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Alors que la rigueur fait fureur en Europe, que de nombreuses polémiques fusent sur son caractère proportionné, de nature ou pas à compromettre la reprise, sur son équité sans parler de son caractère peu concerté, Metis continue d’approfondir son dossier sur les patronats en Europe, sujet qui curieusement fait l’objet de beaucoup moins d’études, de discussions  approfondies que celui du syndicalisme. Nous ne parlerons pourtant pas de Mme Bettencourt, grande actionnaire de l’Oréal aux actions si convoitées par Nestlé et figure de proue d’un patronat français aux intérêts qui croisent tant ceux de l’Etat, comme nous le montre Jean-Claude Daumas, co-auteur du dictionnaire historique du patronat français. D’autres événements nous poussaient à le faire: la dernière assemblée générale du MEDEF, principale organisation des patrons français, qui vient de renouveler le mandat d’une présidente pourtant  contestée, une légitime interrogation sur les transformations du monde patronal au moment où la globalisation bat son plein et, bien entendu, une période historique où, en apparence du moins, la force du monde patronale n’a jamais paru aussi grande. Et la faiblesse syndicale aussi manifeste.

 

 

Des patronats hétérogènes aux histoires toujours très prégnantes

En France, l’histoire d’un (grand) patronat très lié aux familles et à l’Etat reste très prégnante. Mais le monde patronal est bien plus hétérogène qu’on ne le pense. Un tour de ses instances et lobbies à Bruxelles, notamment allemands, suffit pour le constater. Il ne s’agit pas seulement de concurrences idéologiques, comme il en existe chez les syndicats, mais de contradictions parfois très profondes, par exemple entre grandes et petites entreprises -voyez le témoignage d’un patron de PME sous-traitante et l’appel québécois pour en finir avec les ateliers de misère– entre économie marchande et économie dite « sociale », entre industrie et services… Il s’agit aussi de fonctions très diverses. Michel Offerlé caractérise ainsi les 5 fonctions patronales : économiques, techniques, servicielles, sociales et sociétales. On pourrait en mentionner une 6ème, encore vivace chez nos voisins helvétiques qui, exemptés des règles de libre concurrence à la mode européenne, assument encore une fonction de cartel, et donc d’entente sur les prix et les marchés. Pour ne rien dire des patronats d’Europe centrale qui cherchent toujours leur voie mais dont la dénomination est parfois stupéfiante : que la principale organisation polonaise ait choisi pour nom Léwiatan -soit celui d’un monstre colossal, aux formes imprécises capable de modifier la planète, et d’en bousculer l’ordre et la géographie- pourrait peut-être relever d’une forme subtile d’humour… mais est-ce si sûr ?

 

Ces fonctions sont donc assurées par des organisations elles-mêmes très diversifiées et dont les rapports à la puissance publique sont beaucoup plus étroits que les discours libéraux porteraient à penser. Il y a bien sûr l’engagement politique des patronats -là encore l’exemple suisse est éclairant- mais bien au-delà la cogestion de certaines règles techniques, ou bien encore le rôle des Chambres de Commerce dans de nombreux pays européens en termes de services rendus au monde patronal, s’imiscent enfin des think-tanks, des écoles qui forment les élites dirigeantes etc.

 

Bref la fonction de négociateur social, souvent privilégiée par les médias, est à relativiser. Certains patronats d’ailleurs l’ont tout simplement refusée, c’est le cas du CBI britannique, et on lira avec intérêt les différences qui existent entre la notion d’employeur des deux côtés de la Manche. Cela vaut  aussi jusqu’à un certain point pour ses homologues nordiques ou germaniques qui rechignent à entrer dans des négociations interprofessionnelles, à l’échelon national et donc a fortiori européen. Sous cet angle-là, le patronat français est une sorte de gauchiste sur l’échiquier européen du fait de son engagement de longue date en faveur de règles et de négociations sociales à l’échelle du continent !

 

Une hyper présence, c’est une hyper responsabilité

Signe des temps : nombre d’organisations sont passées d’une représentation des patrons à une représentation des entreprises, voire de l’économie toute entière – là encore voyez la Suisse ! – un vrai hold-up qui n’a pas éveillé la moindre protestation syndicale. De nombreux signes attestent d’une nette supériorité du mouvement patronal actuel avec des taux d’affiliation parfois très élevés, comme le montre bien Paolo Tedeschi en Italie, et capable de dicter des agendas sociaux forts : temps de travail, règles de ruptures des contrats etc. Ceci dit, les historiens vous diront que cela n’est pas nouveau, que ce fut déjà le cas, notamment entre les deux dernières guerres mondiales. Comparaison n’est pas raison. Cependant le rapport de forces ne serait-il pas d’une nature semblable à celui qui est en train de se tisser entre la Chine et le reste du monde ? Avec un colosse certes, mais aux pieds d’argile, tant les contradictions mais aussi les responsabilités qu’il porte sont lourdes ? Car le corollaire d’une hyper présence c’est une hyper responsabilité ; en d’autres termes le monde patronal voit venir vers les entreprises des demandes sociales et sociétales qui en d’autres temps se seraient dirigées vers l’Etat, le monde associatif, les familles ou les individus eux-mêmes.

 

Une deuxième série d’interrogations touchent à la nature des fonctions exercées et à leur effet miroir sur le monde syndical. Face aux cinq grandes fonctions assumées par les organisations patronales, le syndicalisme ne peut en aligner au mieux que deux aujourd’hui : celle de négociateur social et, parfois, celle de production de services aux adhérents, notamment chez nos amis nordiques ou belges -enfin tant qu’il y a une Belgique ! Bref, une refondation du syndicalisme à l’échelle nationale ou transnationale, comme cela se discute dans certains congrès syndicaux, ne passe-t-elle pas par une réflexion sur d’autres fonctions -techniques, éducatives, professionnelles voire économiques- et d’autres formes organisationnelles ?

 

Le vrai défi, semblable pour l’ensemble des « interlocuteurs sociaux » comme les appellent les Espagnols, est celui d’une véritable internationalisation. Ni BusinessEurope, ni la Confédération européenne -ou internationale- des syndicats n’ont de vrais moyens, ou de vrais mandats pour aller au-delà du plus petit dénominateur commun. Ce faisant, ils ne sont guère à la hauteur des enjeux et il semble même qu’au fur et à mesure que la globalisation progresse, les replis nationaux s’accentuent.

 

Les patronats valent donc bien plus que la perception souvent réduite que nous en avons. Ils ont beaucoup de choses à nous apprendre.Sur ce, bonnes vacances à celles et qui ceux qui partent. Mais si vous avez un instant, retrouvez Metis tout au long de l’été…

 

 

 

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