« Tous les discours globalisant sur la jeunesse passent à côté de l’essentiel » affirme Antoine Math qui a coordonné le numéro spécial de la Chronique internationale de l’IRES consacré aux jeunes dans la crise. Les jeunes générations sont touchées de plein fouet par cette Grande Récession. La frustration des diplômés et la montée de l’endettement privé et de la pauvreté font figure de nouveauté.
Les jeunes ont été la principale variable d’ajustement des effectifs dans la crise. 5,5 millions d’Européens de moins de 25 ans sont au chômage (22,4%). Le niveau a atteint un nouveau record en Espagne (50,5%), en Italie (31,9%), en Irlande (31,6%), en Grèce (50,4%), au Portugal (35,4%), au Royaume-Uni (22,2%). Même les jeunes Allemands et Danois ne sont pas épargnés. Au Danemark, qui connaît son premier trimestre de récession, le taux de chômage est passé de 7,6 en 2008 à 14,7% en janvier 2012.
« En Europe du Sud surtout, le diplôme ne protège plus du déclassement, ce qui sème les ferments de la révolte », explique Antoine Math. L’actualité des trois dernières années est en effet chargée de manifestations de mécontentement. Si les mouvements ne sont « pas forcément générationnels sur les places », précise Frédéric Lerais, ils prennent racine dans la précarisation des jeunes. Place Syntagma à Athènes, Puerta del Sol à Madrid, ou encore Occupy London Stock Exchange sur le parvis de la Cathédrale St Paul à Londres, ces agoras sont nettoyées, mais les mouvements subsistent sur internet et mènent des actions sporadiques (lire Antonio SANTOS ORTEGA et Paz MARTIN MARTIN, Espagne. Chômage, vies précaires et action collective et Jean-Marie PERNOT, Portugal. Du précariat à la tentation de l’exil).
En France, les indignés étaient peu nombreux à la Bastille et à la Défense. « Les jeunes français se sont peu mobilisés, car les enfants des classes moyennes ne sont pas encore très touchés par la crise. Et au-delà, il existe un phénomène de loyauté. Une grande partie des jeunes s’inscrit dans une course au diplôme » ajoute Antoine Math. Parmi les jeunes Français qui ont fini leur scolarité en 2007, quatre diplômés du supérieur sur 5 sont en emploi, contre 55% pour les bacheliers, et 48% pour ceux sortis sans diplômes.
Pauvres
En Angleterre et en Espagne, les jeunes sont davantage touchés par la pauvreté. Certains sont très endettés alors qu’ils n’ont pas encore accédé au marché du travail et qu’ils n’étaient pas les plus exclus et les plus marginalisés. Dans le paysage européen, l’Allemagne fait figure d’exception : hausse des taux d’emploi, amélioration des indicateurs de pauvreté, baisse de l’emploi précaire, du chômage, du chômage partiel, du chômage de longue durée. Il faut cependant noter que le contexte de croissance économique et de déficit démographique est très favorable. (lire Odile CHAGNY Allemagne. Le coup de pouce de la démographie)
Dans deux tiers des pays de l’OCDE, les jeunes sortis du système scolaire n’ont aucune forme d’allocation de soutien à moins de justifier d’une période suffisante d’emploi. La Belgique et le Danemark ont un revenu d’assistance pour les jeunes sans qualification. En France, l’allocation-insertion a été supprimée en 1992 et le RSA-jeune concerne les moins de 25 ans qui ont travaillé deux ans sur les trois dernières années. Ce qui le rend quasiment inaccessible. De manière générale, dans les pays d’Europe du Sud, l’absence de revenu est compensée par la solidarité familiale. Les jeunes connaissent des « trajectoires yo-yo » : des périodes d’autonomie et de décohabitation, puis de retour au foyer familial.
L’état des lieux le plus catastrophique est dressé en Grèce. « Les jeunes sont pris dans la cure d’austérité », explique Nicolas Prokovas. La réforme du marché du travail libéralise les horaires, annualise le temps de travail, transforme les contrats de travail : un CDI à temps plein peut devenir à temps partiel, la durée des CDD est allongée de 24 à 36 mois, la période d’essai dure un an. « Elle introduit une rémunération spécifique pour les jeunes de moins de 25 ans, ajoute-t-il. Le premier accès à l’emploi se fait par un contrat de professionnalisation plafonné à 80% du SMIC. Les jeunes touchent donc un salaire moyen de 500 € ». (Lire l’article dédié de Nicolas Prokovas, Grèce. Colère et révoltes face a l’austérité)
Délaissés
Les politiques n’ont pas pris la mesure des dégâts. Pire, les politiques publiques pour la jeunesse sont souvent paradoxales. Elles ne considèrent pas les jeunes comme des adultes. Elles prévoient des exonérations, assouplissent les règles d’embauche et de licenciement au nom du fonctionnement du marché du travail. Par exemple, les Pays-Bas ont autorisé les employeurs à proposer 4 CDD de suite au lieu de trois. Idem en Espagne.
Face aux mesures d’austérité, les organisations syndicales ont pris des positions classiques de contestation. Mais rares sont celles qui ont innové. Aux Pays-Bas, la fédération FNV (socialistes) a constitué une section pour porter la voix des jeunes et leur donner une place au conseil économique, social et environnemental. Tandis que le chrétien CLV est devenu très actif dans le secteur du commerce de détail et sur le terrain au moment des vacances scolaires pour sensibiliser les jeunes à leur droit au travail. (lire Marie WIERINK Pays-Bas. Une performance ambiguë : l’emploi au risque de la précarité )
En Espagne, les jeunes ont défié le mouvement syndical qui néglige les outsiders et protège les insiders. Au Royaume-Uni, le mouvement « Youth fight for their jobs » dénonce la précarité des jeunes. Ces jours-ci, il accuse les trois grandes centrales syndicales USDAW, TUC et UNISON d’avoir accepté de geler le salaire minimum des jeunes de moins de 21 ans. Au-delà, il revendique le travail décent pour les jeunes, la salaire minimum à 6,67£ et la gratuité des frais universitaires (lire le papier Florence Lefresne Royaume-Uni. Une « génération perdue » ?)
Partir…
L’absence de perspectives décide de nombreux jeunes à chercher un avenir et un emploi dans un autre pays. « Avec les cures d’austérité, les plus diplômés sont les premiers à partir. C’est inquiétant, car cela entame la productivité des pays qui vont déjà mal, prévient Antoine Math. En Europe, on a toujours dit que la mobilité professionnelle était le nec plus ultra, mais on occulte trop qu’elle est souvent contrainte ».
Ainsi, en Italie, sur les 60 000 émigrants en 2010, 70% seraient des jeunes diplômés. (Elena PERSANO, Italie. Le prix à payer. Carences étatiques et solidarités familiales ) Le chiffre est une estimation, car les administrations nationales ne tiennent pas de statistique d’émigration. Des tendances se dessinent pourtant dont la presse se fait l’écho : les grecs partent aux Etats-Unis, les Irlandais vers l’Australie, les Portugais vers le Brésil ou l’Angola, les Espagnols en Allemagne. En Europe, les deux premiers pays receveurs de jeunes migrants sont le Royaume-Uni et l’Allemagne. Ces flux s’adjoignent à ceux plus anciens venant des pays d’Europe centrale. Près de 1,9 millions de Polonais vivent à l’étranger en 2010. 40 000 de plus par rapport à 2009. (lire Stéphane PORTET Pologne. Formation et insertion, un défaut des politiques publiques )
… c’est mourir un peu
Comme les conditions de vie et d’emploi se sont dégradées, les indicateurs de santé mentale et de morbidité se sont détériorés. Il est possible de différencier les différents symptômes de morbidité : le renoncement aux soins pour raisons financières, la hausse des violences, des homicides, l’augmentation des infections VIH. Le suicide est un symptôme parmi d’autre. La moyenne européenne a baissé continuellement jusqu’en 2007. Elle remonte en 2008, avant la mise en œuvre des programmes d’austérité. Elle augmente de 5% d’après les données Eurostat. En tête, viennent les deux pays les plus touchés par la récession : Grèce et Irlande, puis ce sont étonnamment : les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Roumanie et le Danemark. (lire Antoine MATH Une situation particulièrement préoccupante des jeunes dans l’Union européenne. Eléments de cadrage )
En Grèce, Les chiffres officiels des suicides montrent une augmentation de 17% entre 2007 et 2009, et les données non-officielles citées au Parlement évoquent une nouvelle augmentation de 25% entre 2009 et 2010. Et selon le ministère de la santé, le taux aurait grimpé de 40% entre le premier semestre 2010 et le premier semestre 2011. Des chiffres qui ne peuvent que laisser muet.
Chronique internationale n°133 – numéro spécial – novembre 2011 Les jeunes dans la crise
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