par CSI
Le droit syndical roumain a été profondément modifié depuis la révolution de 1989. Il fait largement appel à la loi mais aussi aux tribunaux
Le panorama, qui suit, est tiré de l’étude publiée par la Confédération syndicale internationale (CSI) et commenté par Liviu Apostoiu, vice-président de la fédération métallurgique de la confédération nationale CARTEL-ALFA selon lequel la loi est encore restrictive s’agissant de la création d’un syndicat ou du droit de grève ; il en va de même de l’effectivité des lois relatives à la discrimination antisyndicale comme on a pu le vor avec l’installation de Nokia délocalisant son usine de Bochum dans la région de Cluj en Roumanie (cf. Metis).
- Libertés syndicales en droit
La loi syndicale de 2003 reconnaît le droit des travailleurs de constituer des syndicats et d’adhérer au syndicat de leur choix. Ce droit s’applique à tous les travailleurs, à l’exception du personnel gouvernemental de haut niveau et des fonctionnaires, des procureurs publics, des juges, du personnel militaire et du personnel des services de renseignements et de la police. Aucun travailleur ne peut être contraint de quitter ou d’adhérer à un syndicat.
La loi requiert un minimum de 15 adhérents pour former un syndicat. Ceux-ci doivent appartenir au même secteur d’activité, mais pas à la même entreprise. De fait, le syndicat est extrêmement souvent un syndicat d’entreprise et cela n’est pas sans poser problème. Liviu Apostoiu nous indique que l’enregistrement du syndicat n’est pas une simple formalité : « le dossier de création complet doit être envoyé au tribunal qui décide, ou pas, de le reconnaitre. En outre, le syndicat doit se doter d’un bureau exécutif dont les membres et en particulier le président sont soumis à d’intenses pressions de la part des employeurs ».
Restrictions au droit de grève : Le droit de grève est reconnu. En cas de grève, les travailleurs des services de la santé, des pharmacies, des écoles, du secteur des communications, de la radio et de la télévision, du transport et des services essentiels (gaz, électricité), etc. doivent fournir un service minimum correspondant à un tiers de l’activité normale.
Une grève ne peut avoir lieu que si tous les autres moyens de conciliation possibles ont échoué. L’employeur doit recevoir un préavis de 48 heures. Une grève ne peut avoir pour but que la défense des intérêts économiques des travailleurs et ne doit pas être utilisée à des fins politiques. Les mêmes catégories de personnes à qui il est interdit de former un syndicat ou d’y adhérer n’ont pas le droit de faire grève.
Les grèves sont traitées comme illégales si une convention collective existe, même dans le cas où le conflit concernerait un aspect qui n’est pas couvert par l’accord en place et même si l’employeur refuse de mener des négociations avec le syndicat concernant le nouvel aspect en question. Une proposition a été soumise au Parlement en vue de changer la loi, pour permettre certaines grèves pendant la validité de la convention collective. Les grèves peuvent également être déclarées illégales au motif d’irrégularités de procédure. Dans le cas où une grève serait déclarée illégale, le dirigeant syndical peut être licencié légalement, même si la grève est interrompue immédiatement à la suite de la déclaration d’illégalité. Si un tribunal déclare une grève illégale, le syndicat doit payer des indemnités.
Négociation collective : Le droit à la négociation collective est reconnu par la loi de 1996 qui dit que les conventions collectives doivent être renouvelées chaque année. L’État ne peut pas intervenir dans le processus de négociation collective. La législation n’exclut aucun secteur de la négociation collective. Toutefois, la négociation de conventions collectives est strictement limitée aux lieux de travail ayant une main-d’œuvre supérieure à 21 employés.
Les employés de la fonction publique peuvent négocier sur tous les sujets, à l’exception des salaires qui sont fixés par le gouvernement.
Protection contre la discrimination : La discrimination antisyndicale est proscrite par la loi. La nouvelle législation sur les syndicats renforce la protection des dirigeants syndicaux. Pendant son mandat ainsi que pour une durée de deux ans après la fin de ce mandat, on ne peut mettre fin pour des raisons injustifiées au contrat d’emploi d’un dirigeant syndical, à moins que le comité supérieur élu du syndicat n’ait donné son accord. Des sanctions pénales peuvent être imposées en cas d’entrave aux activités syndicales, bien que cela n’ait pas encore eu lieu dans la pratique.
Pas de tribunaux du travail : En réponse à une revendication des syndicats visant l’établissement de tribunaux spécialisés chargés de traiter les conflits professionnels, le gouvernement a préparé un projet de loi à cet effet et a promis la mise en place de nouveaux tribunaux du travail pour fin 2004. Toutefois, aucun tribunal du travail n’a été créé à ce jour. Les différends du travail ont continué d’être traités par des panels spécialisés dans le cadre du système judiciaire normal. Néanmoins, les experts en législation du travail représentant les organisations d’employeurs et de travailleurs au sein de ces panels peuvent seulement donner une opinion, mais leur avis n’est pas contraignant pour le tribunal.
- Libertés syndicales dans la pratique
Entrave à la syndicalisation : Dans la pratique, le droit de former des syndicats n’est pas toujours respecté. Certains employeurs essaient d’entraver la création de syndicats dans les entreprises et mettent même les travailleurs en garde contre toutes discussions à propos de la syndicalisation avec des personnes extérieures. De nombreux employeurs auraient créé des syndicats jaunes. Dans certains cas, l’employeur cherche à éliminer les syndicats indépendants, ce qui est punissable par la loi mais difficile à prouver. En outre le Conseil des investisseurs étrangers a exercé une pression en faveur d’une réforme de la législation du travail qui faciliterait les licenciements et affaiblirait le droit de négociation collective des syndicats et Liviu Apostoiu nous rappelle que « Nokia, non content de délocaliser en Roumanie pour profiter de ses bas-salaires, a également demandé au ministre du travail une révision de la législation sur les CDD, trop contraignante à ses yeux ».
Il a été signalé que les employeurs les plus opposés aux syndicats (généralement des entreprises étrangères) conditionnent le recrutement à la promesse du travailleur de ne pas créer de syndicat ni d’y adhérer. D’autre part, il arrive que des employeurs s’abstiennent de fournir aux syndicats des locaux, des télécopieurs ou des téléphones et, de surcroît, les privent d’accès aux informations économiques et sociales. Si un dirigeant syndical perd son emploi mais garde sa fonction syndicale, les employeurs ignorent souvent la loi en le privant d’accès au lieu de travail lorsqu’il souhaite rencontrer les membres.
Les indépendants peuvent perdre leur travail s’ils essaient de former un syndicat ou d’adhérer à une organisation syndicale.
Négociation collective hasardeuse : De nombreux employeurs nient le droit de négociation collective et s’abstiennent de conclure des conventions collectives avec les syndicats. D’autre part, un grand nombre de conventions collectives ne sont pas appliquées. En 2006, plusieurs employeurs ont refusé d’entreprendre des négociations annuelles sur les salaires, le temps de travail et les conditions de travail. Les Conseils territoriaux du travail ont refusé d’enregistrer les demandes de conciliation soumises par les syndicats dans ces entreprises. En l’absence d’une conciliation, les syndicats ne peuvent lancer une grève légale.
Application limitée du Code du travail : D’une part, le nombre limité de panels judiciaires chargés à l’échelon du district des conflits collectifs et d’autre part, le fait que les experts en législation du travail ne peuvent qu’émettre des avis et non des décisions contraignantes, ont compromis la résolution des conflits professionnels et l’application des dispositions visant à la protection des droits syndicaux. Les employeurs ont rarement été sanctionnés par les tribunaux pour leur comportement antisyndical. L’augmentation promise du nombre de panels de spécialistes ne s’est pas matérialisée, mais la qualité et la rapidité des jugements portant sur des conflits du travail se sont, dit-on, améliorées en 2004.
Claude-Emmanuel Triomphe avec la CSI
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