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Alors que le Sénat examine le projet de loi sur la réforme des retraites, le mouvement social se durcit. Le projet de loi devrait être soumis à un vote bloqué ce vendredi 22 octobre avant de revenir devant le Parlement pour un vote définitif. Un amendement voté dans la nuit de mercredi à jeudi, propose de réouvrir la réforme, cette fois systémique en 2013… Quelle vision à long terme ! Retour sur deux points souvent biaisés du débat : l’âge et le financement du système.

 

 

greve retraite

L’âge : faux paramètre ?

L’âge légal d’ouverture des droits à la retraite, critère qui a pu sembler focaliser tous les débats, est fixé à 62 ans. Un assuré ayant cotisé suffisamment pour bénéficier d’une retraite à taux plein, pourra partir à la retraite à partir de 62 ans. L’âge de la retraite à taux plein pour tous, quelle que soit la durée de cotisation est reporté de 65 à 67 ans (progressivement). L’âge de la mise à la retraite d’office sollicitée par l’employeur reste de 70 ans.

 

« Peut-on revenir sur la retraite à 62 ans ? » se demande Elsa Fayner sur son blog Et Voilà le travail. Oui, car la Constitution permet au Président et au gouvernement de revenir à tout moment sur cette mesure emblématique. Il reste quantité de possibilités constitutionnelles pour modifier, amputer le texte ou carrément l’enterrer jusqu’à la promulgation du texte qui devrait intervenir vers la fin novembre : une seconde délibération au Sénat, un retour à la case départ après la Commission mixte paritaire (CMP), un amendement lors du vote après la CMP, un refus du texte de la CMP par le Parlement, un abandon du texte par le gouvernement, une deuxième délibération demandée par le Président, une loi «patch».

 

Pourquoi le débat se focalise sur l’âge ? Parce que l’espérance de vie « en bonne santé » d’un ouvrier en France est de 63 ans. Le peu de retraite qu’ils auront, ils seront malades.

 

« Nous sommes le seul pays d’Europe à avoir autant de critères : la durée de cotisation et l’âge légal, explique Anne-Marie Guillemard, sociologue. Si vous n’avez pas vos annuités, vous subissez de nombreuses décotes, si vous avez une durée de cotisation pleine, les surcotes sont de 10% seulement ». Sachant qu’en moyenne la sortie du marché du travail est de 58,7 ans en France, le déficit des retraites « va se combler par le biais des décotes », donc des retraites plus faibles. « C’est problématique, car le taux de remplacement est déjà très faible », il évite tout juste de tomber dans la pauvreté. L’âge moyen des personnes qui liquident leur retraite a augmenté, il est de 61,5 ans. Mais 40% d’entre elles sont déjà sorties du marché du travail ! Que se passe-t-il pendant ces trois ans ? « Le plus souvent, les Seniors ont été poussés vers la sortie pour inaptitude, ou bien sont en maladie, au chômage, au RSA ». Le système D.

 

En France, une seule génération d’actifs est écrasée de travail. « L’enjeu n’est pas de fixer un âge légal, mais de donner des perspectives d’emploi et allonger la vie au travail. Pour le gouvernement, « c’est tabou, cela reviendrait à reconnaître que le Plan Emploi Senior de 2003 a échoué », remarque Mme Guillemard, qui présentait son livre Les Défis du vieillissement à l’AJIS. La France est bien loin du taux d’emploi moyen en Europe : 38% contre 50. « La segmentation du marché du travail par l’âge n’est plus pertinente. Il faut ouvrir des parcours de vie professionnelle, comme en Finlande avec une retraite à la carte dès 55 ans, des régimes transitoires avec incitation et bonus pour ceux qui reste en emploi. Un système similiaire permettrait d’avoir plus de cotisants et moins de retraités, mais quand on lit le rapport du COR, on comprend que la France y a renoncé ».

 

Le financement du système

Deuxième argument pour justifier une réforme menée tambour battant : la menace des agences de notations sur les dettes souveraines. Donc le financement. L’institut de statistiques européen n’est pourtant pas alarmiste. Il chiffre le surcoût des retraites en France à 0,5% du PIB entre 2010 et 2060.

 

graph retraites 2

 

 

Pourquoi ce « surcoût » est-il si faible en France ? Parce que le système des retraites pèse avant tout sur l’emploi. Le ratio retraités/cotisants (le rapport entre le nombre de personnes âgées et la population en emploi) passera selon les prévisions de 0,54 à 0,81 entre 2010 et 2050.

 

Ce ratio s’intitule : ratio de dépendance vieillesse. Cette augmentation de 50 % « ne signifie pas que la charge économique qui va peser sur les actifs va s’accélérer à ce rythme, loin de là, explique Jean Gadrey qui reprend l’analyse de Pierre Concialdi « Retraites, en finir avec le catastrophisme » (juin 2010) dans son article Retraites : le ratio qu’on vous cache. Car les retraités ne sont pas les seules personnes économiquement « dépendantes » des personnes en emploi. Les richesses produites par les actifs occupés sont aussi partagées avec les autres inactifs (jeunes ou moins jeunes) ainsi que les chômeurs ». C’est le ratio de dépendance économique. « Son évolution est bien moins forte – quatre fois moins précisément – que celle du ratio de dépendance vieillesse : + 13,5 % en 40 ans. Tout simplement parce que l’augmentation de la proportion de personnes âgées sera, en partie, compensée par la diminution de la proportion de jeunes. Chaque actif n’a pas à se préparer à « porter un sac à dos » plus lourd de 50 % pour les « non actifs », mais seulement de 13,5 %, et cela change fondamentalement la perspective.

 

Jean Gadrey cite également Christiane Marty dans le Halte au catastrophisme, qui démontre que des politiques d’égalité professionnelles vigoureuses pourraient aboutir à ce qu’il n’y ait aucune progression du taux de dépendance économique dans les prochaines décennies. Les femmes pourraient gagner plus pour cotiser plus…

 

Il nous laisse également méditer sur ces termes : « on avait déjà les « charges » sociales pour parler des cotisations sociales. On avait déjà les « prélèvements obligatoires » pour désigner ce que partout ailleurs dans le monde on appelle les recettes fiscales. On a inventé des ratios de « dépendance », histoire de bien nous faire comprendre que les retraités, les vieux, les personnes sans emploi et les jeunes sont un poids, une charge, un fardeau, qu’ils ne produisent aucune richesse, etc. Mais l’économie marchande et monétaire tout entière s’écroulerait en un jour si le travail domestique « non économique » n’était pas assuré, elle « dépend » elle aussi fortement de toutes les activités non rémunérées, de tous les liens sociaux qui l’entourent, de toutes les richesses autres que celles qui se vendent ou qui ont un coût en monnaie. Parlons de ratios socio-démographiques n’induisant pas de telles représentations alors qu’il est question de solidarité et d’interdépendance ».

 

 

Lire aussi :

Les débats au Sénat :

Jean Gadrey, Retraites : le ratio qu’on vous cache

Elsa Fayner, Et Voilà le travail

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