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Faut-il de nouvelles législations ?

Ampoule Europe

Dans la plupart des séminaires ainsi que dans l’atelier européen final, les responsabilités et les actions relevant des pouvoirs publics ont fait l’objet de débats approfondis. La question de la santé dans les restructurations interpelle, du moins en partie, la législation et le cadre des relations industrielles, tant aux différents niveaux nationaux qu’au niveau européen. Jusqu’à présent les inspections du travail ont brillé par leur absence dans ce domaine. Et même lorsqu’elles édictent des recommandations ou des conseils, comme au Royaume-Uni, sur la façon de traiter le stress sur le lieu de travail et qu’elles essayent de se référer aux effets potentiellement délétères des restructurations, dans les faits peu d’entreprises ont pris des mesures pour régler ce problème.

Les débats ont suivi plusieurs directions :

– Une législation nouvelle est-elle nécessaire et à quel niveau ? Comment mieux appliquer la législation existante et comment faire en sorte que la législation sur la santé au travail soient mieux harmonisée avec les législations sur les licenciements collectifs, sur l’information et la consultation ?

– Quand les pouvoirs publics jouent un rôle dans les licenciements collectifs, n’est-il pas possible d’accorder plus de place au problème de la santé ? Dans quelle mesure les politiques récentes favorisent-elles la négociation des plans sociaux et la prise en compte de la santé dans les restructurations ?

– Les inspections du travail sont-elles prêtes à jouer un rôle dans la détection des risques psychosociaux : sont-elles qualifiées ? Comptent-elles parmi leurs priorités les effets délétères des risques contemporains, y compris ceux liés aux restructurations ?

– Si une nouvelle réglementation doit être adoptée, comment prendre en considération les salariés temporaires, les indépendants, les sous-traitants, presque totalement laissés de côté par des législations sur les licenciements collectifs qui ne s’intéressent qu’aux CDI ?

– Quel rôle dévoluer aux administrations territoriales et comment encourager leur implication active afin de générer des solutions systémiques répliquables ? Qu’en est-il de la santé dans les agences et les services pour l’emploi ?

 

 

L’actualité grandissante des restructurations dans le secteur public

Aujourd’hui les restructurations dans le secteur public (certaines ayant recours aux licenciements ou au gel des salaires) sont à l’ordre du jour dans de nombreux pays en raison des modernisations administratives, de la poursuite des privatisations, et bien entendu du poids de la crise et de la dette publique. Ceci explique pourquoi les administrations publiques de divers secteurs – santé, éducation, services postaux, chemins de fer, services fiscaux – sont en cours de restructuration majeure dans plusieurs pays ou le seront probablement bientôt dans d’autres.

 

Toutefois dans le secteur public, les restructurations sont un phénomène tout à fait nouveau et souvent les mauvais aspects du secteur privé sont transférés sur le secteur public (contrôle et documentation, notamment). Souvent seuls les aspects négatifs sont mis en œuvre, ce qui crée une mauvaise image des administrations publiques. Les conséquences sur la santé de tels changements ne sont pas prises en compte. Pourtant, on observe les mêmes symptômes que dans le secteur privé. Alors que le secteur public a réellement besoin de développer une approche socialement sensible face aux restructurations, il en est bien loin pour le moment. En France, la Poste, Pôle Emploi ou France Telecom, en sont des exemples patents.

 

Services de santé travail entre absence et « surmédicalisation »

Une restructuration convenablement menée ne passe pas d’abord par des mesures en faveur de la santé car le risque serait de « médicaliser les restructurations », et dans certains pays l’on assiste à une multiplication de l’aide médicale et psychologique.

Mais les services de santé au travail ne peuvent pas pour autant être absents de ces périodes cruciales pour la santé des personnes, alors qu’aujourd’hui rares sont ceux qui sont qui s’y impliquent. Dans certains pays comme l’Espagne, la Pologne, le Royaume Uni la prévention des risques est en grande partie entre les mains d’entreprises privées, ce qui conduit à une guerre des prix entre les compagnies de prévention externes et se traduit par une moindre qualité des services fournis. Un peu partout, le système d’évaluation des risques s’est largement focalisé sur les risques d’accidents et sur les emplois traditionnels. Aussi, paradoxalement, plus l’effet des restructurations est délétère, moins la santé est prise en compte.

Lors des restructurations, les spécialistes de la santé au travail pourraient servir de médiateurs, bien que leur rôle soit parfois ambigu et que leur indépendance soit loin d’être toujours garantie. Et si des salariés n’ont pas confiance dans les services de santé et de sécurité au travail, ce problème doit être alors être discuté publiquement. Formés de manière adéquate, ces services peuvent être tout à fait capable d’évaluer l’impact des différentes mesures sur la santé. Enfin, l’auto-support et l’aide que peuvent s’apporter entre eux les salariés n’est pas à négliger : nombre de blogs, d’associations ou de clubs de victimes des restructurations permettent à des ex-salariés de maintenir entre eux un lien social et de contribuer à quelque chose qui leur « permet de tenir bon ».

 

Repenser les politiques d’emploi et de flexicurité ?

Les conséquences des restructurations sur la santé remettent en question les approches traditionnelles en matière d’emploi, y compris celles qui s’appuient sur une meilleure employabilité et sur plus de flexicurité. Il faut repenser le nouveau paradigme européen selon lequel la flexicurité favoriserait et augmenterait l’employabilité tant celui-ci tend à transférer aux salariés le fardeau de leur employabilité lors des transitions professionnelles et des changements d’emploi. Généralement, la flexicurité ne fait aucune référence au bien-être ou à la conciliation de la vie professionnelle ou personnelle, à la santé au travail ou à la santé mentale ou bien encore à la nécessité que les changements s’accomplissent dans des atmosphères de « confiance ».

Il est nécessaire d’appréhender l’emploi de manière beaucoup plus globale et de ne plus faire l’impasse sur la flexibilité de l’entreprise et l’abus des emplois précaires ; la rupture des « contrats psychologiques » entre les entreprises et les salariés « restructurés » ; le juste équilibre à observer entre responsabilités collectives et responsabilités individuelles d’autre part, ces dernières étant souvent trop sollicitées en matière de santé. Il faut prendre en compte aussi le fait que les salariés préfèrent souvent les indemnités de licenciement à des mesures de soutien au reclassement et à l’employabilité. Notamment parce que les processus de restructuration sont inadaptés aux besoins des entreprises et à ceux des individus.

Espérons que la « machine européenne » aura ici quelques vertus et que les Etats-membres se serviront de ces conclusions d’experts pour réorienter leurs politiques en matière de conduite des restructurations. Vœu pieu ? Ce n’est pas si sûr. Car quand il s’agit de santé, les choses peuvent parfois bouger rapidement.

 

 Lire le rapport HIRES et la video

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