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La responsabilité sociale des entreprises peut-elle en rester au volontariat ?

publié le 2007-09-01

La saisine des tribunaux par le monde associatif pour peser sur le comportement des entreprises sur des enjeux de société, est relativement nouvelle. Même si aux Etats-Unis les « class actions » sont l’occasion d’interpeller les entreprises sur des sujets aussi variés que le tabac, l’alcool, les discriminations, l’amiante, l’obésité ; la montée en puissance de l’arme juridique comme outil d’interpellation des entreprises est un phénomène intéressant à analyser. S’il s’ajoute à la palette des outils de responsabilité sociale que peuvent activer les ONG ou d’autres acteurs, il fait apparaître dans le même temps les limites du concept de RSE reposant sur les approches volontaires des entreprises.

L’arme juridique, outil supplémentaire de RSE ?

Il n’est pas inutile de redonner la définition de la RSE par la Commission européenne (Livre vert de 2001), « c’est la prise en compte de manière volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales dans leurs relations commerciales et leurs parties prenantes ». Même si les entreprises s’engagent de manière volontaire, elles le font sous la pression de leurs parties prenantes internes (représentants des salariés) et externes (ONG, investisseurs, riverains, collectivités publiques, …). Cette pression se traduit par la mise en place de nombreux outils qui passent aussi bien par des campagnes de dénonciation, le contrôle des engagements que la labellisation de produits ou la signature de partenariats stratégiques. De plus en plus, les ONG comme d’autres parties prenantes (syndicats notamment), ont une approche très pragmatique de l’utilisation de ces différents imoyens d’action, en privilégiant le critère de l’efficacité : quel sera l’outil le plus efficient à mettre en œuvre pour atteindre l’objectif que je me suis assigné, au regard des moyens (faibles) dont je dispose ?

C’est dans cet esprit que s’inscrit l’interpellation juridique qui permet à de petits collectifs de médiatiser un sujet de société ou d’amener une entreprise, si possible ayant une forte visibilité médiatique en raison de sa marque, à s’inscrire dans une démarche de développement durable. C’est l’arme du faible contre le fort, de David contre Goliath, car il nécessite peu de moyens financiers et humains mais permet à des petits collectifs d’agir efficacement vis-à-vis des grandes multinationales. Comme l’ensemble des outils de la responsabilité sociale, l’arme juridique n’est pas une fin en soi. C’est un moyen pour amener l’entreprise à se repositionner. Le rapport d’activité 2006 de l’association Sherpa le montre bien : si l’objectif affiché est de dénoncer les violations des droits de l’homme et les atteintes à l’environnement commises par les entreprises, la recherche de compromis d’arrangement pour améliorer le sort des populations discriminées ou exploitées n’est pas exclue.
Certaines ONG l’ont bien compris n’hésitant pas à brocarder les entreprises dans le cadre des assemblées générales ou à les poursuivre en justice. Ce qui ne les empêche pas, en parallèle, de mener des activités d’évaluation et de notation des entreprises (secteur de la finance par exemple) de concevoir des labels de certification (bois avec le label FSC, par exemple) ou bien de réaliser des audits sociaux et environnementaux.

L’arme juridique, un outil de RSE à utiliser à bon escient

L’utilisation de l’arme juridique présente plusieurs avantages. Elle prend à partie les autorités publiques, nationales ou internationales sur leur incapacité à faire respecter les réglementations qu’elles ont édictées. Elle met en accusation des structures de lobbying (organisations professionnelles notamment), par exemple des constructeurs automobiles qui refusent que la Commission européenne adopte un programme plus contraignant de réduction des émissions de CO2. Enfin, elle développe la possibilité de trouver un compromis négocié entre les deux parties.
Cependant, le recours à la justice pose également un certain nombre de questions et nécessite de rééquilibrer les avantages et pointer les inconvénients. Ce type d’action comporte un risque de déplacement des lieux de décision où l’on débat des questions de société. L’assemblée générale des actionnaires, comme le tribunal, doit être le lieu par défaut où se débattent l’avenir de notre planète, la place des OGM, le devenir de produits comme l’alcool ou le tabac. Il risque par ailleurs de faire apparaître une confrontation d’intérêts entre parties prenantes. Dans le cadre des procès que veulent engager certaines ONG contre les constructeurs automobiles, il serait intéressant de savoir ce qu’en pensent les organisations syndicales de salariés, au niveau national, au niveau européen mais aussi au niveau international. Enfin, en l’absence de droit international, la portée de ces actions juridiques pourrait se limiter à produire des réglementations nationales ou régionales (européenne par exemple) alors même que les entreprises s’inscrivent dans le cadre d’une économie mondialisée. Les procès faits à des constructeurs japonais comme celui prévu contre des constructeurs européens ne risquent-ils pas de les pénaliser au regard des américains ?

En conclusion, il apparaît nécessaire pour l’ensemble des acteurs économiques, politiques et sociaux, d’avoir en parallèle une vision très pragmatique du concept de RSE comme opportunité de générer des outils de mise en œuvre d’engagement des entreprises (l’arme juridique en faisant partie) tout en n’oubliant pas les grands enjeux planétaires auxquels nous sommes confrontés et qui posent la question de la gouvernance de l’ensemble des lieux de décision, à tous les niveaux.

François Fatoux

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