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L’esprit sans-culotte plane

publié le 2007-06-01

Pour Steve Jefferys, directeur du Working Lives Research Institute, de Londres, les relations du travail sont profondément marquées par les idéologies nationales.

Steve Jefferys
Steve Jefferys, directeur du Working Lives Research Institute

Vous avez publié en 2003 un ouvrage sur les relations de travail en France -« Liberté, égalité et fraternité at work » (Palgrave Macmillan, 2003) – Qu’est-ce qui caractérise la situation française ?

Le point de départ de ma réflexion part d’un paradoxe : comment, en effet, des organisations syndicales, dont les structures sont plutôt affaiblies, ont-elles cependant réussit, à travers des mobilisations de masse, à faire reculer des gouvernements et à résister tant bien que mal au modèle néolibéral dominant ? Je crois que les modèles de relations du travail restent largement influencés par les caractéristiques idéologiques nationales d’où le titre de cet ouvrage reprenant la devise « Liberté, égalité, fraternité au travail » qui a été invoquée lors de la révolution française. En dépît des évolutions, ces structures idéologiques relativement indépendantes des structures économiques, n’ont jamais vraiment cessé d’influencer les comportements des travailleurs français. Les manifestations de décembre 1995 contre les projets de réforme de la sécurité sociale et des retraites du secteur public montrent bien leur influence et leur capacité à générer un fort mouvement social qui a secoué tout le pays durant un mois, cela même si le poids des syndicats a beaucoup diminué.

Que vous inspirent les discours plaidant pour une réhabilitation de la valeur travail ?

Penser le travail en terme de valeur empêche de poser les vraies questions liées à l’emploi : est-ce qu’il est possible d’améliorer la situation de l’emloi et de fournir un travail pour tous ? Et d’autre part, quelle est la qualité des emplois proposés, qu’est-ce que nous considérons comme un travail décent ? En Grande-Bretagne, un quart des emplois sont à temps partiel, c’est à dire moins de 20 heures par semaine, ce qui ne permet pas de vivre décemment et qui est à l’origine du phénomène des travailleurs pauvres. Ces discours très moralisateurs sur la valeur travail sont très culpabilisateurs et visent à diviser les citoyens et à contraindre les chômeurs d’accepter n’importe quel emploi.

Les discours sont-ils identiques en Grande Bretagne ?

Ce thème de la valeur travail et son prolongement du travailler plus est une idée très française. Cela n’a, en Grande Bretagne, jamais été érigé en valeur. Lorsque Margaret Thatcher et les conservateurs, par exemple, ont essayé de mobiliser sur des valeurs, c’était sur la famille. Et puis les Britanniques sont les Européens qui travaillent déjà le plus longtemps, ce qui n’empêche pas la productivité d’être toujours à la traîne derrière celle de la France. Le Royaume-Uni n’a ratifié que partiellement la directive limitant le travail à 48 heures par semaine.. Je ne vois pas comment nous pourrions travailler encore davantage. On parle actuellement de prolonger encore l’activité professionnelle des personnes de plus de 65 ans, mais même les employeurs sont réticents à cette idée.

Propos recueillis par Frédéric Rey

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