d’Europe continentale ont adopté un système de représentation des salariés que l’on connaît en France sous le nom de comité d’entreprise. Aujourd’hui dans notre pays, mais c’est le cas aussi en Belgique, en Autriche, en Allemagne, en Hollande ou en Espagne, cette institution fait partie de la vie quotidienne des entreprises grandes et moyennes. Le comité d’entreprise n’a pourtant rien d’un fait social naturel et consensuel. En Europe de nombreux pays ne le connaissent pas : la Suède, le Danemark, l’Irlande, le Royaume Uni mais aussi l’Italie dans une certaine mesure.

Son instauration a donné lieu, dans tous les pays concernés, à de vifs débats. Côté employeurs, la crainte principale était d’introduire le loup dans la bergerie et de contester au chef d’entreprise sa liberté de gestion. Côté syndical, la crainte était de marginaliser le syndicat lui-même et de mettre les représentants des salariés sous une dépendance étroite de l’employeur, les contraignant à une sorte de paix sociale. Dans l’Europe d’aujourd’hui le débat ressurgit à l’Est dans des pays qui s’interrogent sur l’introduction d’un tel système. A peu de choses près, les arguments sont les mêmes et ont conduit, notamment du fait des oppositions syndicales, soit au refus pur et simple soit à l’instauration de CE, uniquement dans les entreprises dépourvues de représentation. Seule la Hongrie a introduit dans sa législation le CE comme principe général de représentation salariale.

L’appellation même de CE renvoie à deux interprétations : Français et Belges en font une assemblée de représentants présidée par l’employeur dans laquelle celui-ci joue donc un rôle pivot ; Allemands, Autrichiens et Hollandais en font une assemblée des seuls représentants salariés, qui s’auto-organise et, en tant que telle, dialogue avec l’employeur. Autre divergence et pas seulement sémantique, celle qui différencie la France et l’Espagne où l’on parle de « comités », de la Belgique ou de l’Allemagne qui parlent de « conseils ».

Le lien aux syndicats, toujours problématique, diffère aussi largement. Grande proximité en Italie, qui pratique la représentation syndicale unitaire, en Espagne ou en Belgique. A l’inverse, les CE sont beaucoup plus autonomes vis à vis des syndicats au Pays Bas, en Allemagne et en France, malgré le monopole des représentants syndicaux au premier tour des élections françaises.

S’agissant de leurs compétences, à de rares exceptions près, les CE sont essentiellement des lieux d’information et de consultation. Même si ces vocables communs couvrent une large diversité de pouvoirs et de pratiques – de l’information ou de la consultation simples à l’information donnant droit à expertise, de l’avis sans conséquence juridique à l’avis liant l’employeur, du droit d’audition au droit de cogestion des horaires de travail -, les CE n’ont guère prise sur les stratégies d’entreprises. Comment mesurer, même en Allemagne, leur impact sur la gouvernance d’entreprise ? En France ne sont-ils pas surtout appréciés pour leurs activités sociales et culturelles ? Il y a ici un « business » tout à fait important et qui n’est pas sans soulever des questions sur ses finalités et, parfois, son éthique.

Enfin qu’en est-il des ambitions initiales de représentation ? Le modèle des CE a tenté de s’adapter aux nouvelles configurations d’entreprises : multiplicité d’établissements et mise en place de CE centraux, constitution de groupes et de comités du même nom et désormais comités européens voire mondiaux. Par contre, le modèle initial a beaucoup plus de mal à s’emparer des réseaux productifs, de la sous-traitance et des travailleurs indépendants. Quand aux instances de participation interentreprises, elles sont rares.

Enfin le lien avec les salariés paraît moins évident qu’avant. Au Pays Bas, en Allemagne ou en France, les délibérations se multiplient entre management et élus qui délaissent alors le lien avec leurs mandants. La montée des travailleurs précaires a du mal à trouver une représentation. Sexes, générations, minorités visibles : les représentants renvoient à une représentation parfois très décalée.

Avec l’élargissement, l’Europe des CE n’a rien d’évident. Et si dans plusieurs pays dont le nôtre, les CE sont bien « installés », les questions initiales ressurgissent. Que signifie aujourd’hui participer ? Quelle instrumentalisation par le management ? Et a contrario quelle influence sur les dirigeants mais aussi sur les investisseurs et autres actionnaires ? Quel projet sous-tend le développement des CE, cinquante ans après ? Le dossier qu’ouvre METIS aujourd’hui n’est comme bien d’autres qu’un début…

Trois éclairages : le regard d’une sociologue sur les entreprises multinationales, celui d’une syndicaliste au sein d’un comité d’entreprise européen, une expérience de négociation par un comité mondial.

Claude Emmanuel Triomphe

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