En France, le gouvernement prend des mesures fiscales destinées à favoriser le développement des heures supplémentaires. Il y a là une réaffirmation de la relation entre la création de valeur et le temps consacré individuellement au travail. Est-ce encore pertinent ?
Le projet français est très différent par exemple, de la volonté d’augmenter la productivité du travail (« travailler mieux ») ou encore d’accroître la masse de travail fournie par l’élévation du taux d’emploi à l’échelle de la population potentiellement active (« travailler tous »).
Par ailleurs, la proposition de sur-valorisation relative du travail en heures supplémentaires intervient dans un contexte où d’autres tendances très « modernes » se déploient. Cette proposition repose sur un raisonnement en heures d’ailleurs largement aléatoires, alors que la tendance est à l’annualisation et à la modulation. Cette proposition renforce par contre la demande d’individualisation. Pour autant elle se heurte, de manière contradictoire, à la dématérialisation de la production. Le travail informationnel, communicationnel, relationnel, l’extension du service, la complexité croissante des systèmes de production…, exigent plus d’intégration, plus de coordination et de coopération. Cela vaut pour les individus comme pour les réseaux d’entreprises et ce désormais, à l’échelle mondiale. La dilution du cadre temporel a accompagné l’éloignement progressif entre l’activité individuelle et la valeur produite collectivement. La performance s’obtient au travers du filtre de l’organisation et à l’aide d’autres facteurs de production (équipements, machines, investissement immatériel cumulé). La production se dématérialise. Le lien de causalité directe entre le temps travaillé individuellement et la valeur produite se distend tous les jours un peu plus et pas seulement pour les cadres.
Le résultat, principal critère d’évaluation
La durée (même en jours et à l’année) n’est ni la seule, ni la bonne mesure de la valeur du travail. Et elle le sera de moins en moins. C’est pour cela, et pour être en capacité d’individualiser, que les pratiques de rémunération (parts variables) et les discours managériaux développent la référence aux résultats, non sans rencontrer déjà de redoutables problèmes sur l’exigence de systèmes d’évaluation satisfaisants (des responsabilités, des résultats, de la performance, du mérite, des compétences, voire du potentiel…).
Le slogan « travailler plus = gagner plus » suppose en effet implicitement une autre équation ; « travailler plus = plus de résultats » et si possible, « plus de résultats = performance économique accrue ». Quiconque a vécu en entreprise sait, dans sa chair parfois, qu’il y a du travail qui ne produit pas de résultat, voire, que l’atteinte des objectifs ne fait pas nécessairement la performance, et il est rare que le salarié puisse en être tenu pour seul responsable. Il faut encore que la mesure des résultats (évalués) soit pertinente par rapport à ce qui compte in fine, la valeur produite. Or, c’est loin d’être le cas, notamment lorsque la mesure s’applique à une production immatérielle, partiellement co-produite par le client, largement qualitative et appréciée in fine par le marché.
D’où ce paradoxe : Dans l’ordre des représentations gestionnaires, réactiver le lien entre le temps et la valeur du travail pourrait bien conduire à réinterroger la relation entre la valeur de travail (la rémunération) et les résultats économiques de l’entreprise (mesure de la valeur produite).
Xavier Baron
Laisser un commentaire