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En France, si la crise financière de 2008 n’a pas conduit à l’adoption de mesures véritablement réformes spécifiques, elle survient alors que des réformes profondes avaient déjà été engagées dans tous les domaines du social. Le magma juridique actuel renforce plus que jamais le rôle du juge.

 

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La crise a bousculé les réformes en cours depuis 2007 dans tous les domaines sociaux : emploi et pouvoir d’achat (loi TEPA), retraite (relevant l’âge à 62 ans), fonction publique, dialogue social (sur la démocratie sociale : représentativité et négociation collective), fusion du service public de l’emploi et de l’organisme d’indemnisation du chômage (l’ANPE et Unédic). Enfin, en matière de revenus minimum, création du RSA (revenu de solidarité active).

 

Dans le cadre d’un projet européen sur « le droit social après la crise » co-dirigé par ASTREES et l’IETL (Institut d’Etudes du Travail de Lyon), onze pays européens passent sous la loupe d’experts (Belgique, Grèce, Royaume-Uni, Allemagne, Autriche, Suède, Hongrie, Pologne et Italie). À l’automne, une conférence européenne rassemblera tous les partenaires. Retour sur des discussions de l’un des ateliers français organisé au titre du projet, le 12 juillet dernier.

 

Un marché du travail d’ores et déjà flexible

« La crise a révélé que le marché du travail était déjà flexible, car le premier facteur de réduction de l’emploi n’a pas été le licenciement économique », affirme Christian Janin de la Cfdt. Les entreprises ont utilisé tous les leviers juridiques possibles pour éviter les licenciements (tout en diminuant leurs effectifs) : non-renouvellement de l’emploi intérimaire, des CDD. Et surtout, liquidation des Comptes Épargne temps, des RTT, la suppression des heures supplémentaires et les congés anticipés. Les créations d’emploi aujourd’hui, ce sont surtout « des CDD d’usage et des contrats courts » précise-t-il. 12 millions de CCD de moins d’un mois en 2010 pour seulement 166 000 créations d’emplois.

 

La crise a précipité la négociation sur le chômage partiel à la demande du gouvernement aboutissant en février 2009 sur la création d’une alternative : l’activité partielle de longue durée (APLD). L’APLD encadre le versement d’allocations complémentaires de chômage partiel aux salariés subissant une réduction d’activité en dessous de la durée légale ou conventionnelle du travail. Renault a été le premier bénéficiaire, parce qu’il avait déjà signé des accords chômage partiel. Aujourd’hui, le dispositif n’a toujours pas été évalué, alors qu’il est financé conjointement par l’entreprise, l’Etat et l’Unédic (assurance-chômage). Les 150 millions mis de côtés n’ont « même pas été dépensés. Personne ne les réclame ! » s’exclame M. Jannin.

 

On constate « un certain désordre financier » explique le rapport préliminaire de Marie- Cécile Escande Varniol de l’IETL. Pour des raisons de déficit budgétaire, les réformes prévoient souvent de grosses dépenses, en les faisant peser sur d’autres budgets que celui de l’État : les collectivités locales pour le RSA, les organismes collecteurs, donc les entreprises, pour la formation professionnelle, les caisses de retraite et d’autres, cependant, certaines mesures créent des exonérations fiscales tout en apparaissant comme contre productives face à la crise.

 

Réformes sous-financées

Ces deux dernières années ont vu se nouer de nombreux accords collectifs nationaux interprofessionnels (ANI) sur la Gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC), la formation professionnelle, l’assurance chômage, le stress.

  

La GPEC par exemple est sensée organiser le dialogue pour discuter des problèmes à froid. Mais avec la crise « tout se fait à chaud, il est impossible de voir à six mois dans l’entreprise, dit Christian Janin. Les entrepreneurs vous rient au nez ». Quant à la pénibilité, les décrets sont sortis mais sans le financement, car le patronat a refusé d’aborder cette question.

 

Au-delà, il faut citer diverses mesures pour encourager l’emploi des jeunes (dont un nouvel accord du 11 juillet) et des seniors et l’accord interprofessionnel sur « la gestion des conséquences de la crise ». On relève également des initiatives sectorielles intéressantes : la métallurgie a par exemple mis au point une convention très opérationnelle sur le prêt de main d’œuvre en mai 2009. Dans ce secteur particulier, « l’UIMM est représentative, il est donc plus facile de créer du droit social » commente Marie-France Mazars  conseiller de la chambre sociale de la Cour de Cassation). Pascal Lagoutte Avocat au sein du cabinet Capstan parle plutôt « d’évolution naturelle. Les partenaires sociaux vont être dans la co-construction de la norme. La régulation passera de la loi à la convention, parce qu’il faut gérer la décrue de notre modèle social, sinon nous allons mourir riches et protégés socialement, mais nous allons mourir ».

 

 

Instabilité juridique

Marie-France Mazars met en garde contre cette tendance, « tout irait bien s’il y avait une sécurité de la structure des entreprises, ce n’est pas le cas, car la personne morale de l’employeur est tout à fait instable. Les salariés sont ballotés au gré des fusions, des absorptions ». L’impossibilité de véritablement appréhender les questions d’organisation du travail et surtout ses déterminants (où est l’employeur ? restructurations permanentes etc,) est un facteur de conflictualité sous estimé. La chambre sociale de la Cour de Cassation observe une montée en puissance des contentieux autour du stress et du harcèlement moral.

 

 

La négociation en entreprise  pose la question des avantages acquis par les salariés en cas de mise en cause des accords collectifs consécutive à une réorganisation de celle-ci. Deux récents arrêts de la Chambre sociale de la Cour de Cassation des 18 janvier 2011 et 1er février 2011 viennent apporter un nouvel éclairage sur la question des fermetures de sociétés dans le cadre d’un Groupe en précisant la notion de co-employeur et de société-mère. Pour la Cfdt aussi, la négociation doit se faire à un autre niveau en intégrant les sous-traitants dans une logique de branche. Annelore Coury de la direction générale du travail (DGT) déplore cependant que les conventions collectives soient trop nombreuses. « Il existe 800 branches sans parler du secteur agricole ! »

 

Pour encourager la portabilité des droits, le député UMP Pierre Morange conseillait de s’inspirer du modèle autrichien dans un rapport déposé en avril 2010. Il s’agit de comptes individuels d’indemnités de fin de fonction en Autriche qui permettent aux salariés de conserver et d’accumuler des droits tout au long de leur carrière depuis 2002.

 

À défaut de sécuriser l’emploi, il faut au moins sécuriser les droits. L’objectif communautaire de flexicurité qui avait disparu face aux mesures de maintien dans l’emploi revient maintenant en force dans la stratégie Europe 2020. « Cela dit, il semble que la sécurisation cède toute la place à la flexibilité et marque la fin de l’illusion d’une contrepartie à la flexibilité dans les pays comme la Suède et l’Autriche » rapporte Claude-Emmanuel Triomphe.

 

Représentativité discutée

La loi quasi « révolutionnaire » du 20 août 2008, a réformé « à la fois la représentativité syndicale et les conditions de validité des conventions collectives » précise le rapport de l’IETL. Ainsi, depuis le 22 août 2008, un syndicat doit avoir recueilli au moins 10% des voix des salariés lors des dernières élections au comité d’entreprise pour être représentatif et pouvoir valablement signer un accord ou une convention collective au niveau des entreprises. Les élections ayant lieu tous les quatre ans, tous les comités d’entreprise devraient être renouvelés à l’été 2012. Un décret déterminera alors en 2013, la représentativité des organisations syndicales au niveau des branches et au niveau national. 17 contentieux en cours, car certaines entreprises calculent les 10% à l’échelle de la compagnie ou d’autres des filiales.

 

« Il faut aller chercher le juge pour savoir qui peut discuter, négocier, signer des accords, raconte Rachid Brihi, avocat du cabinet Grumbach. Aussi les organisations syndicales qui sont exclues de la négociation adoptent des stratégies de contournement en instrumentalisant le juge, ou bien en développant un syndicalisme de métier, de corporation, en s’affiliant de manière tout à fait symbolique à une confédération ». Dans ce magma des relations sociales, le rôle du juge reste donc plus que jamais prédominant pour arbitrer entre les acteurs et émettre de la jurisprudence.

 

 

 

Rapport Morange sur la portabilité des droits 

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