par Pierre Tartakowsky
Depuis 1977, la journée internationale des femmes – le pluriel a ici son importance – remplit une fonction d’alerte. Et elle la remplit bien.
On le mesure à la masse de publications, enquêtes, articles et tables rondes dont il est à la fois prétexte et objet. Ainsi a-t-on accumulé, tout au long de ces trente et une années, une véritable somme d’informations et d’intelligence sur le genre, les inégalités, les discriminations, parois de verre et autres mécanismes de perversion du principe d’égalité. D’où il ressort que l’égalité entre les sexes ne cesse de progresser mais à la façon de l’horizon : toujours en vue, jamais atteint.
Nul doute qu’il ne faille continuer et approfondir ce travail d’enquêtes, tant il demeure nécessaire de savoir pour modifier les termes du réel.
Reste qu’il faut s’interroger ; comment et pourquoi une telle montagne d’intelligence n’accouche-t-elle en France que de si médiocres résultats ?
La représentation des femmes au plan politique ? Elle demeure, c’est le cas de le dire, de l’ordre de la … représentation ! Le monde syndical, malgré d’honorables décisions touchant à la composition paritaire de ses instances, reste massivement masculin. Dans les entreprises, les cadres dirigeants de sexe féminin sont célébrés avec un faste qui ne s’explique justement que par leur caractère d’exception. Ainsi la France politique, économique et sociale est-elle sinistrée en ses femmes et un certain ordre patriarcal continue de dominer alors même que les politiques publiques, les corps intermédiaires et les décideurs économiques le stigmatisent.
Dans quels sombres terreaux ce désolant hiatus puise-t-il les forces nécessaires à sa résistance ?
Sans doute dans le mélange fertile des traditions, habitudes, lassitudes et difficultés auxquelles se heurtent les énergies de réforme et dont les politiques d’entreprise comptent au rang des matrices les plus prolifiques et les plus perverses. Car le discours managérial, sous couvert de célébrer la promotion et la réussite des femmes, n’exalte au fond que ses propres valeurs de performance, indûment construites – au travers d’ exemples individuels – comme qualités de genre. Les femmes sont donc consacrées comme étant « aussi ». Aussi capables de travailler sans compter leurs heures ; aussi capables de prolonger les réunions du soir, et de les poursuivre, simple question de convivialité, à l’annexe du coin de la rue ; aussi capables d’intégrer les contraintes du marché ; aussi capables de mettre en œuvre les retombées de ces mêmes contraintes… Et d’en tirer la conséquence qu’elles sont bien, légitimement, égales des hommes.
On ne saurait imaginer une légitimation plus manipulatrice ni plus fragile. Cette capacité de « performance » ne sera jamais un fait majoritaire ; l’entreprise, ses horaires, ses organisations et ses implicites restent fondamentalement masculins. D’autant que les salariés hommes en tirent des bénéfices secondaires, suffisamment importants, pour qu’ils s’offrent le luxe confortable d’un « non agir » vis-à-vis d’un état de fait dont « les directions » sont responsables… Super woman a donc de beaux jours devant elle. Les autres femmes, celles du banal, du quotidien, devront se dépêtrer avec une somme de difficultés telle que leur « performance » ne pourra garantir une quelconque égalité de réussite. Mais les apparences seront sauves.
Ce modèle souriant selon lequel l’égalité se mérite est ontologiquement inégalitaire. L’égalité ne se mérite pas ; elle constitue un droit fondamental, par nature non négociable. Revisiter les mécanismes du Travail – qu’il soit industriel, de services, sur le terrain de la représentation citoyenne – de ses organisations, ses temps et ses outils de reconnaissance, voilà qui constituerait une rupture dynamique ; et préparerait sans aucun doute des 8 mars d’une tout autre qualité. Au travail ?
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