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L’aménagement du temps de travail est de retour. La présidence hongroise de l’Union récupère un projet empoisonné, celui de réviser la directive de 2003. Si les Etats membres, les partenaires sociaux et les partis politiques sont divisés, c’est bien sur le temps de travail. Il est pourtant urgent de trouver un compromis. La Commission consulte les partenaires sociaux depuis fin décembre. Pommes de discorde et enjeux.

 

48h

Bras de fer entre parlement et Commission

Pour comprendre, il faut revenir en arrière. En 2008, après quatre années de discussions, une tentative de révision de la directive 2003/88/EC intervient. Elle reprenait les principales dispositions de la directive originelle de 1993 : durée maximale de travail de 48h par semaine (en moyenne sur une période de 4 mois), repos quotidien de 11h, repos hebdomadaire de 11h +24h et, à la demande de la Grande Bretagne, possibilité de déroger à ces normes, « l’opt out ». La dérogation était dans le fruit, elle allait prospérer.

En 2008, l’opt out est au centre des débats. Cette formule permet d’échapper aux 48h et peut s’appliquer dès lors que le salarié donne librement son accord à l’employeur. L’opt out n’est assorti d’aucune limite au temps de travail, le projet de révision prévoit donc de plafonner la durée maximale hebdomadaire à 60 h ou à 65 h si « le temps de repos » est inclus, en d’autres termes le temps d’astreinte ou de garde effectué sur le lieu de travail. Mais la majorité des parlementaires européens souhaite la disparition progressive de l’opt out et l’inscription d’une date limite d’extinction dans la future directive. Les Etats membres sont divisés, les partisans de la dérogation l’emportent, le Conseil refuse la disparition de l’opt out.

Le temps de garde est également largement débattu à l’époque, la Cour européenne de justice a en effet statué à deux reprises sur le cas de médecins et l’a défini comme temps de travail (en 2000, l’arrêt SIMAP en faveur du syndicat des médecins du secteur public espagnol et en 2003 l’arrêt Jaeger, du nom d’un médecin allemand). D’autres professions sont concernées, routiers, pompiers, services publics … Faut-il distinguer les temps d’activité et de repos pendant la garde ? Le parlement exige que les temps de garde soient intégralement considérés comme du temps de travail, or la majorité des pays de l’Union est en infraction avec la jurisprudence et refuse d’assimiler temps de garde et temps de travail pour des raisons financières et organisationnelles notamment.

 

La présidence tchèque tente au 1er semestre 2009 un nouveau round de négociation. C’est l’échec, le parlement va refuser la révision proposée par la Commission. Une impasse dont il faudra bien sortir.

 

Etat des lieux actuel

La Commission, qui en vertu du traité de Lisbonne peut mener à l’échelon européen un temps de dialogue social, vient de lancer une seconde consultation des partenaires sociaux. Celle-ci est accompagnée d’un Rapport sur l’application de la directive 2003/88/CE. L’état des lieux, (réglementations nationales et pratiques), fait apparaître que deux questions essentielles restent problématiques, temps de garde et opt out.

Le temps de garde divise encore les Etats membres

Le rapport précise : « La République tchèque, la France, l’Allemagne, la Hongrie, les Pays-Bas, la Pologne, la Slovaquie et le Royaume-Uni, ont considérablement modifié leur réglementation ou revu leurs pratiques, pour se rapprocher des exigences énoncées dans les décisions de la Cour. Dans onze États membres, l’introduction de l’«opt-out » figurait au nombre de ces modifications. Compte tenu des informations disponibles, il semble que la législation nationale de neuf États membres prévoie que le temps de garde sur le lieu de travail est entièrement assimilé à du temps de travail, Chypre, République tchèque, Estonie, Italie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pays-Bas et Royaume-Uni. Il n’en reste pas moins que dans un nombre significatif d’États membres, les services de garde effectués sur le lieu de travail continuent de ne pas être considérés comme du temps de travail à part entière. »

 

Par ailleurs, des plaintes déjà anciennes (19) n’ont pas encore abouti. En Irlande et en Grèce, les jeunes médecins travaillent jusqu’à 90h par semaine. « Ces infractions sont en attente d’une révision de la directive » note le rapport laconique. Entre 2004 et 2009, la Commission avait suspendu les procédures d’infraction pour aider les États « à trouver une échappatoire légale », admet un fonctionnaire de la Commission.

 

L’opt out se développe… sans entraves

En 2000, le Royaume-Uni était seul à utiliser l’opt-out. Seize États membres le font à présent selon des modalités fort différentes d’un pays à l’autre. « Cinq États membres (Bulgarie, Chypre, Estonie, Malte et Royaume-Uni) permettent son utilisation, quel que soit le secteur. Onze États membres (Belgique, République tchèque, France, Allemagne, Hongrie, Lettonie, Pays-Bas, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Espagne) permettent (ou sont en train d’introduire) une utilisation plus restreinte de l’opt-out, limitée à des secteurs particuliers ou à des emplois qui comportent des périodes de garde fréquentes. »


« Certains États fixent des limites pour la durée hebdomadaire de travail moyenne des travailleurs visés par l’opt-out (de 51 heures en Espagne, à 72 heures – y compris les périodes de garde – en Hongrie). Sept États ne prévoient aucune limite explicite pour cette catégorie de travailleurs.
» Il semble également d’après le rapport de la Commission que la plupart des membres de l’Union ne prévoient aucun suivi ni enregistrement du temps de travail et, dans la majorité des cas, le consentement libre du salarié ne semble pas effectif. Difficile dans ces conditions de contrôler quoi que ce soit.

 

De l’usage abusif des dérogations

Si la durée maximale moyenne de 48 h, les périodes minimales de repos journalier ou hebdomadaire, les temps de pause en cours de journée ont en général été correctement transposés, l’encadrement des dérogations et leur usage pose question. Non seulement, les dispositions juridiques délimitant les dérogations sont insuffisantes, qu’elles soient européennes ou nationales, mais les pratiques de mise en oeuvre contreviennent fréquemment à des droits qui s’appliquent à tous les travailleurs, quelle que soit leur situation.

Par exemple, certains travailleurs en opt out sont exclus du droit aux périodes de repos. Certaines dérogations font totalement l’impasse sur l’octroi obligatoire de périodes de repos compensateur. Comme si l’exception devenant la règle, il n’était plus nécessaire de respecter les autres règles.

L’objet de la consultation

Cette consultation fait suite à une première phase de questionnement en 2010. Les propositions faites aujourd’hui aux partenaires sociaux tiennent compte des suggestions et des appréciations souvent incompatibles qu’ils ont pu formuler (BusinessEurope tient à maintenir l’opt out, la CES souhaite l’abolir à terme).

La Commission a donc limité le champ de la future révision à l’incontournable, la mise en conformité du droit et de la jurisprudence européenne et, éventuellement, d’ajouter des mesures destinées à mieux garantir la santé et la sécurité des travailleurs ou à simplifier la législation, mesures suggérées par le patronat ou par les syndicats. Elle invite les partenaires sociaux à exprimer leur point de vue sur l’alternative suivante : donner une portée étroite ou une portée plus large à la future directive.

 

La révision étroite ne porterait que sur le temps de garde et le repos compensateur

La consultation propose de :
– Reconnaître le principe selon lequel le temps de garde dans son intégralité, dès lors que le travailleur doit se tenir à la disposition de l’employeur sur le lieu de travail afin de rendre les services qui pourraient être requis, constitue du temps de travail et ne peut être considéré comme une période de repos. Toutefois, il est proposé d’instaurer une dérogation, limitée aux secteurs où la continuité de service est nécessaire, qui permettrait de comptabiliser les périodes de garde différemment (c’est-à-dire pas toujours sur une base horaire, mais selon un principe d’équivalence) sous réserve que certaines limites hebdomadaires ne soient pas dépassées et pourvu que les travailleurs concernés bénéficient d’une protection appropriée.

 

– Introduire de nouvelles dispositions afin de préciser la programmation des repos compensateurs journaliers et hebdomadaires…

 

La révision large propose d’ajouter :

– des mesures visant à mieux concilier vie familiale et vie professionnelle,
– une dérogation à la limite hebdomadaire de 48 h et aux périodes de repos pour les travailleurs autonomes,
– pour les salariés en contrats multiples, une limitation de la durée maximale de travail par travailleur,
– l’exclusion de certains secteurs du champ d’application de la directive, par exemple pour les armées ou les pompiers volontaires,
– l’application du principe de subsidiarité pour fixer les plafonds appropriés en matière de cumul de congés annuels,
– et sur l’opt out, un allongement de la période de référence du calcul de la durée maximale hebdomadaire à 12 mois par exemple, ce qui limiterait le recours à la dérogation, mais aussi des dispositions destinées à « renforcer la protection accordée aux travailleurs qui acceptent l’opt-out, en assurant un contrôle effectif du dépassement d’heures, en limitant les risques de pression de la part de l’employeur et en veillant à ce que chaque travailleur donne le consentement requis en toute liberté et en connaissance de cause. La directive devrait aussi prévoir un mécanisme efficace d’évaluation périodique de l’opt out.

 

La perspective d’une approche sectorielle du temps de travail est suggérée, soit en excluant certains secteurs du champ d’application, soit en adoptant des règles spécifiques tenant compte des contraintes particulières du secteur, qu’elles soient de nature industrielle ou relatives à la continuité du service public. Un nouveau projet de directive pourrait être proposé au 3e trimestre 2011. Tenants de la flexibilité et de la sécurité vont-ils trouver un compromis ? Débats à suivre…

 

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