par Pierre Tartakowsky
Les relations entre organisations syndicales et immigrants constituent un objet mouvant placé sous le double auspice de la solidarité et de la concurrence. La première, souvent purement verbale, se heurtant dans les faits à la seconde, inscrite dans la réalité des politiques d’entreprises.
Certes, la classe ouvrière européenne se constitue à partir des vagues successives de migrations ; mais les derniers installés seront souvent méfiants et réticents aux nouveaux venus, perçus comme concurrents. Historiquement, le syndicalisme sera un facteur d’intégration sociale et économique, en même temps qu’un lieu civique et antiraciste ; il sera d’ailleurs souvent le seul.
C’est cette dualité qu’exprimait Catelene Passchier Secrétaire confédérale de la Confédération européenne des syndicats lors d’un colloque sur les discriminations, tenu à Lyon le 28 septembre 2006 : « La position des syndicats a parfois été ambiguë. D’une part, ils ont exigé l’égalité des droits sociaux et économiques entre travailleurs immigrés et locaux, non seulement parce que cela était juste, mais aussi comme moyen stratégique pour s’opposer à la concurrence entre les différents groupes de travailleurs et combattre l’exploitation des groupes les plus faibles par les employeurs. D’autre part, les syndicats ont aussi adopté une attitude défensive face à l’immigration, réclamant un contrôle officiel restrictif, et exigeant d’être protégés contre la concurrence des marchés du travail et le « dumping » social »
Une égalité des droits théorique
La posture s’accompagne donc d’ambiguïtés, symptomatiques de difficultés à affronter crise de l’emploi, mondialisation et solidarité effective. Schématiquement, le mouvement syndical balance entre d’une part, l’exigence de droits sociaux et économiques entre travailleurs immigrés et locaux et d’autre part, une attitude de repli : dénonciation du travail clandestin, revendication de contrôles officiels restrictifs. Dans le premier cas, la logique est inclusive ; dans le second, elle s’adosse à une logique d’exclusion. Bien évidemment, les choses ne sont jamais aussi clairement dites ou posées par les acteurs syndicaux. Mais c’est bien cette tension que l’on voit à l’œuvre d’un bout à l’autre de l’Europe, en fonction des traditions, du moment économique, du contexte politique.
On distinguera ainsi, très schématiquement, la tradition méditerranéenne, où la proclamation de l’égalité des droits entre nationaux et migrants a souvent été totale, mais de pur principe, l’application étant renvoyée à d’hypothétiques luttes d’ensembles. La tradition nordique, plus pragmatique, qui milite pour des droits sociaux et économiques aux migrants mais s’accommodant de conditionnalités. Dans la dernière période, le phénomène migratoire s’avérant non pas comme un effet pervers mais comme un phénomène central des mutations économiques, ces cartes ont été redistribuées dans le sens de pratiques plus offensives et plus inclusives.
Des sans-papiers recrutés légalement
Ainsi les organisations syndicales aussi bien de la Suède que du Portugal ont soutenu le droit de vote et l’éligibilité des immigrés aux élections locales et européennes. De même celles d’Espagne ont d’abord porté la reconnaissance du droit à l’organisation syndicale pour finir par exiger la régularisation des travailleurs clandestins. Passant ainsi d’une demande de respect du droit à une demande d’alignement du droit sur la réalité sociale. (Non sans quelques grincements de dents des associations de migrants, dépossédées de fait de leur « fond de commerce). Ce basculement vers une logique de régularisation a été largement porté par les fédérations syndicales européennes de la construction et de l’agriculture. Il a également été renforcé de la multiplication d’affaires du type de celle de Saint Nazaire, ou plus récemment encore en France de la Sogebat. Là, les « sans papiers » classiques deviennent des accords recrutés « légalement », par le biais d’agences intérimaires et de sous-traitants, et employés dans des conditions très souples et précaires qui souvent, couvrent la durée de la mission sans précision de date. Ce cadre permettant tous les abus à l’égard du droit du travail, des conventions collectives, des obligations sociales.
Pierre Tartakowsky
Rédacteur en chef d’Options UGICT CGT
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