Entretien avec Laurent Vogel, de l’Institut syndical européen (ETUI). Face au constat « Le travail en Europe est vu comme un coût, » quelles seraient les priorités ?
Que pèse le travail face aux questions d’emploi en Europe ? Comment voyez-vous les institutions se saisir des questions du travail ? Les négligent-elles ?
Le travail pèse moins que l’emploi. On constate une régression continue de l’implication sur les questions du travail ces 15 dernières années. Après l’adoption de la directive-cadre en 1989, l’harmonisation des conditions de travail était devenue une thématique importante. Mais ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui.
Pour la Commission Barroso I et II, il est très clair que le travail est vu comme un coût. Or, l’angle économique de la « compétitivité » est réducteur à court terme. Dans les commissions précédentes, la commission prenait au moins des initiatives, quitte à faire marche arrière face au refus des Etats. L’idée d’harmonisation des conditions de travail était présente. Le rythme et l’étendue étaient sujet de discussion. Aujourd’hui, la Direction Générale à l’emploi est particulièrement faible.
Le Parlement est sur une autre longueur d’onde. Les eurodéputés sont soucieux de discuter de la qualité d’un modèle social européen. Mais, dans l’ensemble, le travail est une préoccupation intermittente dans les politiques communautaires, comme au niveau national.
Enfin, au sein du Conseil, la renationalisation des politiques sociales est indiscutable. Chaque Etat a ses propres ambitions ou ses propres réticences.
La Commission vient de faire de propositions sur l’emploi : qu’en pensez-vous ? L’hypothèse d’un salaire minimum différencié vous apparait – elle acceptable ?
La situation actuelle est malsaine. Les écarts salariaux créent une spirale de concurrence vers le bas. Les divergences sur la question du salaire minimum sont fortes même entre les syndicats. Ils négocieront avec les Etats et les employeurs, qui ne sont pas pressés. On verra bien ce qu’il en ressortira.
Que peut-on attendre de la clarification de la directive sur le détachement des travailleurs ?
Cette clarification est nécessaire, parce qu’il existe de réelles ambiguités sur les textes. Les formules « ordre public social » et « droits fondamentaux » ne sont pas bien définis. Ils entre en conflit avec le principe de « libre circulation ». Cela explique la jurisprudence très négative des arrêts Laval et Vikking. Certains Länders allemands tiennent à juste titre à imposer l’extension de champ d’application des conventions collectives à des travailleurs détachés. Nous verrons bientôt dans quel sens ira la clarification. Il est essentiel de faire prévaloir les droits fondamentaux, y compris le droit de grève et la couverture par des conventions collectives, par rapport à la circulation des entreprises et la concurrence.
Quelles sont les priorités politiques en matière de travail, les trois questions les plus importantes et les plus urgentes à traiter ?
En matière de santé et sécurité, il faut mettre au premier plan l’impact sur la santé à long terme des mauvaises conditions de travail. Les politiques de prévention sur les troubles musculo-squelettiques (TMS) n’ont pas donné de résultat significatifs jusqu’à présent. Pourtant les TMS ont un coût humain énorme pour les travailleurs. Ils pèsent également sur la société et sur les entreprises. Autre exemple, le règlement Reach est mis en place sans qu’on en tire le maximum en matière d’amélioration des conditions de travail.
Il faudrait actualiser la classification des sustances cancérogènes et mutagènes et étendre la législation actuelle aux toxiques pour la reproduction. La France est en avance là-dessus. Elle a aussi pris des décisions concernant les perturbateurs endocriniens (comme le paraben), pour lesquels il n’existe toujours pas de classification harmonisée. Si on sortait de ce flou et de ces ambiguités, la politique communautaire aurait une véritable plus-value, ça éviterait que chaque Etat légifère et créé des normes dans son coin.
Ensuite vient l’accord sur le temps de travail. Il est trop tôt pour savoir si la négociation entre partenaires sociaux aboutira ou pas. Les résultats de la négociation actuelle seront connus cet automne. Il est probable que tôt ou tard, le dossier va revenir dans les institutions politiques.
Enfin, il faut évoquer la question du vieillissement. 2012 est l’année du vieillissement actif (active ageing). On ne peut pas exiger le maintien dans l’emploi jusqu’à l’âge légal de la retraite, sans mettre au point des mécanismes de santé et sécurité et de formation professionnelle. Pour une série de métiers, la vie professionnelle à un âge avancée est impossible dans les conditions actuelles. Que ce soit à cause des risques physiques dans le Bâtiment, ou des risques psycho-sociaux dans les professions hospitalières, dans l’enseignement, ou l’aide sociale. Sans parler des conditions de travail et d’existence liées aux emplois précaires. C’est là où politique de l’emploi et politiques de travail sont contradictoires. Quelqu’un qui travaille dans un call center en interimaire n’a pas d’accident ou de problème de santé dans l’immédiat. Mais à long terme la précarité de ces conditions de travail lui poseront problème.
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