La Grèce connaît une crise économique, sociale et sanitaire sans précédent alors que les derniers rebondissements politiques laissent présager la chute du gouvernement.
George Papandreou a annoncé lundi soir à la surprise générale un éventuel référendum en janvier sur l’accord européen d’effacement d’une partie de la dette du pays. Les places boursières européennes ont décroché, signe du mécontentement des marchés. Est-ce un chantage pour que les Grecs montrent enfin leur bonne volonté et valident la politique d’austérité ? Ou un suicide politique de Papandréou – suivi d’une démission si le Parlement grec ne valide pas la proposition ?
Ce référendum est très décrié en Grèce et n’aura peut-être pas lieu explique Aristea Koukiadaki, chercheuse des relations professionnelles à l’Université de Warwick. « La question reviendrait à demander aux Grecs s’ils veulent rester dans l’Euro ou pas. Or les sondages montrent que 60% de la population est contre les clauses du nouvel accord européen, mais 70% contre une sortie de l’union monétaire ».
Surtout, il est peut-être un peu tard pour demander l’avis des Grecs, un an et demi après le premier plan de sauvetage. À l’époque, l’accord de renflouement (bail-out agreement) signé en mai 2010 par le gouvernement grec, le FMI, la banque centrale européenne et la commission européenne, agissant au nom des États membres de l’Eurozone n’avait pas été soumis à la validation des 3/5 du Parlement. Saisie sur la constitutionnalité de cet accord et la violation possible de l’ordre légal, la Cour suprême a finalement évoqué l’intérêt national. Depuis, la politique budgétaire du pays, est contrôlée tous les trois mois par une « troïka » de représentants les trois principaux créanciers du pays.
La Grèce a tenu certains engagements : réforme du code du travail et de la sécurité sociale, privatisation. Un an et demi après vient ce second « bail-out agreement », associé à de nouvelles mesures d’austérité. Avec l’accord de mercredi dernier, une « task force » de la troïka sera désormais en résidence en Grèce.
Le pays devra réduire sa dette de 160% du PIB actuellement à 120% en 2020. La dette grecque était déjà de 127% en 2009, remarque le quotidien économique conservateur Naftemporiki le 31 octobre, qui s’interroge : « Pourquoi entreprendre des mesures d’austérité pendant dix ans pour revenir au même niveau de dette qu’affichait la Grèce lorsque celle-ci a sollicité l’aide internationale pour la première fois ? » En 2009, après la mise en place des premières réformes, l’économie est entrée en récession : -5%. La perte de confiance des marchés est totale, « je ne comprends pas trop ce qui pourrait redonner confiance » renchérit Lefteris Kretsos, spécialiste des politiques sociales de l’Université de Coventry lors d’une conférence autour des réformes des droits du travail et de la protection sociale dans la crise qui s’est tenue à Lyon les 20 et 21 octobre dernier.
Marasme économique
« La crise de la dette concerne tout, et pas seulement l’emploi. C’est aussi une atteinte aux droits sociaux et aux droits de l’homme, ajoute-t-il. La direction prise est celle du laissez-faire. Nous sommes plongés dans un océan de dérégulation sous prétexte que l’économie de la Grèce n’est soit disant pas compétitive, alors que le taux de rémunération est un des plus bas d’Europe des 15 après le Portugal ».
En octobre 2011, le taux de demandeurs d’emploi a atteint 22%, et culmine à 40% chez les jeunes. Sur une période de 1 à 4 mois, un tiers des salariés du privé n’ont pas été payés, car leurs employeurs ont provisionné les salaires pour ne pas faire faillite. Des dizaines de milliers d’entreprises ont mis la clé sous la porte (surtout dans la construction)- 14 000 au premier trimestre 2011. D’autres sont en procédure de liquidation judiciaire, prélude à la faillite. Par conséquent, le nombre de plaintes pour non-paiement des salaires a explosé.
Le marché du travail est très instable selon le rapport présenté à Lyon par les experts grecs. Les contrats à temps plein sont convertis en contrat à temps partiel ou soumis au chômage partiel, avec d’importantes réductions de salaires. D’après l’Inspection du travail grecque, la baisse des salaires oscille entre 7 à 20%, tandis que les syndicats dénoncent une réduction de 50%. L’embauche des jeunes peut se faire en deçà du salaire minimum (à 84%, c’est à dire moins de 592 € par mois – le salaire moyen étant de 1700€)
Selon Aristea Koukiadaki, les conditions de travail se sont détériorées. Les journées de travail sont plus longues, et moins bien payées. Le chômage partiel est mal régulé, sans aucune concertation pour réglementer les conditions. Les réformes européennes encouragent la décentralisation du dialogue social au niveau de l’entreprise. Mais le secteur privé est très peu syndiqué (18% seulement). Si l’entreprise a des représentants des salariés, ils sont souvent soumis aux pressions de l’employeurs, qui laissent peu d’alternative quand la négociation propose : soit un accord au rabais, soit des licenciements. Les entreprises qui ne parviennent pas à convaincre le syndicat à conclure des accords dans des circonstances particulières, pourront passer des contrats individuels.
Protection sociale et crise sanitaire
Selon l’ONG Médecins sans Frontières, certains endroits d’Athènes, une crise humanitaire se profile. 30% des grecs se soignent dans des cliniques de rues (contre 5% auparavant). Ces dispensaires sont destinés à soigner les immigrés et les réfugiés hébergés dans des centres de rétention provisoire et qui n’ont pas accès au système de santé public national.
« Avec l’aggravation de la crise économique, nous sommes face aux symptômes d’un problème plus grave », explique Apostolos Veizis, le chef de Médecins sans frontières Grèce à EUobserver. « A présent, les retraités, les chômeurs, les sans-abri, les malades du VIH et de la tuberculose sont également privés de couverture maladie ». A ceux-là s’ajoutent les 22% de la population active non déclarée, qui n’ont donc aucune couverture sociale. Veizis précise que « les budgets de certains types de soins comme l’assistance sociale et le traitement de certaines maladies sont frappés de coupes qui vont jusqu’à 80% ». Il dénonce la rupture des stocks de matériel médical, de médicaments et de sang. Par ailleurs, ajoute EUobserver, les géants de la pharmacie refusent de livrer certains hôpitaux, de peur de ne pas être payés.
Le taux de suicides est passé de 17 à 25%.
S’attaquer enfin aux causes de la crise
La crise vient en partie de problèmes structurels. « La structure faible de l’État, qui permet la corruption et le clientélisme, rappelle Aristea Koukiadaki. L’État est remplacé par la famille et les réseaux. Les jeunes dépendent de leurs parents ou de leurs amis pour accéder au marché de l’emploi et même à l’éducation ».
Il faut une vraie réforme fiscale et une lutte contre l’évasion et la fraude fiscale. Le gouvernement vient d’abaisser la limite de l’impôt sur le revenu 8 000€/an, contre 12 000€/an auparavant. Mais la taxation moyenne des revenus est de 10% inférieur à la moyenne de l’OCDE. « L’État ne lève pas les impôts, dit-elle. Pourquoi ? Parce que les réseaux qui le soutiennent seraient les premiers à payer. L’État joue au « Name & shame » en publiant la liste des entreprises qui ont fait faillite et avait fraudé, dont vous ne pouvez plus relever les impôts ».
L’Église orthodoxe aussi est encore exonérée de tout effort, alors qu’elle possède plus de 700 milliards d’euros de patrimoine foncier et immobilier.
Il n’y a pas eu de lutte contre le travail informel, qui occupe 22% de la population active selon le rapport grec. Pour Lefteris Kretsos : « Ce sont souvent ceux qui n’ont pas le choix : les migrants en situation irrégulière, ceux à qui s’est imposé. Dans cette situation ce sont les entreprises, qui sont gagnantes, pas les employés ». Les dernières réformes ont annihilé tout ce qui restait « du cadre légal, déplore-t-il et précarisent désormais toute la population active ».
Avec ce référendum, le premier ministre grec relaie enfin dans l’agora européenne et sur les marchés financiers la question de la démocratie et de la souveraineté, que les indignés grecs de la place Syntagma agitaient depuis plusieurs mois avec désespoir. Les Grecs diront rapidement si c’est trop peu et trop tard.
Laisser un commentaire