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par Marianne Richard-Molard

Exposition universelle oblige, voici quelques impressions sur la Chine du travail, glanées lors de l’une des conférences. C’est certes bien peu pour prétendre tirer des enseignements significatifs, et pourtant, sans être expert, ni savoir sur ce qui se passe dans ce pays qui a la taille d’un continent et affiche l’ambition insolente de surpasser tout le monde, voici ce que je retiens.

 

travailleurchinois

Primo, les dirigeants veulent préserver l’unité politique du pays en maintenant un parti unique fort et un contrôle à tous les niveaux. Secundo, ils veulent éviter à tout prix l’explosion sociale en développant un système de droits élémentaires non-discriminatoires au bénéfice des populations rurales qui en sont actuellement exclues. Tertio, il faut réduire les écarts de développement entre les régions pour maîtriser les flux migratoires à l’origine des grèves. Trois défis pour les 10 ans à venir !

 

Internet a tout changé en Chine et la vitesse de transmission des milliers d’événements quotidiens révélés à tout un chacun par les smartphones, la presse, mais aussi les sms, les twitt et la télé, modifient la donne en profondeur : accidents hebdomadaires dans les mines, kidnapping d’enfants associé à un trafic de main d’œuvre pour alimenter des activités industrielles illégales, inondations, grèves et manifestations… Chaque drame a sa résonnance propre que ce soit à l’échelle de l’entreprise, du pays, ou du globe. Il serait vain de prétendre y échapper, la seule attitude possible reste de faire face à ses responsabilités.

 

À en croire la rhéthorique du gouvernement, comme l’enjeu économique détermine le sort de la « Nation », il faut à présent privilégier un développement social harmonieux. Est-ce une manière de revenir aux fondamentaux de l’enseignement de Confucius ?

 

Esquisse d’un nouveau rapport de force

Dans les années 1980, sous Deng Xiaoping, l’injontion du « enrichissez-vous » a encouragé l’exode rural. Au cours des décennies, l’instabilité sociale s’est accrue à cause des migrants, cette « floating population » (population flottante) n’ont pas les mêmes droits sociaux que les urbains ; où plutôt ceux qu’ils ont pu acquérir dans leur Province d’origine ne leur sont pas attachés ; autant dire qu’ils les perdent. Cette situation discriminante ne peut perdurer.

 

De plus, la deuxième génération de migrants : enfant unique choyé et qui aspire à intégrer une société de consommation, n’entend plus revenir au pays comme leurs parents l’avaient fait; elle souhaite s’installer durablement dans les centres urbains, y vivre dignement ce qui suppose de bénéficier aussi des fruits de la croissance à deux chiffres affichée par les entreprises, car crise ou pas crise, cette croissance n’en est guère affectée.

 

Les rapports sociaux étant organisé a minima, personne ne peut les représenter ni défendre leurs intérêts qui relèvent parfois davantage des droits fondamentaux (être payés à temps pour leur lot considérable d’heures supplémentaires), que des simples conditions de travail, ou des hausses de salaire. Le syndicat unique n’a actuellement ni légitimité, ni savoir-faire stratégique. Ce sont donc eux qui s’organisent spontanément pour dessiner un nouveau rapport de force.

 

Ces actions, sans être nouvelles en soi, sont à présent autorisées et diffusées. La technologie le permet, et c’est politiquement souhaitable. Il s’agit maintenant d’en maîtriser au mieux l’impact sur la croissance économique qui ne doit pas en pâtir puisqu’elle détermine à la fois l’évolution de la consommation intérieure et le soutien de la demande extérieure par la maîtrise des coûts de production.

 

Les médias se sont focalisés sur les pratiques d’entreprises à capitaux étrangers ; pourtant, elles sont loin d’offrir les conditions de travail les plus mauvaises. La presse est un moyen d’enjoindre les patrons chinois à prendre conscience de leurs responsabilités et à anticiper !

 

 

L’inspection du travail renforcée

Des Chinois responsables de questions de sécurité au travail ont attiré mon attention sur plusieurs faits, suscitant de nombreux questionnements.

 

Dans les années 2006/2007, la Chine a mis en place un corpus législatif de droit du travail considéré comme très complet. Parallèlement, une loi de 2004 organise les deux services d’inspection du travail d’Etat dans les 22 provinces, cinq régions autonomes et deux régions administratives spéciales (Hong-Kong et Macao).

 

D’un côté, l’inspection de la sécurité au travail (on ne peut pas encore parler de la santé) compte 43 000 fonctionnaires. Elle est rattachée à l’administration d’Etat de la Sécurité au travail. De l’autre, l’inspection du travail est rattachée au Ministère des Ressources humaines (qui a fusionné en 2008 avec celui de la Sécurité sociale). Elle est en charge du contrôle des contrats, du versement des salaires et charges sociales, du respect du salaire minimum et de la durée du travail… avec 23 000 fonctionnaires.

 

Certes, l’habit ne fait pas le moine ! Les autorités le reconnaissent. Le BIT a identifié les carences et axes de progrès dans un rapport dont les orientations n’ont pas donné lieu à amendement par les autorités chinoises. Les préconisations les plus significatives portent sur :

 

– La mise en place de formations pour les inspecteurs du travail, afin qu’ils s’approprient les fondamentaux de la mission de contrôle, l’exercent de façon professionnelle (développent une « vertu professionnelle » dont on comprend bien ce qu’elle sous entend) ;

– Une organisation de l’activité qui doit désormais se développer sur les entreprises chinoises alors qu’elle se concentre actuellement sur les entreprises à capitaux étrangers (N.B si un accident survient dans une entreprise qui a fait l’objet d’une « visite détaillée » de l’inspecteur du travail, sa responsabilité civile peut être engagée ; d’où la prudence qui amène à concentrer les visites vers les entreprises les mieux outillées sur l’application du droit : généralement celles à capitaux étrangers.)

– La mise en place d’une stratégie pro active et non plus seulement défensive par des campagnes d’informations et de prévention, pour faire prendre conscience aux employeurs de leur responsabilité dans l’application du droit.

– Repenser le rôle des représentants des personnels syndiqués : comment faire en sorte que ce million de salariés puisse jouer un rôle de relais autant dans les relations avec l’inspection du travail qu’avec l’employeur pour l’amélioration des conditions de travail.

 

Dans une intervention publique, un représentant de l’administration du travail reconnaissait que « la Chine est encore à un stade initial de la construction d’un développement qui doit trouver son juste équilibre entre les enjeux économiques et le respect de droits fondamentaux pour préserver la vie des travailleurs ».

 

Comme me le rappelait judicieusement ma voisine chinoise, il faut replacer ces reflexions au vu du contexte culturel chinois« Chez vous c’est d’abord l’individu, puis la famille, l’Etat et enfin le Pays. Chez nous, c’est exactement l’inverse. Peut-être que cela pourra vous aider à décoder deux ou trois choses ! »

 

 

 

 

 

 

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