Après l’enquête Technologia auprès des salariés français de France Telecom-Orange, une démarche d’évaluation des risques psycho-sociaux a été menée dans 19 pays européens (hors la France) où le groupe est présent. Le comité de Groupe européen (CGE) a passé commande à Michel Agostini, expert du cabinet de conseil Secafi Alpha en novembre 2010. Le cadre méthodo-scientifique a été accepté par la direction des Ressources Humaine du groupe et le CGE a piloté l’enquête. Michel Agostini revient sur les résultats de cette enquête.
Quels sont les résultats de « l’enquête Stress » menée chez France Télécom en Europe ?
Il a fallu formaliser des « conditions de travail comparables », parce que le groupe est présent dans des pays très différents du point de vue, notamment, des cultures et des lois sociales. Les diverses marques (Orange, Mobistar, mobitel ou encore PPK) divergent aussi dans leurs organisations et leurs pratiques managériales.
Pour avoir un ensemble de résultats cohérents, nous avons défini une grille permettant de faire apparaître une typologie des risques selon le pays, la personne, la situation de travail, la filière, les conditions concrètes de travail, par exemple si la personne travaille en équipe, en plateau ou seul. Nous avons aussi caractérisé ce qu’on peut appeler les conditions de travail réelles : les relations avec la hiérarchie ou encore l’obligation de travailler dans une langue étrangère. Avant d’interroger, par le biais de la grille spécialisée dite GHQ 12, parce qu’elle comporte 12 questions sur les effets en matière de santé, de sommeil, etc. Il a fallu convaincre
Sur les 16 512 personnes qui ont répondu à l’enquête, 55 % présentent un niveau faible d’exposition au RPS, 33% un niveau moyen (mal être au travail) et 12% sont en état de souffrance agravée, ce n’est pas négligeable. Le constat significatif est dans le fait que, si les taux divergent d’un pays et d’une filiale à l’autre, les problèmes sont très majoritairement partagés : le sentiment d’isolement (surtout en open space), les contenus du travail et les tensions avec les hiérarchies. Dans certains pays que je ne peux pas nommer, la crainte de perdre son emploi a un très impact négatif sur la santé. Sinon on retrouve les grands classiques des RPS : dévalorisation du travail, manque de reconnaissance, charge de travail, consignes peu claires, déficit de management et de contrôle.
Comment avez-vous procédé ?
Les 38 400 salariés ont reçu la grille d’enquête en 60 questions par voie informatique sécurisée. 43% ont répondu sous anonymat en se connectant sur un site dédié du groupe Alpha. C’est un taux de réponse élevé pour une première dans ce type d’enquête. De manière générale, les personnes dans les professions les plus qualifiées ont répondu. Selon les pays d’implantation, la proportion évolue. Je suis tenu à un devoir de réserve, donc je ne peux pas donner d’indications détaillées. La Belgique a eu le meilleur taux de réponse, sûrement parce que les salariés ont l’habitude de répondre à une enquête Stress tous les ans alors que dans les pays ayant un rapport différent à l’enquête (Roumanie, Pologne) les taux ont été plus faibles.
Etait-ce un questionnaire commun pour tous ?
Les questionnaires habituellement utilisés n’étaient pas pertinents en l’état pour approcher une situation transnationale, il a donc fallu créer un formulaire spécifique et inventer une méthodologie inédite pour élaborer un questionnaire parlant de la même manière aux salariés des différents pays et permettant d’obtenir des résultats comparables. Cette méthode fut fondée sur la co-construction du questionnaire avec les membres du bureau du CGE, connaissant bien le Groupe et représentant différents pays (Français, Polonais, Espagnol, Allemand, Belge, Britannique, Suisse et Roumain).
Il fallait mûrir une définition commune des RPS mais surtout prêter attention à chaque différence pour que les questions aient le même sens pour chacun: par exemple, ce qu’on entend par « niveau scolaire », ou encore par « travail de jour », pour les Polonais, c’est jusqu’à 22h ! Ensuite, pour les Roumains, le terme « enquête » réveille un passé douloureux. Enfin, dans les métiers de la téléphonie, on oblige souvent à travailler en anglais, ce qui peut être une source de stress. Mais on ne peut pas stigmatiser la langue anglaise en la nommant, au risque de froisser les Britanniques, on ne peut pas la nommer « autre langue », pour les Belges qui sont tiraillés entre le Néerlandais et le Français, ou encore parler « langue maternelle » ce qui est intraduisible pour les Polonais. Enfin, dans les pays anciennement communistes, il est difficile de répondre à des questions que les salariés considèrent comme relevant de l’intimité. Donc nous avons dû insister sur l’étanchéité et le complet anonymat du questionnaire.
Trois mois de discussions ont été nécessaires au sein de ce groupe de travail pour construire le questionnaire, le traduire, vérifier les traductions et le tester. Ce travail en lui-même a été très formateur pour les participants dans la connaissance des réalités de l’autre.
Quelles ont été les principales préconisations ?
Nous avons rendu nos conclusions à l’automne 2011. Elles ont beaucoup intéressé tant les représentants du personnel que ceux du Groupe. Depuis, le comité de pilotage assure le suivi dans la mise en œuvre des préconisations et les représentants sont outillés pour engager des discussions au plan local. La direction du groupe est très impliquée. Elle a souhaité que nous réalisions une restitution spécifique aux managers des différents pays afin qu’ils s’impliquent eux-aussi dans la prévention. Si certains pays partent de zéro, d’autres ont déjà une pratique développée de prise en charge de ces questions.
Les résultats sont assortis de recommandations spécifiques pour chaque entité afin de résoudre les problème de management et d’organisation et d’épauler le dialogue social sur la politique de prévention au plus près du terrain. Un livret complémentaire au rapport général donne les résulats, analyses et préconisations spécifiques pour chaque pays. Un CD-Rom permet de faire des tris de données par entité. C’est aussi bon pour la politique du CGE car cela l’oblige à être plus proche du terrain ou les conditions de travail sont une préoccupation et lui ouvre un champ de débat sur les questions liées au travail.
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